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L'auteur

Marc GOZLAN

Je suis médecin de formation, journaliste par vocation. J’ai débuté ma carrière de journaliste médico-scientifique en agence de presse…  Lire la suite.

Histoire du diabète aux temps anciens

Portrait du médecin Arétée de Cappadoce (81-138 après J.-C.) par Ioannes Sambucus (1574). © Wikipedia.

SOMMAIRE

Le diabète a une histoire qui remonte à l’Antiquité. Il s’agit d’une des maladies les plus étudiées dans l’histoire de la médecine. On en trouve les premières mentions dans des textes médicaux en Egypte ainsi que dans d’anciens traités indiens et chinois. Une soif intense associée à une abondante production d’urine, une faim excessive, et un goût sucré de l’urine, n’auraient pas pu échapper à la vigilance des éminents médecins des temps anciens.

Le plus ancien manuscrit mentionnant les symptômes du diabète est un papyrus qui date d’environ 1550 ans avant notre ère. Il a été découvert dans  des excavations tombales à Louxor. Dans le sarcophage, il se trouvait enroulé dans les vêtements d’une momie, entre ses jambes. Le texte est écrit en hiératique, une sorte de forme cursive de hiéroglyphes. Il comprend 877 rubriques, indiquées à l’encre rouge, le reste du texte étant écrit en noir.

Le papyrus Ebers, page ou colonne 41 (Eb. 204 à 206). © Wikipedia

Ce manuscrit se termine par un calendrier qui indique qu’il a été rédigé durant le règne d’Amenhotep Ier, deuxième souverain de la XVIIIe dynastie (Nouvel Empire). Ce papyrus mesure 20,2 m de long sur 30 cm de large. Il a été découvert dans un parfait état de conservation. Amené à Thèbes en 1862 par l’égyptologue américain Edwin Smith, le papyrus fut vendu en 1872 à Georg Moritz Ebers, un professeur allemand d’égyptologie. Il est aujourd’hui conservé à la bibliothèque de l’université de Leipzig.

Ce papyrus décrit de nombreuses maladies et plus de 700 recettes différentes pour confectionner des préparations médicinales pour traiter notamment des affections de peau, des yeux, des dents, des parasitoses (helminthiases), des troubles gynécologiques, mais également des maladies mentales, dont une qui pourrait aujourd’hui être qualifiée de dépression. Les remèdes proposés reposaient sur des matériaux, la plupart végétaux, et faisaient appel à des rituels mystiques (formules magiques).

Le papyrus ne comporte aucune mention spécifique du diabète, mais renferme une quinzaine de prescriptions pour les patients émettant des urines en grandes quantités. Etaient préconisés des infusions, des pilules, des lavements. Les ingrédients utilisés étaient très variés et comportaient notamment des gommes, de la résine de pistachier térébinthe, des gruaux de blé, des fruits, des racines, des baies de genièvre, du miel, des raisins, de la bière sucrée, de l’huile, du lait frais, des dattes, du céleri des collines ou du Delta.

Ebers (1837-1898) a publié un facsimilé du papyrus : deux volumes de photographies en couleur de l’intégralité du texte, accompagnés d’un glossaire hiéroglyphes-latin rédigé par son collègue Ludwig Stern. Peu de temps après, une traduction en allemand est apparue, suivie de quatre autres en anglais au début du XXe siècle.

Des mentions du diabète figurent dans des écrits indiens et chinois datant des périodes qui se situent aux alentours de 500 ans avant J.-C.

Inde ancienne

Un manuscrit du traité de médecine Charaka Samhita. © Wikipedia

Les traités médicaux de médecine hindoue Charaka Sahmita et Sushruta Samhita de l’Inde ancienne (de 2 500 à 600 ans avant notre ère), rédigés en sanskrit mentionnaient le « goût sucré des urines » dans une vingtaine de maladies associées à un volume important d’urine et collectivement dénommées prameha (littéralement, uriner anormalement). Parmi elles, quatre étaient incurables et concernaient des individus dont l’urine était sucrée comme le sucre de canne (iksumeha) ou le miel (madhumeha).

