Dans ce billet de blog, le premier sur Le diabète dans tous ses états, je vous raconte la grande et la petite histoire des premiers patients qui ont été traités, il y a 100 ans, par l’insuline. Ces patients sont canadiens et américains. Ils sont au nombre de treize. Leurs noms sont à tout jamais inscrits dans l’histoire de la médecine.Si certains d’entre vous ont probablement entendu parler de Leonard Thompson ou d’Elizabeth Hugues, voire de Joseph Gilchrist ou de Teddy Ryder, vous ne connaissez sans doute pas James D. Havens, Charles E. Cowan, Ruth Whitehill, Myra Blaustein, Charlotte Clarke, Janet Turnbull, Randall G. Sprague, Elsie Needham. Je n’ai pas résisté au plaisir de vous raconter le parcours de vie de ces patients, avant et après avoir été traités par insuline. Cette histoire ne pouvait s’écrire qu’en puisant à de multiples sources, issues de la littérature médicale et d’ouvrages d’historiens.
Vous comprendrez le calvaire qu’ont éprouvé ces patients avant de bénéficier d’un traitement qui leur a permis de revenir à la vie et de mener une vie riche et entière.
L’insuline va ainsi sauver la vie d’enfants cachectiques, moribonds, décharnés, qui étaient condamnés. En effet, à cette époque, être diagnostiqué diabétique équivalait, à plus ou moins brève échéance, à une sentence de mort.
Tout commence, à Toronto (Canada), lorsque Frederick Grant Banting (1891-1941), jeune chirurgien, réussit à convaincre John James Rickart Macleod (1876-1935), professeur de physiologie, de le laisser tester dans son laboratoire une idée qui, selon lui, peut conduire à obtenir un extrait pancréatique actif sur le diabète sucré. John Macleod lui adjoint alors un étudiant, Charles Herbert Best (1899-1978). En janvier 1922, James Bertram Collip (1892-1965), biochimiste chevronné, rejoint l’équipe.
La découverte de l’insuline marque assurément un tournant majeur dans l’histoire de la médecine. Les chercheurs, qui ont ouvert la voie à une nouvelle voie thérapeutique, étaient tous membres de l’université de Toronto. Le parcours de leurs malades diabétiques, devenus des pionniers, mérite d’être raconté en détail. Voici leurs histoires.
Leonard Thompson
Ce petit garçon souffre du diabète depuis l’âge de 11 ans. Il vient d’avoir 13 ans et est en train de mourir d’un coma diabétique. Il a été admis le 2 décembre 1921 à la clinique pour diabétiques du Dr Walter Campbell au Toronto General Hospital. Il ne pèse plus que 28,5 kg. Son apport calorique quotidien n’est que de 450 calories.
Devant l’issue fatale qui l’attend, ce petit malade n’a plus qu’un seul espoir : recevoir un extrait de pancréas qui s’est montré capable d’abaisser la glycémie chez un chien rendu diabétique après ablation du pancréas. Cette préparation a été mise au point par Frederick G. Banting et Charles H. Best au cours de l’été et l’automne 1921.
En l’absence de Macleod et sans que Collip en soit informé, Best obtient le consentement du père de Leonard et réussit à convaincre les médecins du garçon de lui injecter son extrait de pancréas de bœuf.
Dans l’après-midi du 11 janvier 1922, le Dr Ed Jeffrey, interne en charge de la salle, injecte, dans chaque fesse, 7,5 mL d’un extrait pancréatique de bœuf, alors nommé « sérum de Macleod ».
L’injection a lieu dans le service de diabétologie du Dr Walter R. Campbell, coordinateur de la clinique diabétologique de l’hôpital général de Toronto (TGH), sous la supervision du professeur Duncan Archibald Graham, directeur du département de médecine du TGH. Ce dernier, tout d’abord réticent à l’idée d’administrer l’extrait pancréatique de Banting et Best, s’est finalement laissé convaincre grâce à la médiation du Pr John Macleod.
