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L'auteur

Marc GOZLAN

Je suis médecin de formation, journaliste par vocation. J’ai débuté ma carrière de journaliste médico-scientifique en agence de presse…  Lire la suite.

La grande et petite histoire de la découverte de l’insuline et du prix Nobel de médecine 1923 (1er épisode)

Rostène W, De Meyts P. Endocr Rev. 2021 Sep 28;42(5):503-527.

Frederick Banting, John Macleod, Charles Best et James Collip, autour d’une molécule d’insuline et d’un flacon. Rostène W, De Meyts P. Endocr Rev. 2021 Sep 28;42(5):503-527.

SOMMAIRE

Le 25 octobre 1923, il y a tout juste 100 ans, les 19 membres de l’Institut Karolinska de Stockholm attribuaient, à l’issue d’un vote à bulletin secret, le prix Nobel de physiologie et de médecine à Frederick Grant Banting et John James Rickard Macleod du département de physiologie de l’université de Toronto pour la découverte de l’insuline l’année précédente. Ce prix Nobel venait couronner les efforts des deux chercheurs canadiens pour trouver un traitement du diabète, une épopée commencée depuis trois décennies.

L’équipe canadienne comportait deux autres chercheurs : Charles Herbert Best et James Bertram Collip.

Alors que l’histoire n’a retenu que les noms de Banting et de Best, la découverte de l’insuline est l’aboutissement de trois décennies de tentatives infructueuses d’isolement du ferment glycolique présent dans ce que Claude Bernard avait appelé, en 1885, la « sécrétion interne » du pancréas. Cette découverte fut précédée de nombreux travaux, dont certains étaient sur le point d’aboutir.

C’est cette saga passionnante que je tiens à vous raconter, en cinq épisodes, tant elle mêle déboires, échecs, espoirs et réussites, et montre en même temps que médecins et chercheurs sont des êtres humains avec leurs caractères, leurs égos, leurs forces et leurs faiblesses. Mais, plus que tout, cette longue et fascinante histoire illustre à merveille ce qu’est la démarche scientifique. La découverte de l’insuline réunit ainsi les résultats issus de la physiologie, de la chirurgie expérimentale chez l’animal, de la biochimie, de l’expérimentation thérapeutique chez l’animal et de l’administration d’une substance médicamenteuse chez l’homme.

La découverte de l’insuline marque assurément un tournant majeur dans l’histoire de la médecine. Les parcours des pionniers de la recherche sur un traitement du diabète ainsi que celui des deux lauréats du prix Nobel de physiologie et de médecine et de leurs collègues de l’université de Toronto, Charles Herbert Best et James Bertram Collip, méritent d’être racontés en détail. Voici leurs histoires.

1er épisode :

Les pionniers du vieux continent : Gley, Zülzer

 

Oskar Minkowski (à gauche) et Joseph von Mering (à droite). Rostène W, De Meyts P. Endocr Rev. 2021 Sep 28;42(5):503-527.
Portraits de Oskar Minkowski (à gauche) et Joseph von Mering (à droite), reproduits par Rostène W, De Meyts P. Endocr Rev. 2021 Sep 28;42(5):503-527.

On peut faire remonter le début de cette épopée à 1889 lorsqu’Oskar Minkowski (1858-1931) et  Joseph von Mering (1849-1908) démontrent, à Strasbourg, que l’ablation du pancréas (pancréatectomie) provoque chez l’animal un diabète sucré, et à 1892 quand Emmanuel Charles Edouard Hédon (1863-1933), à Montpellier, montre à l’inverse qu’une greffe sous-cutanée de fragments de pancréas corrige cette hyperglycémie. C’est à partir de ces observations capitales que d’autres scientifiques ont entrepris d’isoler au sein du pancréas la mystérieuse substance capable de traiter le diabète.