Goûter l’urine des malades était recommandé par les médecins de l’époque qui notaient si elle avait aussi le pouvoir d’attirer de grandes fourmis noires, des mouches et d’autres insectes. Dans ce cas, cette variété de prameha était associée à une urine claire et à la soif. Il est également fait mention d’une haleine particulière de fruit pourri ou de liquide fermenté (surameha), ce qui suggère que ce que l’on nomme de nos jours diabète était connu à l’époque. On sait que les patients en acidocétose diabétique présentent une haleine à l’odeur caractéristique (de fruit pourri ou de pomme). Enfin, le célèbre médecin Sushtuta observa que la maladie affectait principalement les castes riches.

Chine ancienne

Dans la médecine chinoise, il était également recommandé que le médecin goûte l’urine. Au IIe siècle de notre ère,  il est fait mention que « l’urine sucrée attire les chiens » et que cela fait partie des symptômes du Xioa-Ke ou « soif s’infiltrant dans l’urine ». De fait, le terme chinois 糖尿病 (táng niào bìng) pour diabète signifie « maladie de l’urine sucrée ».

Au VIIe siècle avant J.-C, Li Hsuan note que ces patients présentent une prédisposition à développer des furoncles et des infections pulmonaires et recommande l’abstinence du vin, du sel et du sexe.

Les écrits de l’Inde ancienne et de la Chine sur le diabète ne semblent pas être parvenus sur le continent européen. On trouve des descriptions plus détaillées de la maladie chez les médecins de la Grèce antique et de l’empire romain.

Diabète : « qui passe à travers »

Demetrius d’Apamée (environ 200-250 avant J.-C.) est le premier à utiliser le mot « diabète » pour signifier que l’eau ne fait que traverser le corps sans y être stockée, d’où le flux important d’urine excrétée par les patients. Les écrits de Demetrius ayant malheureusement été perdus, on ne dispose que de citations d’auteurs postérieurs.

« Fonte des chairs et des membres en urine »

Arétée de Cappadoce. De Diabete, sive vrinae profluvio. Edition en latin de 1552.

C’est à Arétée de Cappadoce (81-138 après J.-C.), médecin né dans l’est de l’Asie mineure, qui étudia la médecine à Alexandrie et exerça à Rome, que l’on doit les premières descriptions complètes des symptômes et du profond inconfort vécu par des patients atteints de diabète. « Le diabète est une maladie redoutable, peu fréquente chez les hommes, avec une fonte des chairs et des membres en urine. Les malades ne cessent de produire de l’eau et le flux est incessant, comme l’ouverture des aqueducs. La vie est courte, désagréable et douloureuse, la soif inextinguible, la boisson excessive et disproportionnée par rapport à la grande quantité d’urine, car on urine encore plus. S’ils s’abstiennent de boire pendant un certain temps, leur bouche devient desséchée et leur corps sec ; les viscères semblent brûlés, les patients sont affectés par des nausées, de l’agitation et une soif intense, et en peu de temps ils expirent (…) la maladie me semble avoir pris le nom de diabète à partir du mot grec διαβητης (qui signifie siphon), car le liquide ne reste pas dans le corps », écrit Arétée.

Selon lui, les fluides ne restent pas dans le corps mais utilisent le corps comme une « échelle », autrement dit une passerelle, pour le quitter. Il recommande des remèdes contre la soif, comme des laxatifs (censés nettoyer l’estomac), des cataplasmes aux fruits sur la région gastrique, des céréales, des fruits pressés, du lait, du vin. Le vin astringent est censé renforcer le tonus gastrique car Arétée pense que le diabète est une maladie de l’estomac, responsable de la soif intense.

Arétée de Cappadoce reprend le terme de diabète, qui provient plus précisément du verbe grec ancien διαβαίνω (diabaino) et signifie littéralement « aller ou courir à travers », et le popularise.

La pratique médicale d’Arétée repose sur les principes de l’École pneumatique. Fondée au premier siècle avant notre ère, celle-ci croit au rôle du pneuma (air) et des quatre qualités élémentaires (ou humeurs, telles que la chaleur, le froid, l’humidité, la sécheresse) dans la survenue des maladies. Selon Arétée, la cause du diabète est l’humidité et le froid qui siègent dans le corps.