La glycémie (taux de glucose dans le sang) de Leonard baisse légèrement de 4,4 g/L à 3,2 g/L (de 24,5 à 17,8 mmol/L). On rappelle que la valeur normale de la glycémie oscille entre 0,70 g/L et 1,10 g/L (soit, environ, entre 3,5 mmol/L et 7,8 mmol/L). Le taux de glucose dans les urines (glycosurie) du petit malade est très élevé (230 g/24h).
Aucune amélioration clinique n’est cependant observée. Un abcès froid (aseptique) apparaît même au site d’une des injections, conséquence de la présence d’impuretés dans les extraits.
Macleod demande alors à Collip d’apporter des améliorations aux extraits pancréatiques. Collip parvient à obtenir un extrait plus pur. Après avoir testé sa préparation sur des lapins et observé qu’elle ne provoque pas de réaction inflammatoire, Leonard Thompson reçoit cinq millilitres par jour de cette nouvelle préparation, du 23 janvier au 4 février 1922 (à l’exception des 25 et 26 janvier).
« L’extrait de Collip » se montre efficace et bien toléré. La glycémie passe de 28,9 à 6,7 mmol/L. La glycosurie chute à zéro.
L’amélioration clinique est immédiate. Le petit Leonard est sauvé. Il ressuscite. La presse canadienne, dont le Toronto Star Weekly et Toronto Daily Star, rapporte la nouvelle qui, considérée comme un véritable miracle, fait le tour du monde.
Le diabète de Leonard Thompson n’a cependant jamais été bien équilibré malgré l’administration de 85 unités d’insuline quotidiennes. En octobre 1922, il est réhospitalisé dans un état critique au Toronto General Hospital pour un coma diabétique et une bronchopneumonie. Heureusement, à ce moment-là, l’insuline, qu’il était très difficile d’obtenir en quantité suffisante au tout début des premiers traitements, est à nouveau disponible grâce à un partenariat entre l’université de Toronto et la firme pharmaceutique Eli Lilly basée à Indianapolis (Indiana).
Sauvé, Leonard Thompson a poursuivi des études de chimie et a travaillé comme assistant dans une usine de produits chimiques. Il meurt le 20 avril 1935, à l’âge de 26 ans, à la suite d’une pneumopathie aiguë compliquée d’acidocétose. Une hémoculture réalisée post-mortem trouve la présence d’un staphylocoque doré.
L’autopsie montre une athérosclérose généralisée ainsi qu’une augmentation de volume de son foie (hépatomégalie). Le pancréas, atrophié, ne pèse que 40 grammes. On observe une légère fibrose et une quasi-disparition des cellules endocrines. L’organe est conservé au musée anatomique de l’Institut Banting de Toronto.
Joseph (« Joe ») Gilchrist
Condisciple de Frederick Banting à la faculté de médecine et originaire comme lui d’Alliston (village situé à 90 km au nord-ouest de Toronto), Joseph Applebe Gilchrist sera diagnostiqué diabétique en 1917 à l’âge de 24 ans, juste après être diplômé de l’université de Toronto. Il suit alors un entraînement dans le Corps de santé royal canadien. La survenue de son diabète empêche son incorporation dans le Canadian Army Medical Corps, corps médical destiné à soigner les blessés au combat durant la première guerre mondiale.
Son état de santé se détériore malgré le régime alimentaire très strict, la « diète absolue » mise au point par le Dr Frederick Allen, diabétologue qui fait autorité à cette époque. Ce régime de famine (starvation diet) empêche les malades de mourir rapidement d’acidocétose diabétique, c’est-à-dire d’une diminution du pH sanguin suite à la présence dans le sang de corps cétoniques. La carence en insuline empêche en effet la pénétration de glucose dans les cellules, qui utilisent alors les triglycérides comme source énergétique. Cette utilisation génère des composés cétoniques qui finissent par s’accumuler dans le sang, l’acidifient, provoquant ainsi des troubles sévères.
Cette « diète absolue » est donc basée sur le principe selon lequel les patients ne devaient ingérer que la quantité de nourriture qu’ils peuvent efficacement métaboliser. Qu’importe si celle-ci est extrêmement faible et entraîne une cachexie. De nombreux patients en sont morts mais le Dr Allen estimait que ce régime, particulièrement éprouvant, était le seul qui permettait aux malades diabétiques de prolonger leur vie de quelques mois à quelques années et d’avoir le sentiment qu’ils pouvaient, dans un certain sens, contrôler leur funeste destin.