Marcel Eugène Émile Gley (1857-1930)

Portrait de Marcel Eugène Émile Gley, reproduit par de Leiva-Hidalgo A, et al. Acta Diabetol. 2023 Sep;60(9):1241-1256.
Portrait de Marcel Eugène Émile Gley, reproduit par de Leiva-Hidalgo A, et al. Acta Diabetol. 2023 Sep;60(9):1241-1256.

Parmi les pionniers de la recherche visant à l’obtention d’un extrait pancréatique capable de faire baisser la glycémie, il faut citer Marcel Eugène Émile Gley (1857-1930), qui a étudié la médecine à Nancy. En 1887, il devient vice-président de la Société de Biologie et en 1908 professeur au Collège de France et à l’université de Paris (Sorbonne).

Entre 1891 et 1905, Gley mène une série d’expériences montrant la présence d’une hormone antidiabétique dans des extraits pancréatiques de « pancréas dégénéré », ces résidus de pancréas fibrosé d’origine animale ayant été obtenus selon la technique de Claude Bernard. Celle-ci consiste à injecter de la gélatine dans les conduits pancréatiques et attendre la dégénérescence du pancréas, puis de confectionner à partir des résidus un extrait injecté par voie intraveineuse à des chiens ayant subi l’ablation du pancréas.

Dans un article en 1891, reproduisant les expériences d’Oskar Minkowski, Joseph von Mering et Claude Bernard, Gley montre que sa procédure de pancréatectomie provoque un diabète expérimental, démontrant ainsi la réalité de la sécrétion interne du pancréas. Dans une seconde publication en 1892, il confirme, a contrario, que l’atrophie des acini pancréatiques, cellules qui ont pour fonction de synthétiser des enzymes digestives, ne provoque pas la survenue d’un diabète expérimental.

Curieusement, Gley choisit de ne pas publier ses résultats, mais de les consigner dans une enveloppe cachetée qu’il remet en février 1905 au secrétaire de la Société de Biologie (Paris), avec pour instruction de ne l’ouvrir que quand il en fera la demande. Gley cesse par la suite de travailler sur des extraits pancréatiques, invoquant une insuffisance de moyens.

Le 23 décembre 1922, après que Banting et Best ont rendu publique leur découverte, Gley demande à ce que soit ouverte l’enveloppe cachetée remise 17 ans plus tôt. Gley décrit son expérience du 20 février 1905 et explique qu’il a préparé des extraits de résidus sclérosés de pancréas animal, a constaté qu’ils ont diminué significativement la glycosurie (présence de glucose dans l’urine) de chiens rendus diabétiques et qu’ils ont permis l’amélioration des symptômes du diabète de ces animaux pancréatectomisés. Gley énonce la théorie selon laquelle l’administration de son extrait démontre la présence d’une hormone antidiabétique d’origine pancréatique et conclut qu’ « il sera assez important d’isoler le principe actif de ces extraits, à savoir la sécrétion interne du pancréas et d’en étudier le mécanisme d’action ».

Les résultats de Gley précèdent de longtemps ceux de Banting et Best. Gley, qui se distingua par ailleurs par la découverte du rôle physiologique des glandes parathyroïdes, sera nommé à de nombreuses reprises pour le prix Nobel de médecine entre 1921 et 1931.

L’histoire retiendra que, contrairement à d’autres chercheurs, Gley ne revendiquera pas l’antériorité de ses travaux et félicitera même Macleod pour avoir réussi à produire un extrait utilisable pour soigner des patients diabétiques. En 1926, trois ans après l’attribution du prix Nobel, Macleod reconnaîtra la contribution majeure de Gley et reproduira dans son ouvrage Carbohydrate Metabolism and Insulin la procédure du chercheur français pour obtenir son extrait pancréatique aux effets bénéfiques sur la sécrétion de glucose dans l’urine.

