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L'auteur

Marc GOZLAN

Je suis médecin de formation, journaliste par vocation. J’ai débuté ma carrière de journaliste médico-scientifique en agence de presse…  Lire la suite.

Diabète gestationnel : l’inflammation associée au microbiote intestinal serait impliquée dès le premier trimestre de la grossesse

makingup © Pixabay

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SOMMAIRE

Sera-t-il un jour possible, grâce à l’étude du microbiote intestinal en début de grossesse, de prédire avec un haut degré de fiabilité si une femme risque de développer un diabète gestationnel ?

Il convient de souligner que la grossesse normale constitue un état diabétogène. En effet, il existe alors une sécrétion élevée par le placenta d’hormones ayant une activité antagoniste de l’insuline, comme l’hormone placentaire lactogène, la prolactine, le cortisol et l’hormone de croissance placentaire. À l’échelle de la population mondiale, on estime qu’environ 10 % des femmes enceintes présentent un diabète gestationnel, défini comme un trouble de la tolérance au glucose, conduisant à une hyperglycémie de sévérité variable, débutant ou diagnostiquée pour la première fois pendant la grossesse.

Les femmes exposées à un risque accru de diabète gestationnel (DG) sont notamment celles qui ont un antécédent familial de diabète (type 1 ou 2), une obésité, un âge maternel supérieur à 35 ans, qui ont déjà donné naissance à de gros enfants.  Par rapport à la population européenne caucasienne, la prévalence du DG est environ dix fois supérieure chez les femmes du sous-continent indien et huit fois supérieure chez les femmes d’Asie du Sud-Est.

Le DG est notamment associé à un risque accru de prééclampsie. Parmi les complications périnatales sévères, on note la macrosomie fœtale, définie par un poids d’un bébé à terme de plus de 4 kg.

Le dépistage du DG se fait notamment par une hyperglycémie provoquée par voie orale (HGPO) entre 24 et 28 semaines d’aménorrhée. La stratégie de dépistage vise à identifier les femmes à haut risque d’événement pathologique, qui sont les mieux à même de bénéficier d’une prise en charge intensive. On peut penser qu’un diagnostic précoce du DG est susceptible d’améliorer considérablement les risques à moyen et long terme associés au diabète gestationnel.

Le traitement spécifique du diabète gestationnel consiste en un régime diététique, l’autosurveillance glycémique et éventuellement une insulinothérapie lorsque les objectifs glycémiques ne sont pas atteints après une dizaine de jours de règles hygiéno-diététiques. Il a pour objectif de réduire les complications périnatales sévères, la macrosomie  fœtale et la prééclampsie. L’importance de cette prise en charge thérapeutique a été démontrée sur l’incidence de ces complications.

Une équipe israélienne a rapporté, le 10 janvier 2023 dans la revue Gut, des résultats obtenus à partir d’une grande cohorte prospective composée de 394 femmes. Elle montre que le diabète gestationnel s’accompagne, dès le premier trimestre de la grossesse, de modifications significatives de la composition du microbiote, ce que l’on appelait jadis la flore bactérienne intestinale. Jusqu’à ce jour, très rares sont les études qui se sont intéressées aux biomarqueurs du DG à un stade aussi précoce de la grossesse.

Analyse des profils bactérien, métabolique et inflammatoire au cours du premier trimestre de la grossesse

Yishay Pinto, Omry Koren et leurs collègues de la faculté de médecine de l’université Bar-Ilan (Safed) ont suivi une cohorte de 394 femmes, âgées de 18 à 40 ans, pendant le premier trimestre de grossesse. L’apport alimentaire, l’activité physique sur les 24 heures, les heures de sommeil et le stress ont notamment été évalués, en même temps que des échantillons de sang et de selles ont été régulièrement collectés.

Parmi les 394 femmes enceintes incluses dans cette étude, 44 (11%) ont développé un DG, diagnostiqué sur la base des résultats d’une hyperglycémie provoquée par voie orale (HGPO) au cours du deuxième trimestre de grossesse. Par ailleurs, 350 autres femmes composaient un groupe sain contrôle.

