Le tabagisme constitue un facteur de risque de pré-diabète et de diabète de type 2 (DT2). Le tabagisme est associé à une dégradation de l’équilibre glycémique et représente la première cause de mortalité des patients vivants avec un DT2. Il incombe donc aux professionnels de santé d’informer tous les patients atteints de diabète sur les risques associés au tabagisme et de leur conseiller d’arrêter de fumer ou de ne pas commencer. Ainsi, promouvoir le sevrage tabagique et prévenir le tabagisme chez le sujet à risque de DT2 constituent une priorité de santé publique, selon un rapport d’experts publié dans le numéro daté de novembre 2022 de la revue Diabetes & Metabolism.
Vincent Durlach (CHU de Reims), Anne-Laurence Le Faou (hôpital George Pompidou, Paris) et dix autres experts de la Société Francophone de Tabacologie (SFT) et de la Société Francophone du Diabète (SFD) ont réalisé une revue approfondie de la littérature et rédigé un document de consensus résumant les données disponibles sur l’association entre tabagisme et diabète, de même que sur l’impact du tabagisme et de l’arrêt du tabac chez les personnes atteintes de diabète de type 1 (insulino-dépendant car dû à une absence de sécrétion d’insuline par le pancréas), de type 2 et de diabète gestationnel (apparaissant lors de la grossesse).
La prévalence du tabagisme dans le monde est de l’ordre de 20,8 % chez les individus avec un diabète de type 2. On rappelle que les personnes atteintes de DT2 sécrètent de l’insuline, mais que cette hormone régule avec moins d’efficacité le taux de glucose dans leur sang. Les hommes vivant avec un DT2 sont près de cinq fois plus nombreux que les femmes à fumer (37,1 % vs 7,5 %). Même si la prévalence du tabagisme est plus élevée chez les hommes que chez les femmes, elle augmente régulièrement chez les femmes diabétiques, à l’instar de ce que l’on observe dans la population non-diabétique. Les données concernant le diabète de type 1 sont plus limitées.
La prévalence des fumeurs est comprise entre 10 % et 30 % chez les personnes avec DT1. En 2007, l’étude Entred (en cours de réévaluation), menée sur un échantillon national témoin représentatif des personnes diabétiques, avait montré une prévalence du tabagisme de 13 % chez les personnes ayant un diabète de type 2 et de 39 % chez celles atteintes d’un diabète de type 1. On ne dispose que de peu de données chez les femmes enceintes diabétiques.
Chez les individus avec DT1 et DT2, le tabagisme est plus fréquent chez les patients jeunes et les individus physiquement inactifs. Il est par ailleurs inversement corrélé au statut socio-économique des patients.
De nombreuses études font état d’une association dose-dépendante entre tabagisme actif et risque de DT2. En 2007, une méta-analyse portant sur 25 études de cohortes prospectives a montré que, en comparaison avec des non-fumeurs, les fumeurs actifs présentaient un risque relatif de développer un DT2 augmenté de 44 %. En 2015, une autre étude similaire portant sur 88 études de cohortes avait trouvé que le fait d’être fumeur était associé à un risque relatif de DT2 augmenté de 37 % par rapport aux personnes n’ayant jamais fumé.
Les données sont plus rares sur le risque de DT2 concernant les seules femmes fumeuses. Le tabagisme actif a été trouvé associé à une augmentation de 27 % du risque de développer un DT2 chez les femmes par rapport aux non-fumeuses. Quant aux recherches sur le risque de développer un DT1, elles sont encore très limitées.
Le tabagisme actif au cours de la grossesse est également associé à un surrisque de développer un diabète gestationnel (DG). Une étude finnoise a ainsi rapporté une augmentation du risque relatif de DG de 65 % chez les femmes qui continuaient à fumer après le premier trimestre de grossesse par rapport aux non-fumeuses.
Il apparaît également que le tabagisme passif est associé à une augmentation du risque de DT2 et de diabète gestationnel.
À l’inverse, le risque de développer un DT2 chez d’anciens fumeurs devient équivalent à celui de non-fumeurs dix ans après l’arrêt de consommation de tabac.
Diminution de la sécrétion d’insuline et insulinorésistance
Les mécanismes moléculaires qui sous-tendent l’association entre tabagisme et diabète incluent une diminution de la sécrétion d’insuline et une augmentation de l’insulinorésistance, définie comme une moindre capacité des cellules et des tissus de répondre à l’action de l’insuline.
