Avoir un cancer augmente le risque de développer un diabète de type 2, selon une vaste étude épidémiologique danoise, parue en juin 2022 dans la revue Diabetes Care. Les résultats montrent par ailleurs que les patients cancéreux qui présentent un diabète d’apparition récente ont une mortalité supérieure aux autres. Selon les auteurs, ces données renforcent la nécessité de rechercher la survenue d’un diabète chez les survivants de certains types de cancer.
L’étude danoise a analysé les résultats de la totalité des 112 millions d’examens biologiques sanguins, prescrits entre 2000 et 2005, à 1,3 million de patients par des médecins généralistes*. Ces données, conservées au Copenhagen Primary Care Laboratory Database (CopLab), ont été comparées à celles du registre danois des cancers. L’étude a finalement inclus plus de 51 000 patients atteints d’un cancer diagnostiqué dans l’agglomération de Copenhague entre 2004 et 2015 et indemnes de diabète au moment du diagnostic. Le suivi moyen des patients atteints de cancer a été de 2,3 ans, celui des sujets cas-témoins indemnes de cancer a été de 4,4 ans.
Les chercheurs ont observé que le risque de survenue d’un diabète de type 2 est plus élevé chez les personnes atteintes de cancer, tous types de tumeur confondus (+ 9 %). Plus précisément, par rapport aux sujets indemnes de cancer, le risque de développer un diabète d’apparition récente est particulièrement élevé (+ 500 %) en cas de cancer du pancréas, de cancer du cerveau et d’autres régions du système nerveux (sur-risque de 54 %), ainsi qu’en cas de cancer du corps de l’utérus (ou cancer de l’endomètre) (sur-risque de 41 %)*. Selon cette étude, les patients atteints d’un cancer du poumon, de l’appareil urinaire et du sein présentent également un risque significativement élevé de développer un diabète de type 2 (avec un sur-risque respectif de 38 %, 32 % et 20 %).
Impact d’un diabète d’apparition récente sur la survie globale des patients cancéreux
Après avoir montré que les patients atteints de certains types de cancer présentent un risque accru de diabète d’apparition récente, Lykke Sylow et ses collègues de l’université de Copenhague ont cherché à déterminer si un diabète nouvellement identifié après le diagnostic de cancer influençait la survie du patient. Pour ce faire, les chercheurs ont analysé les données de plus de 28 000 patients cancéreux toujours en vie deux ans après le diagnostic de tumeur maligne.
Une augmentation de 21 % du taux de mortalité, toutes causes confondues, a été observée chez les patients cancéreux présentant un diabète de type 2 d’apparition récente par rapport à celui des patients atteints de cancer mais indemnes de diabète. Il est à noter que cet excès de mortalité concerne tous les types de cancer. Il ne préjuge pas de la survie pour un type particulier de cancer.
L’étude danoise, qui avait donc pour objectif d’analyser l’influence du cancer sur le développement d’un diabète de type 2 d’apparition récente, porte sur la plus vaste cohorte de patients à ce jour. En plus de reposer sur un registre national rassemblant des données cliniques de grande qualité, elle s’est appuyée sur des éléments obtenus en population générale et concernant la totalité des résidents d’une région donnée.
Les résultats publiés par les chercheurs danois vont dans le même sens que ceux d’une étude, sud-coréenne, menée auprès de plus de 15 000 survivants d’un cancer, soit moins du tiers du nombre de cas de l’étude danoise. L’étude publiée en 2012 dans la revue JAMA Oncology par des chercheurs de l’université Sungkyunkwan de Séoul avait rapporté une augmentation de 35 % du risque de développer un diabète après le diagnostic de cancer.
Une étude allemande, publiée en avril 2022 dans la revue Cancers, suggère également qu’un diabète d’apparition récente est associé au cancer. Là encore, le risque varie selon le type de tumeur.
Des chercheurs de l’université d’Heidelberg ont réalisé la plus importante méta-analyse conduite à ce jour visant à comparer l’incidence du diabète parmi des patients atteints de cancer et dans la population indemne de toute pathologie cancéreuse. Au total, 34 articles, publiés dans la littérature médicale entre janvier 2010 et avril 2021, portant sur un total de plus de 360 000 patients cancéreux et plus de 1,8 million de témoins (n’ayant pas de cancer) ont été inclus dans cette méta-analyse.
Chez les patients atteints de cancer, un sur-risque de 42 % de développer un diabète a été observé par rapport à la population indemne de cancer. Le risque était le plus élevé durant la première année suivant le diagnostic de maladie cancéreuse, les patients cancéreux présentant durant cette période un risque deux fois plus élevé de diabète par rapport aux autres. Le risque de diabète était significativement plus élevé pour la plupart des cancers, à l’exception des tumeurs de la tête et du cou, du système nerveux central, de la prostate, de l’estomac, de l’utérus et de l’œsophage. Ces résultats ne sont donc que partiellement concordants avec ceux rapportés par l’étude danoise.
Il reste à déterminer les mécanismes pouvant expliquer l’association entre cancer et diabète. Selon le type de cancer, certaines modalités thérapeutiques peuvent être impliquées : chirurgie et radiothérapie du pancréas (conduisant à une insuffisance de production d’insuline), irradiation du crâne et du corps entier (perturbation du fonctionnement de l’axe hypothalamo-hypophysaire), corticoïdes, thérapies ciblées anti-tumorales. À ce propos, il importe de signaler qu’un diabète peut rarement être induit par une immunothérapie antitumorale, en l’occurrence par les inhibiteurs de checkpoints immunitaires. Selon une récente étude lilloise, le diabète apparaît par ailleurs être associé à un risque élevé de survenue d’effets secondaires sévères liés à la chimiothérapie anticancéreuse. Enfin, certaines molécules sécrétées par la tumeur maligne pourraient également participer au développement d’un diabète.
Des études prospectives portant sur de plus grands effectifs et comportant un long suivi sont évidemment nécessaires pour confirmer ces données suggérant une association entre cancer et diabète d’apparition récente et déterminer les différents mécanismes sous-jacents.
Marc GOZLAN (Suivez-moi sur Twitter, Facebook, LinkedIn)
* La présence d’un diabète a été définie sur la base d’une glycémie supérieure ou égale à 11 mmol/L ou un taux d’hémoglobine glyquée (HbA1c) supérieur ou égal à 6,5 %.