4e volet de notre série « Intelligence artificielle et diabète »
Dépister la rétinopathie diabétique
La recherche en intelligence artificielle (IA) a également permis le développement de systèmes visant à dépister et prévenir les complications liées au diabète. Selon les cas, ces modèles d’IA reposent sur des algorithmes de modèles prédictifs, des réseaux neuronaux capables d’extraire par eux-mêmes les caractéristiques des lésions sur des images, la surveillance en temps réel via des dispositifs portables connectés (wearables).
La rétinopathie diabétique (RD) est une complication du diabète sucré, mettant en jeu le pronostic visuel. Elle résulte de l’atteinte des vaisseaux de la rétine, induite par l’hyperglycémie. Elle touche environ une personne sur trois atteinte de diabète et constitue l’une des principales causes de perte de vision chez les adultes en âge de travailler. À l’échelle mondiale, elle est la cinquième cause de cécité.
Le diagnostic automatique de cette complication implique des modèles d’apprentissage profond à partir de jeux de données. Ces réseaux neuronaux sont entraînés sur un grand volume de photographies rétiniennes stockées dans des bases d’images.
Ces systèmes sophistiqués sont capables de détecter dans ces photographies de subtiles lésions, de les classifier et de les interpréter. Ils sont ainsi en mesure de diagnostiquer la présence de la rétinopathie diabétique et de déterminer sa sévérité. Les marqueurs analysés par ces modèles sont la tortuosité des vaisseaux, la dilatation veineuse, la présence d’une hémorragie rétinienne, d’exsudats cotonneux (qui sont de petites taches sur la rétine correspondant à des signes de souffrance rétinienne secondaires à une occlusion de petites artères).
Plusieurs études ont montré les excellentes performances de ces algorithmes dont la plupart atteignent une sensibilité et une spécificité d’au moins 90 %, similaires à celles d’ophtalmologues. La FDA a homologué plusieurs systèmes de détection automatique à l’aide de l’IA de la rétinopathie diabétique, développés aux États-Unis, en Australie, à Singapour et en Inde. On peut notamment citer les outils IDx-DR (Digital Diagnostics, Coralville, Iowa), EyeArt (Eynuck Inc, Los Angeles, Californie), et AEYE-DS (AEYE Health, Dublin, Californie).
L’IA a aussi été évaluée pour prédire le début de la rétinopathie diabétique, de même que sa progression. Pour prédire son risque d’apparition, des systèmes ont été développés, qui intègrent les paramètres des images rétiniennes et/ou les données cliniques.
En 2024, le système d’apprentissage profond DeepDR Plus, développé par des équipes chinoises et hongkongaises, s’est montré capable de prédire la progression de la rétinopathie diabétique dans un délai de cinq ans uniquement à partir de photographies de la rétine, avec une bonne corrélation avec ce qui a effectivement été observé chez les patients. Ce modèle de deep learning, dont les résultats ont été publiés en janvier 2024 dans Nature Medicine, avait été entraîné sur 717 308 images de fond d’œil obtenues à partir de plus 179 327 patients.
En août 2024 dans Communications Medicine, des chercheurs du King’s College de Londres ont publié des résultats très encourageants concernant la détection à 1, 2 ou 3 ans de la rétinopathie diabétique à partir d’une IA combinant les données relatives aux facteurs de risque et l’analyse d’images rétiniennes. Une fois validé, un tel système pourrait permettre un dépistage individualisé de la rétinopathie diabétique et détecter les individus à risque afin de proposer un traitement plus précoce.
En France, la joint-venture OphtAI a développé un système de détection automatique par IA de la rétinopathie diabétique et de diagnostic de son degré de sévérité.
Avant que de tels systèmes soient généralisés et utilisés par le plus grand nombre, les performances de ces algorithmes, principalement entraînés sur des bases d’images homogènes, devront être confirmées sur des populations plus diverses, incluant des groupes ethniques plus variés, des images de plus ou moins bonne qualité, les équipements utilisés pour l’obtention des photographies du fond d’œil en couleur, et dans des conditions de « vraie vie ».
Prédire la néphropathie diabétique
Dans le diabète, il existe une corrélation forte entre la survenue des complications oculaires et rénales, autrement dit dans l’apparition d’une rétinopathie et d’une néphropathie diabétique. En effet, comme la rétine, le rein possède de petits vaisseaux pouvant être endommagés par la maladie diabétique. Il existe des similitudes structurelles et physiologiques entre l’œil et le rein. Des anomalies microvasculaires rétiniennes ont ainsi été proposées comme pouvant servir d’indicateurs de lésions microvasculaires associées au dysfonctionnement des reins, en même temps qu’une réduction du débit de filtration glomérulaire (témoin de la fonction rénale) a été associée à des maladies vasculaires rétiniennes.
Le dépistage systématique de la maladie rénale chronique nécessite généralement des analyses sanguines pour estimer le débit de filtration glomérulaire (témoin de la fonction rénale) ou urinaires pour détecter la présence d’albumine (albuminurie), sans parler de la biopsie rénale plus invasive. De fait, ce dépistage précoce de l’insuffisance rénale chronique est insuffisamment pratiqué.