Georg Ludwig Zülzer (1870-1949)

Photographie de Georg Ludwig Zülzer, reproduit par de Leiva-Hidalgo A, et al. Acta Diabetol. 2023 Feb;60(2):163-189.  Archive historique. Université Humboldt, Berlin.
Photographie de Georg Ludwig Zülzer, reproduit par de Leiva-Hidalgo A, et al. Acta Diabetol. 2023 Feb;60(2):163-189.  Archive historique. Université Humboldt, Berlin.

Un autre médecin et chercheur a approché d’encore plus près la solution : Georg Ludwig Zülzer. Ce jeune médecin berlinois est le premier à avoir mis au point et utilisé chez l’homme un extrait pancréatique actif.

Son père, le professeur Wilhelm Zülzer, qui occupe la chaire du département de médecine interne à l’université de Berlin, est issu d’une riche famille juive de Breslau (aujourd’hui Wrocław, en Pologne). Georg Ludwig Zülzer est né le 10 avril 1870 à Berlin. Après des études de médecine à Freiburg et Berlin, et une thèse passée à l’université de Friedrich Wilhelm (actuellement université Humboldt de Berlin), il travaille comme assistant, notamment à Lyon (avec le Pr Raphaël Lépine et Léon Bouveret) et à Giessen, où il rencontre l’endocrinologue Ferdinand Blum qui décrit un diabète associé à l’adrénaline, substance produite par la glande surrénale. C’est ainsi que Zülzer en vient à s’intéresser au diabète qu’il suppose être causé par un déséquilibre entre la sécrétion d’adrénaline et celle d’une substance d’origine pancréatique, capable d’abaisser la glycémie.

Zülzer, qui s’est orienté vers la médecine interne, devient médecin chef d’une clinique à Berlin. Après la Première Guerre mondiale, il prend la direction du service de médecine interne de l’hôpital Lankwitz à Berlin.

Pendant douze ans, de 1902 à 1914, il va tenter de produire un extrait pancréatique pour traiter le diabète. Huit publications et trois brevets témoignent de cet effort acharné. Il commence à injecter un extrait de surrénale à des lapins et constate la présence de glucose dans leur urine. Lorsqu’il injecte en même temps son extrait pancréatique, il n’observe pas de glycosurie. Son extrait empêche donc l’effet diabétogène de l’adrénaline chez l’animal.

Zülzer évalue sur des chiens pancréatectomisés l’effet d’extraits de pancréas de veaux, de chevaux, de moutons et de porcs. Il utilise de l’alcool pour fabriquer son extrait, ce qui entraîne la précipitation d’un grand nombre de protéines, mais ne suffit pas pour se débarrasser de protéines contaminantes. Lors de ces expériences réalisées en 1905 mais publiées seulement en 1908, il fait macérer le tissu pancréatique dans un mortier contenant du sable, ajoute du gel de silice à ce mélange et filtre le tout. Il chauffe ensuite cet extrait liquide avec de l’alcool afin de précipiter les protéines. Il utilise cet extrait pour la première fois en août 1905 sur un chien. Après injection intraveineuse d’une préparation contenant 1 g de son extrait, il observe une réduction de la glycosurie.

Entre 1906 et 1908, il traite avec son extrait huit patients hospitalisés dans différents hôpitaux. Il note des effets bénéfiques chez au moins six d’entre eux, avec une réduction de la glycosurie et de la cétonurie, bien qu’ils présentent des effets secondaires importants : fièvre, vomissements, hypertonie musculaire, lésions de la muqueuse buccale (stomatite).

Mais Zülzer persévère et le 14 juillet 1907 commence à traiter un enfant diabétique de six ans, dénutri, présentant une glycosurie et une cétonurie élevées. Une administration répétée d’extrait pancréatique par voie intraveineuse s’accompagne d’une diminution de la glycosurie et de la disparition des corps cétoniques. Malheureusement, Zülzer n’est pas en mesure de produire plus d’extrait. L’enfant sort de l’hôpital le mois suivant et décède quelques jours plus tard.