Bien que les données montrent que le tabagisme augmente la résistance à l’insuline chez les personnes en bonne santé et celles atteintes de diabète, les mécanismes exacts restent à élucider. L’insulinorésistance semble en partie résulter de l’augmentation de la sécrétion de certaines hormones induite par la nicotine. Ces hormones sont le cortisol, les catécholamines et l’hormone de croissance, qui toutes contrecarrent l’action de l’insuline, ce qui entraîne un besoin accru en insuline. La nicotine a également pour effet de diminuer la captation du glucose des cellules musculaires, ce qui accentue la résistance à l’insuline.
Le tabagisme modifie par ailleurs l’équilibre entre hormones mâles et femelles via l’action anti-œstrogène qu’exercent certains composés (alcaloïdes) du tabac, dont la nicotine, avec pour conséquence de favoriser une distribution des graisses de type androïde (répartition de la masse graisseuse dans la partie haute du corps, en particulier au niveau du ventre). Les fumeurs présentent en effet un risque accru d’obésité abdominale.
Les mécanismes moléculaires impliqués
Le tabagisme favorise également un état inflammatoire chronique de faible niveau (dit de bas grade), un mauvais fonctionnement des cellules qui tapissent l’intérieur des vaisseaux (dysfonction endothéliale), un stress oxydatif (agressions causées par des molécules dérivées de l’oxygène). Tout ceci peut concourir à un état d’insulinorésistance.
Bien que les études ayant évalué l’impact du tabagisme sur la résistance à l’insuline ont exclusivement porté sur la nicotine, il convient d’avoir à l’esprit que la fumée de cigarette renferme plus de 4 700 substances, dont des métaux lourds (plomb, arsenic, mercure, cadmium), également susceptibles d’entraîner une insulinorésistance.
Outre les effets du tabagisme sur la résistance à l’insuline, le tabac peut également perturber le fonctionnement des cellules bêta pancréatiques sécrétrices d’insuline. Une diminution de la fonction de ces cellules chez les fumeurs pourrait être directement imputable à la nicotine, dans la mesure où la présence de récepteurs nicotiniques a été identifiée dans les îlots pancréatiques au niveau des terminaisons du système nerveux sympathique.
Le tabagisme, première cause de mortalité des diabétiques DT2
Les fumeurs présentent un risque accru de mortalité (toutes causes confondues), de complications touchant les petits vaisseaux sanguins (complications microvasculaires) et des artères principales (atteinte dite macrovasculaire), de cancer et de détérioration de l’équilibre glycémique. Ce risque augmente de manière dose-dépendante.
En 2013, une méta-analyse d’études observationnelles prospectives portant sur près de 13 000 personnes avec DT1 ou DT2 a rapporté que le tabagisme augmente la mortalité globale de 48 %, la mortalité d’origine cardiovasculaire de 36 %, le risque de maladie coronarienne de 54 %, celui d’infarctus du myocarde de 52 % et celui d’accident
vasculaire cérébral de 44 %.
En comparaison avec les hommes fumeurs, les femmes diabétiques qui fument présentent un risque accru de maladie coronarienne.
La Nurses’ Health Study, étude prospective conduite auprès d’infirmières diabétiques américaines, a ainsi montré que le risque de faire un événement cardiovasculaire et de décès augmente avec le nombre de cigarettes consommées par jour. Par rapport aux personnes n’ayant jamais fumé, le risque de décès chez les femmes avec DT2 est augmenté de 43 % chez celles qui fument entre 1 et 14 cigarettes par jour, de 64 % chez celles qui fument entre 15 et 34 cigarettes par jour.
Des études ont montré que le tabagisme aggrave la dyslipidémie, c’est-à-dire le taux élevé des lipides sanguins, avec une augmentation du LDL-cholestérol (« mauvais cholestérol ») et des triglycérides et une baisse du HDL-cholestérol (« bon cholestérol ») des fumeurs diabétiques, en comparaison avec les non-fumeurs diabétiques. Cette aggravation de la dyslipidémie semble être un des mécanismes par lequel le tabagisme augmente le risque cardiovasculaire chez les sujets diabétiques. D’autres mécanismes sont impliqués tels que des effets directs sur l’endothélium vasculaire, l’activation des plaquettes sanguines, le stress oxydatif, l’inflammation chronique de bas grade. Autant d’actions délétères favorisant la survenue d’athérosclérose et de maladies cardiovasculaires.
Le tabagisme, acteur majeur des complications micro- et macrovasculaires
Le tabagisme expose également, en particulier chez les diabétiques de type 1, à des complications microvasculaires, désignées sous le terme générique de micro-angiopathie, qui peuvent concerner les petits vaisseaux du rein (néphropathie), de la rétine (rétinopathie), des nerfs (neuropathie).
