3E PARTIE
(suite de la deuxième partie)
Impact de l’hétérogénéité dans la thérapie cellulaire du DT1
La greffe d’îlots pancréatiques, issus soit de donneurs décédés, soit produits à partir de cellules souches, constitue une alternative majeure pour remplacer les cellules bêta détruites chez les patients atteints de diabète de type 1 à un stade avancé, dit stade 3 ou évolué (parfois appelé « stade 4 »).
Classiquement, les îlots isolés sont implantés dans le foie, tandis que les patients reçoivent un traitement immunosuppresseur afin d’éviter le rejet des cellules greffées.
Cependant, la transplantation d’îlots pancréatiques est influencée par l’hétérogénéité tant du côté des donneurs que des receveurs. Malgré tout, l’hétérogénéité des donneurs présente un avantage : elle réside dans la large représentation des groupes sanguins et des types tissulaires, ce qui facilite la sélection d’îlots compatibles du point de vue du groupe sanguin ABO.
Les îlots dérivés de cellules souches présentent également une importante hétérogénéité. La proportion de cellules bêta dans chaque îlot et leur capacité à sécréter de l’insuline peuvent varier selon la lignée cellulaire utilisée et le protocole de différenciation appliqué pour générer ces cellules en laboratoire.
Dans un essai clinique portant sur 11 patients, sept ont reçu des îlots d’un seul donneur, tandis que quatre ont nécessité deux donneurs. Par ailleurs, un suivi à long terme a mis en évidence une variation importante des résultats en fonction de la masse fonctionnelle de cellules bêta greffées : un seuil au-dessus de 40 % garantit une indépendance durable à l’insuline, entre 20 % et 40 % ce seuil favorise une indépendance temporaire avec des besoins réduits en insuline lors de périodes de stress, tandis qu’en dessous de 20 %, une rechute avec reprise de l’insulinothérapie est observée.
Avec le temps, probablement en raison des mécanismes auto-immuns (attaque du système immunitaire contre les cellules bêta du patient) et allo-immuns (réaction contre les cellules greffées perçues comme étrangères), la masse fonctionnelle en cellules bêta décline, ce qui impose à certains patients de reprendre de l’insuline.
Parmi les patients ayant repris de l’insuline au bout de six ans, cette dégradation du greffon était souvent liée à des facteurs immunologiques comme une sensibilisation au HLA du donneur d’îlots ou l’apparition d’auto-anticorps dirigés contre les îlots.
Globalement, la plupart des patients réussissaient à rester dans la plage glycémique cible au moins 95 % du temps. L’étude souligne que disposer d’au moins 20 % de masse fonctionnelle réduit significativement les hypoglycémies et qu’atteindre une masse fonctionnelle de cellules bêta de 40 % permet un arrêt de l’insuline et un bon contrôle glycémique.
Cet objectif passe par la production de cellules plus homogènes que le produit hétérogène classique issu de donneurs décédés.
La mise au point de biomarqueurs permettant de détecter précocement le dysfonctionnement du greffon pourrait améliorer la prise en charge des patients avant que l’insulinothérapie ne soit nécessaire.
Une autre stratégie de thérapie cellulaire repose sur l’utilisation de cellules souches pluripotentes humaines. En effet, leur différenciation en îlots pancréatiques constitue une source renouvelable prometteuse pour remplacer les cellules bêta. Ces cellules souches sont reprogrammées pour devenir insulino-sécrétrices, offrant l’espoir d’une production plus contrôlée et reproductible.
Ces îlots dérivés de cellules souches sont obtenus en exposant des cellules à une succession de facteurs chimiques imitant le développement embryonnaire. Des protocoles standardisés de différenciation et d’expansion permettent de garantir une meilleure régularité quant à l’obtention de la masse fonctionnelle en cellules bêta par rapport aux îlots issus de donneurs décédés.
Cependant, des sources d’hétérogénéité persistent, notamment du fait des différentes lignées cellulaires utilisées, qui peuvent nécessiter des adaptations du fait de leurs particularités génétiques. Même après différenciation, les cellules produites varient tant en taille des amas que dans leur composition. La composition peut ainsi différer : la proportion de cellules bêta peut grandement varier entre lignées, comme celle des cellules exprimant une ou plusieurs autres hormones (glucagon, somatostatine). Il en est de même pour leur capacité fonctionnelle, attestée par la sécrétion d’insuline au repos et en réponse au glucose.
L’enjeu est donc de minimiser cette hétérogénéité en uniformisant le choix des lignées cellulaires et des protocoles. Par ailleurs, améliorer la maturation des cellules avant transplantation pourrait accélérer la mise en place d’un contrôle glycémique efficace, réduisant la nécessité de maturation post-greffe, qui peut durer plusieurs mois.
L’hétérogénéité des patients greffés demeure également une barrière, car les traitements actuels s’adressent à un nombre restreint de personnes, en raison de la nécessité d’une immunosuppression pour éviter le rejet des îlots greffés. L’objectif futur est de rendre cette thérapie accessible au plus grand nombre, notamment en protégeant les cellules transplantées par des techniques innovantes, en l’occurrence en les rendant invisibles au système immunitaire du patient greffé.