La description de la perte de poids et la soif par Arétée de Cappadoce est précise et rigoureuse. Le médecin s’attache aussi à décrire les symptômes selon le stade de progression de la maladie, ce qui représente une information nouvelle par rapport aux textes médicaux rédigés par d’autres médecins. Enfin, il discute également d’une pathologie qui, elle aussi, entraîne une soif excessive (dipsada). Ainsi, la soif due au diabète est à différencier de la soif intolérable qui survient après la morsure d’une espèce de serpent venimeux, la dipsade.

Arétée de Cappadoce n’a pas eu une grande renommée durant l’Antiquité tardive. Ses écrits, qui représentent la meilleure description du diabète des temps anciens, ont été rédigés dans un dialecte ionique. De ce fait, ils sont restés inconnus durant des siècles, avant d’être découverts en 1552 par Junius Paulus Crassus de Padoue qui les traduit alors en latin et les fait imprimer à Venise.

« Diarrhée urinaire »

Claudius Galenus de Pergamon (129-207 après J.-C.), dit Galien, le médecin le plus célèbre de l’ère gréco-romaine, déclare n’avoir vu que deux cas de diabète dans toute sa carrière.

Dans De Crisibus, Galien théorise que le corps est dans l’incapacité de modifier les liquides ingérés et que les reins ne peuvent les retenir. Il définit l’émission abondante d’urine de « diarrhée urinaire » et compare l’élimination rapide des urines dans le diabète à la lientérie, maladie diarrhéique caractérisée par des selles contenant des aliments incomplètement digérés.

Pour Galien, le diabète n’est pas une maladie de l’estomac mais une maladie des reins, incapables de retenir l’eau. La théorie selon laquelle les reins sont la cause du diabète va ensuite dominer pendant des siècles.

Dans le traité galénique De locis affectis, Galien mentionne que les malades « ont une soif démesurée, et par là même boivent abondamment ». Selon lui, « Certains parlent d’hydropisie du pot de chambre, d’autres encore de diabète ou de soif violente… Pour ma part, j’ai jusqu’à présent vu deux fois une maladie dans laquelle les patients souffraient d’une soif inextinguible, qui les obligeait à boire d’énormes quantités ; le liquide était uriné rapidement avec une urine ressemblant à de l’eau… le diabète est une véritable maladie des reins ».

Outre les termes de diarrhée urinaire (Diarrhoia eis ora) ou d’hydropisie du pot de chambre (Hyderos eis amida) pour désigner le diabète, Galien en emploie un troisième pour parler de la soif pathologique : dipsakos. Il ne mentionne jamais Arétée de Cappadoce, son contemporain.

Entre 25 et 50 avant J.-C., Aulus Cornelius Celcus (dont le nom a été  francisé en Celse) résume dans De Medicina Libri Octo les connaissances de l’époque sur le diabète. Ce médecin, qui a vécu du temps de l’empereur romain Tibère, écrit en latin. Il discute de la polyurie (augmentation du volume des urines), de la polydipsie (soif intense conduisant à la prise de boissons très abondantes) et de la perte de poids.

De façon intéressante, il recommande l’exercice physique. « Mais quand l’urine dépasse en quantité le liquide absorbé, même si elle est évacuée sans douleur, elle donne lieu à une émaciation et un danger de consomption (…) il est nécessaire de faire de l’exercice (…) Le bain ne doit être pris que rarement, et le patient ne doit pas y rester longtemps ; la nourriture doit être astringente, le vin sec et non dilué, froid en été, tiède en hiver, et en quantité minimale pour apaiser la soif. Les intestins doivent également être remués par un lavement ou en prenant du lait ».

Rufus d’Éphèse, médecin grec né aux environs de 80 après J-C à Éphèse et mort vers 150 après J.-C.), parla de leiouria (diarrhée urinaire) et de dipsakon (soif ardente). Ainsi, Rufus d’Éphèse et Galien emploient, en plus de l’ancien terme diabète, pratiquement les mêmes mots pour désigner le flux rapide de liquide qui traverse le corps.