Plusieurs modèles d’IA ont été développés, intégrant données cliniques des dossiers médicaux électroniques et paramètres détectés à l’imagerie rétinienne. Les performances de ces modèles surpassent celles obtenues en appliquant le calcul du score de risque rénal qui prédit le risque de début de maladie rénale diabétique.
Une équipe multicentrique chinoise a rapporté, en octobre 2024 dans la revue npj Digital Medicine, les résultats d’une étude multicentrique conduite dans 23 hôpitaux. Elle montre la possibilité de dépister la néphropathie débutante grâce à l’interprétation d’images de la rétine par l’IA. Les chercheurs ont collecté plus de 123 585 images ultra grand-angle du fond d’œil provenant de 41 469 patients.
Après sélection, ils ont inclus dans leur étude plus de 26 000 images de haute qualité, correspondant à plus de 9 000 patients pour lesquels ils disposaient des analyses de la fonction rénale et de l’albuminurie. Ces images ont ensuite été utilisées pour l’entraînement des algorithmes, des tests de validation et enfin des tests d’évaluation de performance. Le modèle final de deep learning, qui intègre les paramètres des images rétiniennes et des données de l’histoire clinique, a permis d’identifier la maladie rénale chronique, avec une bonne performance.
Ce modèle d’IA s’avère supérieur à d’autres qui n’utilisaient que les images de la partie centrale de la rétine, et non des images ultra grand-angle couvrant également la périphérie. Il s’avère que les caractéristiques des microvaisseaux rétiniens périphériques sont de précieux indicateurs indirects de l’état de la fonction rénale. Il ressort que l’interprétation reste valable même sur des images de moins bonne qualité. Cela tend donc à montrer la robustesse de ce modèle pour une utilisation sur de grandes populations de patients dans le cadre d’un dépistage de masse de la maladie rénale liée au diabète.
Là encore, il s’agira de s’assurer que ces résultats soient validés auprès de populations plus diverses sur le plan ethnique avant d’envisager utiliser ces outils d’IA en routine. Reste aussi à savoir si un tel modèle est également en mesure de prédire la progression de la maladie rénale chronique. Enfin, il sera intéressant de déterminer si ces modèles pourraient aussi être utilisés sur des images de fond d’œil non mydriatique (sans dilatation préalable de la pupille) prises par les patients eux-mêmes.
Détecter la neuropathie diabétique
L’IA s’intéresse également à la possibilité de détecter la neuropathie diabétique, l’hyperglycémie associée au diabète pouvant endommager à la longue les nerfs et perturber leur fonctionnement. Cette complication est souvent ignorée du patient diabétique, car souvent silencieuse. Des algorithmes, entraînés sur des images de cornée se sont révélés prometteurs dans la détection de la neuropathie diabétique. En effet, la microscopie confocale cornéenne permet d’observer in vivo les différents composants du tissu cornéen, dont de fins filets nerveux constituant le plexus nerveux sous épithélial.
La neuropathie diabétique peut aussi aider à prédire le risque de survenue de complications aux pieds, à savoir des ulcérations, qui comportent un risque infectieux. Là encore, l’IA pourrait être utile pour une détection précoce de ces ulcères, déterminer leur sévérité, évaluer la pression plantaire, identifier une infection dès son début, voire prédire l’évolution vers la cicatrisation.
Récemment publiée dans Cardiovascular Diabetology, une étude a rapporté les résultats encourageants d’un modèle de deep learning utilisant des images rétiniennes pour évaluer la neuropathie autonome cardiaque de patients diabétiques. Cette atteinte du système nerveux autonome, sympathique et parasympathique, entraîne une hypotension orthostatique, dont les signes sont la fatigue, des sensations vertigineuses, une vue trouble, voire une syncope après un passage de la position couchée à la position debout. D’autres complications cardio-vasculaires sont possibles telles qu’une tachycardie fixe, voire un risque de mort subite. Il existe également chez ces patients une mortalité accrue du fait d’un risque élevé d’infarctus silencieux du myocarde.
Concernant les complications macrovasculaires du diabète, celles qui affectent les gros vaisseaux et le cœur, des modèles de deep learning ont exploré la possibilité de prédire le risque d’insuffisance cardiaque et de maladie cardiovasculaire chez des patients diabétiques à haut risque. Ces systèmes n’ont pas encore été validés par rapport aux calculateurs actuels permettant d’évaluer le risque cardiovasculaire à 10 ans.
Enfin, l’IA a commencé à explorer la possibilité de prédire le risque de maladie neurodégénérative, en particulier de maladie d’Alzheimer, chez les patients vivant avec un diabète de type 2. Deux études chinoises conduites sur de petits effectifs, utilisant respectivement l’apprentissage automatique et l’apprentissage profond sur des images d’IRM cérébrale, ont été publiées en 2022 dans Frontiers in Neurosciences. Les résultats, qui montrent que ces modèles présentent une bonne performance d’identification du déclin cognitif, n’ont cependant pas fait l’objet d’une validation externe.
À suivre…
Marc Gozlan (Suivez-moi sur X, Facebook, LinkedIn, Mastodon, Bluesky)
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