L’édition génétique, en créant des îlots « hypo-immuns », offre une solution prometteuse. Par exemple, en utilisant la technologie CRISPR/Cas9 pour supprimer l’expression de certaines molécules, il est possible de limiter la reconnaissance et l’attaque immunitaire des cellules transplantées, améliorant leur survie sans recours à l’immunosuppression. Pour la première fois, des îlots pancréatiques génétiquement modifiés ont été greffés à une personne vivant avec un diabète de type 1 (DT1), sans recourir à l’immunosuppression, avec une production d’insuline maintenue plusieurs semaines après la greffe. Il s’agit là d’une avancée majeure vers une thérapie cellulaire personnalisée et efficace.
La caractérisation des endotypes ouvre la voie à une médecine de précision
L’intérêt du concept d’endotype ne réside pas tant dans la multiplication des catégories que dans sa capacité à guider des thérapies adaptées aux mécanismes pathogéniques de chaque patient. Il s’agit d’optimiser le choix du traitement, mais aussi le moment de son administration afin de préserver les cellules bêta.
Bien qu’aucun essai n’ait encore stratifié les participants sur la base d’un endotype défini a priori, un signal intéressant est apparu récemment. Dans le TrialNet Oral Insulin Prevention Trial, publié en 2024 dans la revue Diabetes Care, l’administration d’insuline orale a réduit l’incidence du diabète clinique uniquement chez les sujets présentant de forts taux d’anticorps anti‑IA2, en particulier ceux porteurs du HLA‑DR4. Il s’agit de la première démonstration d’un bénéfice thérapeutique associé à un endotype donné.
On distingue actuellement deux grands groupes d’endotypes, essentiellement selon l’âge d’apparition des auto‑anticorps et/ou celui du diagnostic clinique. Cette stratification pourrait améliorer à la fois la prédiction de la maladie et l’efficacité des approches préventives ou thérapeutiques.
Dans le cas particulier des jeunes enfants (d’un âge inférieur à 7 ans), chez qui la progression du DT1 est rapide, cette approche n’implique pas nécessairement de traitements différents, mais elle ouvre la voie à une médecine plus personnalisée, avec un meilleur rapport bénéfice/risque et un nombre réduit de patients à traiter pour observer un effet significatif.
Le concept d’endotype suscite encore certaines réserves. Si des sous‑types ont bien été identifiés dans le DT1, il n’a pas encore été prouvé que ces catégories correspondent à de véritables endotypes pour lesquels des traitements spécifiques peuvent être élaborés.
Par ailleurs, les connaissances actuelles proviennent largement d’analyses post‑hoc, c’est-à-dire réalisées à partir de données déjà collectées une fois l’étude terminée. Ceci souligne la nécessité de confirmer ces résultats par des recherches prospectives et des essais cliniques.
Avant de pouvoir utiliser les endotypes en pratique clinique, il sera indispensable de développer et valider des biomarqueurs robustes permettant d’identifier les mécanismes pathogéniques en jeu et de prédire la réponse aux traitements. Pour cela, les chercheurs ont besoin d’approches globales capables d’identifier de nouveaux biomarqueurs, comme ceux liés aux protéines (protéomique) ou aux petites molécules du métabolisme (métabolomique).
Comme le rappellent Etienne Larger, Clémentine Halliez et Roberto Mallone (Université Paris‑Cité) dans la revue Médecine des Maladies Métaboliques en juin 2025, la reconnaissance et la caractérisation des endotypes ouvrent la voie à une médecine de précision : interventions adaptées au profil du patient et administrées au moment le plus opportun, préservation plus longue de la fonction bêta‑cellulaire, et amélioration globale de l’efficacité thérapeutique.
Cette approche est d’autant plus pertinente que des stratégies existent désormais pour prévenir une hyperglycémie, tant qu’une masse minimale de cellules bêta reste fonctionnelle.
Un axe de recherche essentiel consiste aussi à étudier les personnes qui, malgré un risque génétique élevé et la présence d’auto‑anticorps, ne développent jamais de diabète clinique. L’existence probable d’un gradient de risque — modulé par le nombre d’auto‑anticorps, le score génétique et le degré de dysfonctionnement bêta‑cellulaire — suggère qu’un certain seuil doit être franchi pour progresser à travers les stades de la maladie.
Comprendre pourquoi certains individus restent indemnes malgré des facteurs de risque comparables pourrait éclairer les mécanismes de résistance et offrir des pistes préventives inédites.
En résumé, la caractérisation des endotypes constitue une clé pour exploiter l’hétérogénéité du diabète de type 1, mieux prédire son évolution, et guider des stratégies thérapeutiques individualisées. L’objectif ultime est d’améliorer le pronostic des patients grâce à une médecine de précision, fondée sur une stratification robuste et des interventions adaptées.