Les chercheurs ont évalué la composition du microbiote intestinal, le taux  d’acides gras à chaîne courte (AGCC), sachant que ceux-ci sont produits par la fermentation des fibres alimentaires par les bactéries intestinales. Ils ont également déterminé, chez les femmes ayant un DG et celles du groupe contrôle, la concentration dans le sang de molécules inflammatoires (cytokines, chimiokines) et hormones.

Élévation du taux de cytokines pro-inflammatoires

Il s’avère que des taux sanguins élevés des cytokines (en l’occurrence les interleukines IL-4, IL-6, IL-8, le GM-CSF et le TNF) ont été détectés chez le groupe des femmes avec DG. En revanche, il n’a pas été observé d’augmentation des taux de leptine (hormone pouvant jouer un rôle dans le métabolisme glucidique pendant la grossesse) et d’insuline. Il a été par ailleurs montré que ces résultats ne semblent pas dépendre de l’IMC (index de masse corporelle), pas plus qu’ils ne sont liés à l’âge.

Les chercheurs ont par ailleurs évalué le taux d’acides gras à chaîne courte (AGCC), dont on sait qu’ils participent à la fois à la réduction de la réponse inflammatoire et qu’ils interviennent dans la capacité de l’organisme à conserver son équilibre en glucose, les spécialistes parlant d’homéostasie glucidique.

Il apparaît que les taux de deux AGCC dits ramifiés, l’isovalérate et l’isobutyrate, sont significativement diminués dans le groupe des femmes ayant développé un diabète gestationnel. Ces AGCC ramifiés résultent de la fermentation bactérienne d’acides aminés branchés, caractérisés par leurs chaînes ramifiées, générés à partir de protéines non digérées atteignant le côlon. Des travaux semblent indiquer qu’ils sont impliqués dans la réduction de l’inflammation.

Les chercheurs ont déterminé, pendant le premier trimestre de la grossesse, la composition du microbiote intestinal chez les femmes qui ont développé un DG et chez celles qui n’ont pas présenté ce trouble plus tard. Les biologistes ont observé une moindre abondance de bactéries du genre Prevotella dans les échantillons de selles recueillis lors du premier trimestre de la grossesse chez les femmes avec DG.

Expériences de transplantation de microbiote fécal chez des souris

Afin de déterminer un éventuel rôle causal du microbiote intestinal dans la survenue du diabète gestationnel, les échantillons de matières fécales provenant de femmes avec DG et de ceux du groupe contrôle ont été transplantés à des souris femelles axéniques (germ-free), c’est-à-dire élevées en laboratoire dans un milieu stérile, totalement dépourvu de germes contaminants.

Après sept jours, la composition du microbiote des souris ayant reçu une transplantation fécale de femmes avec DG différait significativement de celles qui n’avaient pas été transplantées. La souche Prevotella copri, connue pour jouer un rôle positif dans l’homéostasie glucidique et qui avait été trouvée négativement associée chez les femmes avec DG, était également moins abondante chez les souris qui avaient reçu une greffe de microbiote fécal de femmes avec DG. Aucune différence dans les taux de leptine et d’insuline n’a cependant été observée.

Jusqu’à présent, la plupart des études portant sur la composition du microbiote de femmes atteintes de diabète gestationnel reposaient sur des échantillons de selles prélevés une fois que le diagnostic de DG a été établi.

Les analyses sanguines ont montré que les souris transplantées avec le microbiote provenant de femmes avec DG présentent une intolérance au glucose après hyperglycémie provoquée par voie intra-péritonéale. Enfin, ces mêmes souris avaient des taux sanguins élevés en IL-6, à l’instar de ce qu’on observe chez les femmes avec DG. Ces taux élevés d’IL-6 sont sans doute en rapport avec la dysbiose, autrement dit avec les perturbations du microbiote bactérien.  Ces résultats concordent avec ceux obtenus en 2020 par une équipe chinoise lors d’expériences de transfert à des souris axéniques du microbiote fécal prélevé lors du premier et second trimestre de grossesse chez des femmes ayant un diabète gestationnel.