Ayant eu vent des travaux de son ami Banting, Joseph Gilchrist implore ce dernier de lui administrer sa préparation obtenue à partir de pancréas d’animaux.
Le 20 décembre 1921, il reçoit un extrait pancréatique via un tube introduit dans son estomac, sans aucun effet bénéfique sur la glycémie. Joseph Gilchrist est donc la première personne à avoir reçu un traitement expérimental à base d’insuline, avant Leonard Thompson. Il devra cependant patienter jusqu’en février 1922 avant de recevoir sa première injection d’insuline, cette fois par voie intramusculaire.
Après le 15 mai, lorsque le laboratoire Connaught parvient à nouveau à fournir des quantités suffisantes d’insuline, le Dr Joseph A. Gilchrist participe en tant que volontaire aux essais cliniques, puis comme expert clinicien au Christie Street Military Hospital de Toronto. Avec Banting et Best, il participe à la standardisation des lots d’insuline en « unités lapins ». Une unité d’insuline représente un tiers de la quantité de principe actif antidiabétique nécessaire pour réduire la glycémie d’un lapin d’un kilo, qui a été affamé pendant vingt-quatre heures. Cela vaut à Gilchrist le surnom de « human rabbit ». De fait, ce diabétologue diabétique teste sur lui-même chaque lot d’insuline prêt à être utilisé chez l’homme, devenant un véritable expert de la cinétique d’action de l’insuline.
Il exerce ensuite comme diabétologue libéral à Toronto (Canada) et s’adonne au golf et au canoë.
Après avoir été tour à tour patient, sujet d’expérience et médecin clinicien, Joseph A. Gilchrist meurt en septembre 1951 à l’âge de 58 ans.
James (« Jim ») Dexter Havens
L’histoire de James (« Jim ») Dexter Havens commence de l’autre côté du lac Ontario, à environ 145 km de Toronto, à Rochester dans l’État de New York. Diagnostiqué diabétique en 1915 à l’âge de 15 ans, Jim est traité par le docteur Frederick Allen à l’Institut Rockefeller de New York avec un régime hypocalorique particulièrement restrictif, dépourvu de glucose.
En 1920, le diabète du petit Jim s’aggrave considérablement. Un maximum de 800 calories lui est alors autorisé, sa glycémie restant constamment au-dessus des 2 g/L. Au printemps 1922, son état de santé continue de se détériorer, son organisme ne tolérant alors presque plus aucune nourriture.
Le père de Jim, James S. Havens, cadre dirigeant chez Eastman Kodak, est extrêmement inquiet pour son fils qui, depuis trois semaines, suit un régime de 200 calories par jour, qui consiste « en 50 grammes de protéines par jour, ce qui est extrêmement proche de la famine » (…) Il n’est qu’une ombre, pesant nu 38,6 kg, alors qu’il a ma taille (1,73 m) », écrit-il à un ami.
James S. Havens demande alors à George Snowball, gérant d’un magasin Kodak à Toronto (Ontario) s’il a entendu parler d’un traitement expérimental contre le diabète développé au Canada. George Snowball évoque le sujet avec son partenaire de golf qui n’est autre que John Macleod qui lui confie qu’il travaille actuellement sur le problème mais qu’il est trop tôt pour parler de succès.
George Snowball s’entête et finit par rencontrer Banting qui lui confie que le traitement expérimental a effectivement été administré à quelques patients et a donné des résultats encourageants. Snowball en informe aussitôt James S. Havens qui demande alors au docteur Williams, le médecin traitant de son fils, de se rendre du 9 au 11 avril à Toronto afin d’obtenir la préparation.
Au cours du mois qui suit, l’état de santé de Jim ne cesse de se détériorer. Il souffre d’une neuropathie sévère et est au bord du coma. Après l’annonce, le 3 mai, de la réussite du traitement à base d’insuline de Leonard Thompson à l’occasion d’une réunion de l’Association américaine de physiologie à Washington, le père de Jim s’arrange pour recevoir à Rochester de l’insuline en provenance de Toronto.