Des études ont montré que le tabagisme est associé à un risque accru de développer une néphropathie chez les personnes avec un DT1, mais pas chez ceux ayant un DT2. Le tabagisme favorise probablement le développement et la progression de la néphropathie diabétique en exerçant une action délétère sur le contrôle de la glycémie, des lipides sanguins, et en induisant un stress oxydatif, un état inflammatoire et des lésions de l’endothélium vasculaire.
Le risque de rétinopathie diabétique est augmenté chez les fumeurs atteints de DT1 (+ 74 %), mais pas chez les individus avec un DT2 (- 35 %).
Le tabagisme peut également augmenter le risque d’ulcère du pied. Une méta-analyse sur 25 études portant sur des individus atteints de DT1 et DT2 a montré que la consommation de tabac est associée à un risque augmenté de 38 % d’amputation du pied chez les patients diabétiques.
Le tabagisme majore le risque de lésions nerveuses par le biais du stress oxydatif. Il exerce cependant aussi un effet toxique direct et peut induire une neuropathie diabétique périphérique via l’hypoxémie (faible taux d’oxygène dans le sang), qui, à son tour, augmente le risque d’amputation du pied en retardant le processus de cicatrisation.
En ce qui concerne le risque de cancer, les données proviennent essentiellement de cohortes de patients vivant avec un diabète de type 2. La consommation de tabac chez les sujets diabétiques est associée à un surrisque de survenue de cancer. Une étude taïwanaise a montré que le tabagisme est associé à un excès de mortalité par cancer (+ 46 %) par rapport à des personnes n’ayant jamais fumé. L’existence d’un tabagisme et d’un diabète est associée à une augmentation du risque de développer, et de mourir, d’un cancer du pancréas, d’un cancer du foie (carcinome hépatocellulaire), d’un cancer colorectal. Cet excès de risque de cancer incident et cet excès de mortalité par cancer décroissent heureusement après l’arrêt du tabac. On manque de données évaluant l’association entre tabagisme et cancer pour les personnes avec un DT1.
Les diabétiques fumeurs actuels présentent également un risque plus élevé d’hospitalisation pour infection en comparaison aux diabétiques non-fumeurs. Une large étude prospective conduite à Hong Kong a montré un risque augmenté de 32 % du risque d’hospitalisation pour une infection, tous sites confondus. Ce risque était majoré de 47 % pour les infections génito-urinaires, de 35 % pour les infections cutanées et de 69 % pour les infections respiratoires.
Une étude américaine a rapporté que le tabagisme est associé à un risque de développer un trouble dépressif majeur ou mineur. Il existe une relation entre le nombre de cigarettes fumées et l’intensité des symptômes dépressifs. Ces résultats soulignent l’importance d’entreprendre précocement un sevrage tabagique dans le cadre de la prise en charge globale du diabète. Les mécanismes par lesquels le tabagisme augmente le risque de dépression ne sont pas clairs. L’hypothèse a été formulée que le tabagisme contribue à une inflammation chronique de bas grade, elle-même associée à la dépression. Le tabagisme pourrait également être associé à un surrisque de dépression via une hypersécrétion de cortisol et une diminution de l’activité de l’enzyme monoamine oxydase (impliquée dans la dégradation de la sérotonine, un neurotransmetteur).
Une étude allemande a rapporté que le tabagisme maternel fait plus que tripler le risque de mortalité périnatale et de malformations congénitales chez les femmes enceintes présentant un diabète avant la grossesse. Ces résultats soulignent l’importance de surveiller étroitement ces femmes et de les inciter fortement à arrêter de fumer.
Parmi les autres complications, on peut noter que le tabagisme augmente le risque de maladie parodontale et de fractures non-vertébrales chez les femmes ménopausées.
Dans le DT1, DT2 et DG, le tabagisme est associé à un faible contrôle glycémique
Chez les patients avec DT1, DT2 et les femmes présentant un diabète gestationnel, le tabagisme actif est associé à une détérioration de l’équilibre glycémique, de manière dose-dépendante. Les anciens fumeurs ayant arrêté le tabac depuis moins de dix ans demeurent à risque élevé de faible contrôle glycémique, avec un risque qui décroît après dix ans de sevrage tabagique pour approcher celui des non-fumeurs.
Les sujets diabétiques non-fumeurs ont un taux d’hémoglobine glyquée (HbA1c, reflet de la glycémie) moins élevé que les diabétiques fumeurs. Les études ayant exclusivement porté sur des sujets diabétiques DT1 ont rapporté que le tabagisme est indépendamment associé à un mauvais contrôle glycémique, les fumeurs ayant recours à des doses moyennes d’insuline plus élevées. Surtout, la consommation de tabac augmente le risque d’hypoglycémie chez les patients avec un DT1. De même, des études sur de faibles effectifs semblent montrer que le tabagisme est associé à plus de temps passé en hyperglycémie et en hypoglycémie par rapport aux non-fumeurs. Ces résultats devront cependant être confirmés sur de plus grandes études prospectives.