Plus tard, Aetius d’Amida (527-565 après J.-C.), médecin grec de l’Antiquité tardive, adopte les théories de Galien et apporte des informations sur la maladie provenant d’Arétée de Cappadoce. Il mentionne alternativement les termes diabète, hydropisie du pot de chambre, soif extrême ou dipsacus.

Alexandre de Tralles (525-605 après J.-C.) est l’un des plus célèbres médecins de l’ère byzantine. Son traité de médecine en 12 volumes aborde des thèmes variés tels que la médecine interne, la chirurgie, l’ophtalmologie, la gynécologie et la pharmacologie. Lui aussi utilise les termes de diabète, hydropisie du pot de chambre et dipsacus. Le traitement proposé vise à rafraîchir le corps et restaurer l’hydratation car il perd de son humidité du fait des urines abondantes.

Citons pour conclure Paul d’Égine, de son nom latin Paulus Ægineta, médecin grec du VIIe siècle (625–690 après J.-C.) qui étudia la médecine à Alexandrie. Dernier médecin grec célèbre de l’Antiquité tardive, son œuvre a servi de référence dans les siècles suivants. Citant Celse, il décrit le diabète comme « le passage rapide de la boisson hors du corps… et il s’accompagne d’une soif immodérée, d’où l’appellation dipsacus, étant donné qu’il est causé par la faiblesse de la faculté de rétention des reins… il prive l’ensemble du corps de son humidité par sa chaleur immodérée ». Ainsi, après Galien, Aetius d’Amida, Alexandre de Tralles et Paul d’Égine utilisent à leur tour le même terme (dipsakos ou dipsacus) pour désigner la soif pathologique associée au diabète, probablement dérivé du nom d’un serpent venimeux (dipsas), dont le venin entraîne une terrible soif chez la victime.

Voilà donc pour l’histoire du diabète aux temps anciens, une histoire qui s’étale sur des siècles au cours desquels l’intelligence humaine, l’observation clinique méticuleuse et la curiosité ont conduit des médecins à accumuler les connaissances sur une maladie, rare à l’époque, mais qui aujourd’hui constitue un fléau à l’échelle mondiale.

Marc GOZLAN (Suivez-moi sur Twitter, Facebook, LinkedIn)

 

Pour en savoir plus...

Porta M. Diabetes in Ancient Times: The Long and Winding Road to Insuline.  In Jörgens V, Porta M (eds): Unveiling Diabetes – Historical Milestones in Diabetology. Frontiers in Diabetes. Basel, Karger, 2020, vol 29:1–13. doi:10.1159/000506554

Rostène W, De Meyts P. Insulin: A 100-Year-Old Discovery With a Fascinating History. Endocr Rev. 2021 Sep 28;42(5):503-527. doi: 10.1210/endrev/bnab020

Karamanou M, Protogerou A, Tsoucalas G, et al. Milestones in the history of diabetes mellitus: The main contributors. World J Diabetes. 2016 Jan 10;7(1):1-7. doi: 10.4239/wjd.v7.i1.1

Laios K, Karamanou M, Saridaki Z, Androutsos G. Aretaeus of Cappadocia and the first description of diabetes. Hormones (Athens). 2012 Jan-Mar;11(1):109-13. doi: 10.1007/BF03401545

Christopoulou-Aletra H, Papavramidou N. ‘Diabetes’ as described by Byzantine writers from the fourth to the ninth century AD: the Graeco-Roman influence. Diabetologia. 2008 May;51(5):892-6. doi: 10.1007/s00125-008-0981-4

Skoda F. Le diabète dans la médecine grecque ancienne. In: Mélanges François Kerlouégan. Besançon : Université de Franche-Comté. Annales littéraires de l’Université de Besançon. 1994.515: 603-610.

Schadewaldt,H. The History of Diabetes mellitus. In: von Engelhardt, D. (eds) Diabetes Its Medical and Cultural History. Springer, Berlin, Heidelberg. 1989. 58 pages. doi: 10.1007/978-3-642-48364-6_5

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