Il présente ses résultats le 15 juin 1908 lors d’un congrès de médecine interne à Berlin, déclarant que « l’administration intraveineuse de cette hormone du pancréas a été capable d’abaisser la glycosurie et la cétonurie pendant un certain temps ». Les résultats de ces recherches sont cités dans un traité d’endocrinologie publié en 1910 par le professeur Arthur Biedl, considéré comme l’un des fondateurs de l’endocrinologie moderne.

Contrairement à Banting et Best, Zülzer pense que l’hormone pancréatique qu’il recherchait n’est pas une protéine. Il a certainement produit des extraits efficaces, mais également d’autres qui ne l’étaient pas, ce qui explique qu’il ait obtenu des résultats différents sur les animaux ainsi que sur les patients traités.

Le financement de ses travaux est difficile. Le laboratoire E. Schering de Berlin finance sa recherche, avant de se désengager.

En 1908, Zülzer veut utiliser des pancréas de poissons en provenance de Naples. En effet, dans cette espèce, les îlots de Langerhans (composés de petits groupements de cellules pancréatiques) sont regroupés dans des organes distincts du pancréas et sont donc plus faciles d’accès. Il tente d’obtenir une bourse de recherche de l’université de Berlin pour l’Institut de recherche zoologique de Naples. En vain.

Brevet pour une préparation d’extrait pancréatique, l’Acomatol

Le 16 septembre 1908, Zülzer réussit à faire breveter en Allemagne sa préparation d’extrait pancréatique (N° 201383), baptisée Acomatol, destinée à « contrôler l’hyperglycémie sévère et le coma diabétique ». L’année suivante, le 11 mars 1909, il obtient un brevet en Grande-Bretagne (N° 8514). Le 28 mai 1912, son brevet déposé quatre ans plus tôt aux États-Unis pour la fabrication d’une « préparation pancréatique adaptée pour le traitement du diabète », est accepté (N° 1027790). L’Acomatol représente donc le premier médicament breveté de l’histoire du traitement du diabète.

En 1909, Zülzer fait examiner son extrait dans le département de médecine interne de Breslau, à l’époque ville allemande, mais aujourd’hui située en Pologne où elle a pour nom Wrocław. Oskar Minkowski vient d’être nommé directeur de la clinique médicale de l’hôpital de Breslau. Les préparations de Zülzer y sont envoyées de Berlin. Un collaborateur de Minkowski, Joseph Forschbach, est chargé de mener les investigations, ce qu’il commence à faire en décembre 1909. Plus tard, Minkowski dira regretter ne pas avoir supervisé ses travaux plus étroitement.

Lors de trois expériences, Forschbach injecte l’extrait de Zülzer par voie intraveineuse à deux chiens pancréatectomisés. Il constate à chaque fois que la glycosurie diminue immédiatement après l’injection puis augmente ensuite, mais sans que la glycémie ne soit mesurée.

Il importe de faire remarquer que, curieusement, Zülzer ne cherche pas à mesurer la concentration de glucose dans le sang, pas plus que Forschbach. À cette époque, un tel dosage est très complexe car une grande quantité de sang est nécessaire. Il convient également de souligner que Zülzer n’envisage pas que son extrait puisse provoquer une hypoglycémie. Il s’escrime en effet à obtenir des extraits plus purs par extraction alcoolique et précipitation protéique, suivies d’une évaporation de l’extrait alcoolique secondairement filtré à basse température avant d’être chauffé à 80°C, ce qui ne peut que dénaturer le produit final.