Le 22 mai 1920, Jim Havens, alors âgé de 22 ans, devient le premier patient diabétique à être traité aux États-Unis par de l’insuline. Malheureusement, malgré le traitement, la glycémie demeure à un taux élevé (22,2 mmol/L, soit 4 g/L).
Le père de Jim et son médecin, le Dr Williams, finissent par convaincre Banting de se rendre à Rochester afin qu’il administre lui-même l’insuline. Jim reçoit cette fois 2 mL d’insuline, une dose qui réussit à faire diminuer le taux de glucose dans le sang et dans les urines. Jim reçoit une nouvelle injection de 4 mL qui parvient à abaisser la glycémie à 11,1 mmol/L (2 g/L) et à faire disparaître la glycosurie.
Banting déclare que le traitement est un succès et qu’il avait simplement besoin d’administrer une plus grande quantité d’insuline. Il prend des notes sur le cas de Jim et écrit : « Il est maintenant capable de se déplacer dans la maison et de faire un trajet quotidien en voiture. La douleur aux jambes a disparu. L’état mental a changé, passant du désespoir à l’espoir et à la tranquillité ».
Dans le même temps, on s’organise pour faire parvenir aux États-Unis le précieux traitement en provenance du Canada : un bus quitte chaque jour Toronto à 17h et arrive le lendemain à 11h à Rochester. Plus tard, à la mi-juillet, l’insuline n’est plus acheminée quotidiennement par la route mais à un rythme hebdomadaire en train et en bus sous la forme d’un lot de 14 flacons.
Le traitement par l’insuline est responsable d’un effet secondaire : Jim ressent une intense douleur lors des injections, le plus souvent accompagnée d’une éruption cutanée transitoire. Les injections sont parfois interrompues pendant quelques jours, le temps pour Jim de récupérer. Le 11 juillet 1922, une injection a bien failli le tuer.
Il s’avère alors que l’insuline de bœuf des laboratoires Connaught n’est pas assez pure, raison pour laquelle Jim Havens reçoit par la suite de l’insuline de porc. Mais le patient est allergique à l’insuline porcine. En septembre 1922, Jim présente une sévère crise d’anaphylaxie. Il reçoit alors pendant un certain temps une autre insuline d’origine bovine, provenant de la firme Lilly.
Fin 1922, Jim a repris 4,5 kg. Le Dr Williams, son médecin, résume à Banting son expérience personnelle du traitement par l’insuline : « Vous serez très content d’avoir des nouvelles de Jim Havens. Quand vous l’avez vu, il pesait 74 livres [34 kg]. Il pèse maintenant 50 kg et il est l’image même de la santé. On ne soupçonnerait jamais qu’il est malade. Il y a eu cependant un résultat très malheureux de l’utilisation de l’extrait dans son cas. Il a apparemment un désir intense de se marier. Je me demande si vous avez observé ce phénomène dans l’un de vos cas… ». Le Dr Williams ne manquait pas d’humour.
Jim Havens poursuit ses études au Mechanics Institute de Rochester, s’est effectivement marié et a eu deux enfants. Il devient artiste en sculpture sur bois. Ses œuvres ont notamment été exposées au Metropolitan Museum of Art, à la bibliothèque du Congrès, à la New York Public Library, au Brooklyn Museum de New York et dans bien d’autres institutions. Il reçoit en 1955 le prix de l’American Artistes Group et est devenu membre de l’American Academy of Arts.
On lui diagnostique un cancer du côlon à l’âge de 60 ans. Il meurt de complications le 30 novembre 1960. Grâce à l’insuline, Jim Havens aura vécu 39 années de plus.
Charles E. Cowan
Charles E. Cowan, originaire d’Anaheim (Californie), a développé en 1918 un diabète après une grippe sévère. Il a 51 ans quand il est admis pour une grave acidocétose diabétique à la Potter Metabolic Clinic de Santa Barbara (Californie). Il pèse alors 50 kg pour 1,72 m. Son médecin est le docteur William D. Sansum (1880–1948).