L’inflammation, marqueur précoce du diabète gestationnel

Ce n’est pas la première fois que l’on observe un taux élevé de cytokines pro-inflammatoires, en l’occurrence d’interleukine-6 (IL-6) au cours de la grossesse chez des femmes présentant un diabète gestationnel. Cela dit, la grande majorité de ces études portait sur des femmes au deuxième ou troisième trimestre de grossesse, de même qu’après connaissance du diagnostic de DG. On dispose également de peu d’études sur la diversité du microbiote intestinal avant la grossesse chez des femmes ayant développé un diabète gestationnel, ainsi que sur sa composition au cours de la période du post-partum.

En analysant la totalité des données collectées au cours du premier trimestre de grossesse sur la composition du microbiote intestinal, le profil des cytokines, l’histoire médicale des participantes, avec des algorithmes d’intelligence artificielle (machine learning) pour obtenir une vue cohérente, les chercheurs indiquent avoir réussi à prédire, avec un très haut degré de précision, la survenue ultérieure d’un diabète gestationnel, des semaines, voire des mois, avant que cette complication ne soit typiquement diagnostiquée.

Machine-learning

Ils précisent que leur modèle de machine-learning a obtenu un taux de prédiction comparable lorsqu’il a été utilisé sur une base de données provenant de femmes chinoises, ce qui tend à montrer, selon eux, que leurs résultats sont, au moins en partie, généralisables malgré les différences ethniques entre les cohortes analysées.

Il apparaît notamment que les différences de consommation alimentaire durant le premier trimestre de grossesse ne semblent pas influer sur le risque de développement du diabète gestationnel.

En résumé, le diabète gestationnel serait associé à une inflammation induite par le microbiote. Son début s’accompagnerait, dès le premier trimestre de la grossesse, d’une signature bactérienne et de la présence de biomarqueurs inflammatoires. La connaissance de ces divers paramètres biologiques permettrait de gagner plusieurs semaines sur le moment où le DG est généralement diagnostiqué.

Les résultats des chercheurs israéliens, obtenus chez une large cohorte de femmes enceintes et lors d’expériences de transplantation fécale chez la souris, tendent à montrer que l’inflammation induite par le microbiote intestinal semble jouer un rôle important dans la progression du diabète gestationnel.

Reste cependant à déterminer si la dysbiose est la cause ou la conséquence du DG. En effet, le diabète gestationnel est-il véritablement causé par un déséquilibre de la flore intestinale bactérienne ou par les métabolites dérivés du microbiote, c’est-à-dire les substances synthétisées par certaines bactéries intestinales ? La question se pose également pour d’autres micro-organismes, notamment des champignons microscopiques.

Rôle possible du mycobiote

Publiée en juin 2022 dans la revue en ligne Scientific Reports, une étude italienne a rapporté une prédominance de certaines espèces fungiques potentiellement dotées d’effets inflammatoires chez les femmes avec DG, par rapport aux femmes enceintes avec une glycémie normale. Dans le diabète gestationnel, il existerait un changement notable de la composition des champignons microscopiques (qui forment le mycobiote*) au cours des deuxième et troisième trimestres de la grossesse.

Les espèces fongiques Kluyveromyces, Metschnikowia et Pichia ont été trouvées à une plus grande fréquence chez les femmes avec diabète gestationnel. Certaines interactions complexes entre bactéries et champignons s’en trouvent modifiées. Ce domaine de recherche sur le mycobiote n’en est qu’à ses débuts, mais ouvre de nouvelles perspectives en santé humaine.

Quoi qu’il en soit, ce travail des chercheurs israéliens ouvre une piste de recherche vers une détection plus précoce du diabète gestationnel et donc sur une prise en charge thérapeutique plus rapide, voire possiblement sur les moyens d’interrompre sa progression. Le développement de stratégies visant à promouvoir un microbiote et un mycobiote bénéfiques pendant la grossesse pourrait permettre de moduler l’inflammation et la résistance à l’insuline associées au diabète gestationnel.

Marc GOZLAN (Suivez-moi sur Twitter, Facebook, LinkedIn, Mastodon)

* Le mycobiote est un terme issu de la contraction de « mycologie », discipline consacrée à l’étude des champignons, et de « microbiote ». Le nombre de ces cellules fongiques est bien moindre que celui des cellules bactériennes. Le mycobiote intestinal humain représente environ 0,1 % des espèces microbiennes présentes dans l’appareil digestif.

Pour en savoir plus...

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