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L'auteur

Marc GOZLAN

Je suis médecin de formation, journaliste par vocation. J’ai débuté ma carrière de journaliste médico-scientifique en agence de presse…  Lire la suite.

Acidocétose diabétique sans hyperglycémie marquée : un diagnostic urgent à évoquer chez la femme enceinte

Femme enceinte. Ken Hammond © Wikimedia Commons

Femme enceinte. Ken Hammond © Wikimedia Commons

SOMMAIRE

C’est l’histoire d’une jeune femme de 28 ans, enceinte de 29 semaines, vivant avec un diabète de type 1 (DT1) depuis huit ans et traitée par pompe à insuline. Elle est admise aux urgences de l’hôpital Trousseau à Paris car elle se plaint depuis pratiquement une demi-journée, précisément depuis neuf heures, de céphalées, de vomissements persistants et de diarrhée.

Son traitement par insuline n’a pas été modifié récemment et elle ne prend aucun autre traitement. Elle n’a pas de fièvre, de douleurs abdominales, n’a pas été en contact avec une personne malade et n’a pas consommé de nourriture avariée.

Le taux sanguin de glucose est de 1,6 g/L, c’est-à-dire une glycémie légèrement élevée. Le dosage des corps cétoniques dans le sang (cétonémie) est positif, avec un taux de cétones à 150 mg/L. L’échographie obstétricale est normale, de même que la fréquence cardiaque du fœtus.

Après ce bilan clinique, jugé rassurant, la patiente quitte l’hôpital. Elle y retourne toutefois le lendemain, précisément 19 heures plus tard, car les symptômes s’aggravent. Elle présente une polyurie-polydipsie (elle urine et boit beaucoup), une asthénie (fatigue importante). Elle a perdu 4 kg depuis la veille. Les examens biologiques sanguins révèlent alors une acidose métabolique (avec un pH sanguin à 7,14, inférieur à 7,3 qui est le seuil en deçà duquel on parle d’acidose), la glycémie est à 3 g/L et une cétonémie fortement positive. Cette patiente diabétique présente donc une acidocétose métabolique sans hyperglycémie marquée.

Le rythme cardiaque fœtal montre une tachycardie associée, de façon répétée, à un ralentissement irrégulier. Il est donc décidé de procéder à une césarienne en urgence.

La patiente donne naissance à une petite fille de 1,750 kg. Elle est ensuite transférée dans une unité de soins intensifs où elle reçoit un traitement reposant sur une réhydratation en continu par voie intraveineuse, la correction des troubles électrolytiques, une insulinothérapie intraveineuse avec administration de dextrose (en prévention d’une hypoglycémie induite par la perfusion d’insuline).

La glycémie revient à la normale en l’espace d’une heure, suivie par la disparition de la présence des corps cétoniques dans les urines dix heures plus tard. Le taux de bicarbonates, lui, revient à la normale au bout de 14 heures. La patiente commence une insulinothérapie par voie sous-cutanée après la césarienne et regagne son domicile six jours plus tard.

Le nouveau-né est resté sous ventilation mécanique pendant 72 heures puis a respiré normalement sans assistance respiratoire. L’examen neurologique du nourrisson était normal. Examiné 46 jours plus tard, l’enfant présentait un développement normal, indiquent Julia Mam-Lam-Fouck, Anne Pinton et leurs collègues du département de gynécologie-obstétrique de l’hôpital Trousseau dans un article paru en ligne le 15 mai 2024 dans l’International Journal of Gynaecology and Obstetrics.

Cette patiente a présenté une forme d’acidocétose diabétique qui est passée inaperçue lors de la présentation initiale, et donc non correctement traitée au moment où elle était aux urgences.

On rappelle que la présentation clinique de l’acidocétose diabétique, complication redoutée des patients diabétiques, notamment insulino-dépendants, est une triade associant hyperglycémie supérieure à 2,5 g/L, acidose métabolique et forte concentration en corps cétoniques.

Acidocétose diabétique euglycémique

Cette femme a développé ce que l’on appelle une acidocétose diabétique « euglycémique ». Cette variante de l’acidocétose diabétique est définie par une acidocétose (pH sanguin inférieur à 7,30 et taux de bicarbonates plasmatiques inférieur à 18 mEq/L), mais avec une euglycémie, autrement dit un taux de glucose plasmatique faiblement élevé ou normal (inférieur à 2 g/L).

Dans la mesure où le troisième paramètre de la triade, la glycémie, est légèrement élevé ou proche de la normale, le diagnostic est rendu plus difficile.  Et ce d’autant que les signes cliniques sont les mêmes que ceux de l’acidose diabétique classique (avec hyperglycémie) : douleurs abdominales, nausées et vomissements.

Cette absence d’hyperglycémie marquée peut donc se révéler trompeuse et retarder le diagnostic, alors qu’il s’agit d’une urgence obstétricale.

Une urgence obstétricale nécessitant un diagnostic rapide et un traitement immédiat

On estime qu’une acidocétose diabétique survient dans 0,5 % à 3 % des grossesses de femmes enceintes diabétiques (que le diabète précède la grossesse ou soit gestationnel) et que, parmi ces cas, entre 10 % à 35 % d’entre eux sont euglycémiques.

Plusieurs facteurs peuvent favoriser la survenue de cette complication chez la femme enceinte.