En avril 1922, ce médecin et son chef chimiste, Norman R. Blatherwick, réussissent à produire une petite quantité d’insuline et décident en mai de traiter neuf patients. Charles E. Cowan est le premier d’entre eux à bénéficier de ce nouveau traitement. Il reçoit sa première injection d’insuline le 31 mai 1922. Il est le second patient à avoir été traité par l’insuline aux États-Unis, le premier ayant été Jim Havens le 22 mai 1922. Trois jours après la première dose, la glycosurie disparaît.
Le patient ne pèse plus que 43 kg et suit un régime alimentaire draconien consistant en l’ingestion de seulement 884 calories, composées de 24 g d’hydrates de carbone, 34 g de protéines et 68 g de lipides.
En juillet 1923, Charles E. Cowan pèse 55 kg alors que son régime alimentaire passe à 2 993 calories (91 g d’hydrates de carbone, 79 g de protéines et 257 g de lipides). Le 16 avril 1924, près de deux ans après le début du traitement par l’insuline, son poids atteint 69 kg, son alimentation quotidienne comprenant alors 2417 calories.
Charles E. Cowan, qui a été traité durant 39 ans par l’insuline, est décédé à l’âge de 90 ans à Anaheim le 10 février 1958. Il ne souffrait pas de rétinopathie diabétique, ni d’insuffisance rénale, de neuropathie, d’hypertension ou de pied diabétique.
Ruth Whitehill
Cette petite fille de 8 ans est l’une des premières patientes « privées » de Bantig, adressée par le Dr Louis F. Hamburger de l’hôpital Johns Hopkins de Baltimore.
Le diabète de la petite patiente est diagnostiqué en février 1921. Elle ne pèse alors que 21 kg. Son traitement consiste en un régime alimentaire de privation (« régime de famine », encore appelé « diète absolue »), suivi par une alimentation graduelle comprenant 80 g de protéines, 100 g de lipides et 60 g d’hydrates de carbone.
Le Dr Hamburger est si impressionné par l’annonce faite par Macleod de la découverte de l’insuline lors de la réunion de l’Association des médecins américains (Association of American Physicians) à Washington au printemps 1922, qu’il discute avec les parents de la petite Ruth et leur conseille de prendre contact avec le Dr Banting au Canada. Le père de la jeune patiente appelle alors Banting qui accepte de prendre en charge la fillette.
Ruth Whitehill reçoit sa première injection d’insuline le 17 juin 1922. En novembre, elle peut s’alimenter à hauteur de 1 400 calories, soit quasiment le double de ce qu’elle consommait avant le traitement par insuline. Dans le même intervalle de temps, son poids passe de 19 à 23,5 kg.
De juin à septembre, Ruth est prise en charge par Banting à Toronto. Son état clinique continue de s’améliorer. Elle retourne à Baltimore fin septembre. Banting demande alors au laboratoire Lilly d’approvisionner le Dr Hamburger en insuline (sous le nom d’Iletin) pour que la petite fille poursuive son traitement.
Ruth Whitehill épousera John J. Leidy de Baltimore, cofondateur et président de la Leidy Chemical Corporation. Elle décédera à l’âge de 42 ans.
Myra Blaustein
Autre patiente du Dr Louis F. Hamburger, Myra Blaustein a été diagnostiquée diabétique trois ans plus tôt, à l’âge de 8 ans. Elle fait partie des premiers enfants traités avec de l’insuline par Frederick Banting en juillet 1922. Elle ne pèse que 18 kg au début du traitement, son régime alimentaire quotidien ne comprenant alors que 600 calories.
À l’automne 1922, « au lieu d’être une enfant pâle, terne et discrète, ses couleurs reviennent, elle est alerte et souriante, et chante comme aux jours d’avant sa maladie », racontera plus tard Banting dans une lettre conservée à l’Insulin Collection de l’université de Toronto.
Myra Blaustein a vécu suffisamment longtemps (jusqu’à l’âge de 42 ans) pour donner naissance à un enfant, Arnold, qui développera plus tard un diabète de type 1 (insulino-dépendant) et de multiples complications (cécité, pied diabétique). Myra est décédée peu de temps après la naissance de son fils. Celui-ci deviendra le père d’une éminente diabétologue spécialiste du diabète gestationnel, Lois Jovanovič (1947–2018), elle-même diabétique.