Concernant le diabète gestationnel (DG), il a été montré que les femmes avec DG qui fument en début de grossesse avaient un taux d’hémoglobine glyquée plus élevé que les non-fumeuses.
Nécessité du sevrage tabagique chez le diabétique
Une méta-analyse de 102 études colligeant plus de 169 500 participants en population générale a montré que l’arrêt du tabac est associé à des améliorations de la santé mentale (amélioration légère à modérée des symptômes d’anxiété, de dépression et de stress). Le sevrage tabagique est associé à une réduction du risque de progression de la néphropathie des patients diabétiques DT1 et DT2.
Le sevrage tabagique s’accompagne souvent d’une prise de poids chez les patients avec ou sans diabète. Les mécanismes responsables apparaissent notamment en rapport avec
une diminution du métabolisme et une augmentation de l’apport calorique. La prise de poids suivant l’arrêt du tabac diminue cependant avec le temps. Une méta-analyse de 62 essais cliniques randomisés en population générale a montré un gain de 4 à 5 kg après 12 mois d’abstinence tabagique, la majorité de la prise de poids survenant au cours des trois mois suivant le sevrage.
L’arrêt du tabac est associé à une détérioration du contrôle glycémique au cours de la première année de sevrage, l’hémoglobine glyquée augmentant de 0,21 % au cours de l’année. Cependant, au fur et à mesure du sevrage tabagique, le contrôle glycémique s’améliore et devient comparable à celui de non-fumeurs après trois ans. Cette augmentation de l’HbA1c est sans rapport avec la prise de poids. Il est important que les efforts visant à l’arrêt du tabac soient accompagnés d’une étroite surveillance des paramètres glycémiques et du renforcement des mesures hygiéno-diététiques (augmentation de l’activité physique et amélioration du régime alimentaire).
En résumé, « chez les sujets diabétiques, le sevrage tabagique est associé à des bénéfices substantiels en matière de santé, notamment en termes de risques de décès prématuré, de morbidité et mortalité cardiovasculaires, de survenue de cancer et de mortalité par cancer, d’infections et d’hospitalisations pour infection, d’amélioration des symptômes d’anxiété, de dépression et de stress, et d’amélioration du pronostic fœtal et maternel en cas de diabète gestationnel », peut-on lire dans le document de consensus des experts de la SFT et de la SFD.
Les recommandations actuelles de la Société européenne de cardiologie (ESC) et de l’Association européenne pour l’étude du diabète (EASD) soulignent l’intérêt de la nécessité du sevrage tabagique chez les sujets pré-diabétiques et diabétiques, et ce alors même que « cette mesure thérapeutique essentielle n’est pas suffisamment prise en considération par les professionnels de santé en diabétologie », déplorent les auteurs dans un article du Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire (BEH) à paraître le 8 novembre 2022. Intitulé « Tabagisme et diabète : le temps de l’action », ce texte émane des experts signataires du document de consensus de 14 pages publié dans Diabetes & Metabolism.
Ces experts s’accordent pour considérer que l’on peut transposer chez les diabétiques fumeurs les interventions utilisées en population générale non-diabétique fumeuse. Ils estiment ainsi que des interventions psycho-comportementales (intervention brève, entretien motivationnel, activité physique, programmes d’éducation thérapeutique) devraient être associées à une aide pharmacologique. Selon eux, ceci augmenterait de 70 % à 100 % les chances de succès du sevrage tabagique par rapport aux seules interventions comportementales. Et de plaider pour « une prise en charge thérapeutique du sevrage tabagique chez les patients diabétiques », tout en estimant qu’« une sensibilisation et une formation à l’aide au sevrage tabagique des équipes éducatives diabétologiques sont par ailleurs indispensables ».
« La formation des personnels médicaux et paramédicaux à l’aide au sevrage tabagique est un pilier essentiel pour une bonne prise en charge des patients diabétiques fumeurs », me déclare la docteure Anne-Laurence Le Faou, présidente de la Société Francophone de Tabacologie. « La communication dans ce domaine est donc aujourd’hui considérée comme prioritaire tant en direction des soignants que des patients. Il serait intéressant de former en tabacologie des médecins généralistes via la formation continue, mais également des diabétologues ainsi que des infirmières et infirmiers tant de services hospitaliers de diabétologie qui participent notamment aux programmes d’éducation thérapeutique que les infirmiers qui, en ville, prennent en charge les patients diabétiques », conclut-elle.