Lors de la grossesse, on observe une hyperventilation maternelle responsable de ce que l’on appelle une alcalose respiratoire. Celle-ci est compensée par une baisse du taux sanguin de bicarbonates (du fait de leur excrétion rénale accrue), qui a pour conséquence une augmentation du risque d’une acidocétose diabétique.

Par ailleurs, la grossesse est elle-même considérée comme un facteur diabétogène car la demande de production d’insuline augmente à mesure qu’augmentent les besoins fœtaux et placentaires, en particulier durant le second trimestre.

À cela s’ajoute le fait que certaines hormones produites par le placenta, dont l’hormone lactogène placentaire, ont un effet inhibiteur sur la sensibilité des tissus vis-à-vis de l’insuline. Cette résistance périphérique à l’insuline induit une lipolyse accrue (dégradation des lipides) et la formation de corps cétoniques (cétogenèse), avec pour conséquence un risque augmenté de cétose.

En outre, la survenue d’un stress, du fait d’une infection aiguë, d’une non-observance du traitement antidiabétique, de vomissements répétés ou d’une période de jeûne prolongé (de plus de 8 heures), constitue un facteur de risque supplémentaire d’acidose métabolique sévère au cours de la grossesse chez une femme ayant par ailleurs une glycémie normale.

Ceci implique qu’un traitement par insuline ne devrait pas être interrompu chez une femme enceinte vivant avec un diabète de type 1. De même, toute acidose inexpliquée chez une femme enceinte présentant des vomissements répétés ou ayant un apport calorique insuffisant devrait conduire le clinicien à évoquer le diagnostic d’acidocétose diabétique euglycémique.

Cette complication a été décrite pour la première fois en 1973 chez 17 patients (dont 11 femmes) ayant un diabète de type 1 après analyse de 211 épisodes d’acidocétose diabétique. Depuis, des cas d’acidocétose diabétique euglycémique ont été rapportés lors d’une grossesse chez des femmes atteintes de diabète de type 1 (DT1), de type 2 (DT2) et de diabète gestationnel. Cette complication est cependant plus fréquente en cas de DT1.

Menace sur le pronostic vital de la mère et du fœtus

Tout retard au diagnostic de l’acidocétose diabétique euglycémique lors d’une grossesse est associé à un risque de complication pouvant menacer le pronostic vital de la mère et du fœtus à court terme : hypoxie fœtale (manque d’oxygénation du fœtus), trouble du rythme cardiaque (arythmie), acidose fœtale.

Les conséquences à long terme pour l’enfant sont un retard mental, une étude ayant montré une corrélation entre des taux élevés de corps cétoniques et une baisse du score du QI. Outre une déficience intellectuelle, sont également à redouter des troubles neurologiques et notamment des crises d’épilepsie.

L’impact délétère sur le fœtus tient à la combinaison d’une déshydratation maternelle sévère, de l’acidose et d’une hypoperfusion utéro-placentaire, le placenta ne recevant plus assez de sang. Les troubles électrolytiques de la mère entraînent un trouble du rythme cardiaque du fœtus. Selon la gravité de l’acidocétose diabétique euglycémique, le taux de mortalité fœtale peut atteindre 70 %.

Anomalies du rythme cardiaque fœtal

Selon les auteurs de ce cas clinique, la survenue d’une acidocétose diabétique euglycémique, en absence de rythme cardiaque fœtal anormal, n’est pas une indication en soi pour une césarienne. Selon eux, il importe toutefois d’évaluer la situation au cas par cas en fonction de l’état clinique de la mère, des résultats biologiques, de l’âge gestationnel du fœtus, du rythme cardiaque fœtal et des données de l’échographie obstétricale.

Et les auteurs de souligner que des cas ont été rapportés dans la littérature où il a été observé une amélioration du tracé du rythme cardiaque fœtal après traitement de l’acidocétose diabétique euglycémique de la mère. Cela dit, ajoutent-ils, « dans notre cas, en raison de l’incertitude concernant la durée des anomalies sévères du rythme cardiaque fœtal, associée aux signes évidents de détresse fœtale sévère, nous avons choisi de procéder à une césarienne d’urgence ».

Que retenir de ce cas clinique, dont l’issue a fort heureusement été favorable à la fois pour la mère et l’enfant ? Avant tout, qu’une femme enceinte ayant un diabète de type 1 peut développer une acidocétose diabétique euglycémique. Le clinicien doit donc évoquer ce diagnostic dans la mesure où un traitement rapide peut aider à empêcher la survenue des conséquences sévères à la fois pour la mère et le fœtus, estiment les auteurs.

Nécessité d’informer le grand public et les soignants

Il est donc essentiel d’identifier et de traiter l’acidocétose diabétique euglycémique le plus rapidement possible, ce qui implique d’informer les femmes enceintes diabétiques et les soignants, en particulier les obstétriciens et les urgentistes, sur les signes et symptômes de cette complication assez méconnue, ainsi que sur les facteurs favorisant sa survenue.

On l’a vu, cette complication peut entraîner des troubles du rythme cardiaque fœtal. Dans un tel cas, une césarienne peut être pratiquée pour améliorer le pronostic néonatal, même si cela implique un accouchement prématuré. En effet, « la poursuite de la grossesse peut entraîner des anomalies cérébrales néonatales irréversibles », concluent les auteurs.

Marc Gozlan  (Suivez-moi sur XFacebookLinkedInMastodonBluesky)

Pour en savoir plus...

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