Tout comme d’autres enfants diabétiques, Myra Blaustein entretiendra une correspondance avec Banting. En décembre 1922, elle lui écrivit une lettre de remerciements dans laquelle elle se disait fière de s’injecter elle-même l’insuline et qu’elle « n’avait plus eu de sucre dans les urines au cours des cinq derniers jours » et qu’elle prenait « environ 1 900 calories consistant en 60 g de protéines, 163 g de lipides et 44 grammes d’hydrates de carbone ».
Devenue adulte, Myra Blaustein s’engage dans une œuvre de charité et coordonne les activités bénévoles du seul hôpital du Maryland réservé aux personnes de couleur souffrant de problèmes de santé mentale.
Myra Blaustein est donc la grand-mère du Dr. Lois Jovanović qui a perdu son père quand elle avait 14 ans. Née en 1947 dans une famille juive originaire d’Europe de l’Est ayant émigré à Winnipeg aux débuts des années 1900, Lois Jovanović est internationalement réputée pour ses contributions dans la recherche sur le diabète, la pratique clinique, l’éducation aux patients et la santé publique. Cette célèbre diabétologue a également contribué à changer la vie de milliers de femmes enceintes atteintes de diabète ainsi que de leurs bébés.
Charlotte Clarke
Cette femme diabétique de 57 ans est admise à l’hôpital général de Toronto le 9 juillet 1922. Elle souffre d’une grave infection de la jambe droite avec un début de gangrène du pied et de la cheville.
Le Dr L.C. Palmer s’entretient avec Frederick Banting qui conseille l’amputation et un traitement par l’insuline. Palmer, qui était médecin militaire, a servi durant la Première Guerre mondiale. Il y a connu le capitaine Banting quand celui-ci, engagé dans l’armée canadienne, était sur le front en France. Banting a été blessé par un éclat d’obus au bras droit lors de la bataille de Cambrai le 26 septembre 1918. Sa blessure s’était infectée et avait mis du temps à cicatriser.
En raison de ses liens avec l’ancien capitaine Palmer qui datent de la veille de la bataille de Cambrai où celui-ci l’avait emmené en reconnaissance, Banting ne peut refuser de voir la patiente.
Charlotte Clarke est immédiatement admise à l’hôpital général de Toronto, mais il n’y a pas d’insuline pour elle. Banting décide alors d’interrompre temporairement le traitement par insuline administré à cinq patients de l’hôpital afin de réserver ces doses pour Charlotte Clarke, qui reçoit sa première injection le 10 juillet 1922.
À cette époque, personne n’a jamais opéré un malade diabétique, et encore moins, comme c’est le cas pour Charlotte Clarke, une patiente qui est au seuil du coma.
Le lendemain, une fois l’état de la patiente stabilisé (elle ne produit plus de corps cétoniques), le Dr Palmer procède à l’amputation, au-dessus du genou, de la jambe droite de sa patiente. Les jours passent, la cicatrisation se déroule normalement, les points de suture sont retirés.
Un mois plus tard, Charlotte Clarke commence à marcher avec une prothèse de jambe et quitte l’hôpital le 2 septembre 1922. Elle est la première patiente atteinte d’un diabète sévère à avoir subi une intervention chirurgicale majeure.
Theodore (« Teddy ») Ryder
Ce petit garçon est le plus jeune des premiers patients à recevoir de l’insuline. Il a été diagnostiqué diabétique à l’âge de 4 ans.
Teddy Ryder est le patient du docteur Frederik Allen à Morristown (New Jersey) qui lui impose de suivre un régime hypocalorique extrêmement sévère (224 calories par jour). Il ne pèse que 12 kg à l’âge de 5 ans. Son état de santé est tel que son oncle médecin, le Dr Morton Ryder, contacte Banting.
En juillet 1922, Mildred Ryder amène son fils Teddy, qui ne pèse alors que 10 kg, à la clinique du docteur Banting. L’enfant reçoit de l’insuline à raison de trois ou quatre injections par jour. Lorsque Teddy retourne dans le New Jersey en octobre 1922, il est en meilleure santé et plus heureux.