Encouragé par les résultats obtenus chez les deux chiens pancréatectomisés ayant reçu son extrait pancréatique, Forschbach l’administre à des patients diabétiques. Après l’injection chez le premier, la glycosurie reste au même niveau, mais l’extrait avait été préparé 16 jours avant. Chez le deuxième, la glycosurie diminue légèrement, mais le patient présente de la fièvre, une tachycardie et des nausées. Bien que les expériences chez les animaux montrent un effet bénéfique, Forschbach juge que l’extrait n’est pas approprié pour un traitement des malades diabétiques, des patients présentant une « prostration presque effrayante ». Il s’agit là d’un sérieux revers pour Zülzer, d’autant qu’il émane d’un célèbre laboratoire de recherche.

En 1910, Zülzer approche la firme Hoechst en vue d’une collaboration, mais celle-ci refuse. En 1911, le laboratoire pharmaceutique Hoffmann-La Roche commence à s’intéresser à ses travaux et collabore en 1913 et 1914 avec l’hôpital Hasenheide de Berlin.

Portrait de Camille Reuter, reproduit par de Leiva-Hidalgo A, et al. Acta Diabetol. 2023 Feb;60(2):163-189.
Portrait de Camille Reuter, reproduit par de Leiva-Hidalgo A, et al. Acta Diabetol. 2023 Feb;60(2):163-189.

Grâce à ce soutien, Zülzer parvient à monter un laboratoire à l’hôpital avec l’aide du chimiste luxembourgeois Camille Reuter (1886-1974), salarié de la firme pharmaceutique et ancien élève du professeur Richard Martin Willstädter, prix Nobel de chimie pour ses travaux sur la chlorophylle en 1915, contraint à émigrer en Suisse en 1939 parce que juif. Reuter est issu d’une illustre famille luxembourgeoise. Son frère, Emile Reuter, a été premier ministre du Luxembourg de 1918 à 1925.

En 1914, Camille Reuter réussit à utiliser 114 kg de pancréas d’origine animale pour produire des extraits pancréatiques. Ceux-ci sont très efficaces. Chez la plupart des chiens traités, la glycémie diminue généralement de moitié, voire plus, à chaque injection intraveineuse et la glycosurie disparaît. Début août 1914, la glycémie d’un chien chute à 0,17 g/L. Deux chiens développent une hypoglycémie sévère et meurent. Il apparaît alors nécessaire d’injecter par voie intraveineuse l’extrait pancréatique toutes les trois heures pour maintenir l’effet hypoglycémiant. De façon inexplicable, les résultats obtenus par Zülzer et Reuter n’ont pas été publiés.

Au moment où Zülzer dispose enfin d’extraits efficaces de la part des laboratoires Roche,  qui parviennent généralement à diminuer la glycémie de la plupart des chiens d’au moins de moitié et à faire disparaître la glycosurie après injection intraveineuse, il doit se rendre en août 1914 sur le front comme médecin militaire. La clinique de Hasenheide devient un hôpital militaire.

En 1914, alors que Zülzer doit donc interrompre ses recherches, Reuter continue de travailler sur le projet et produit des extraits pancréatiques dans les laboratoires Roche de Grenzach en Allemagne, non loin de Bâle (Suisse).

Reuter discute alors avec la direction des laboratoires Roche mais celle-ci décide d’abandonner les recherches. Les membres du conseil d’administration de la firme estiment que l’extrait injecté par voie intraveineuse a une durée d’action trop brève et que personne ne peut envisager d’injecter un médicament antidiabétique plusieurs fois par jour pendant des années, tout en maintenant une étroite surveillance afin d’éviter des hypoglycémies. Ils décident de concentrer leur effort sur le développement d’un médicament antidiabétique administrable par voie orale.

Après la Première Guerre mondiale, Zülzer retourne à Berlin, mais rencontre des obstacles dans sa carrière académique. Il accepte en 1919 un poste de médecin chef à l’hôpital de Lankwitz, non affilié au réseau des universités et dans lequel la plupart des médecins sont juifs.

En 1933, la moitié des professeurs des hôpitaux rattachés à la faculté de médecine Friedrich Wilheim sont juifs. Mais tout change en avril 1933, lorsque la législation du Troisième Reich s’en prend aux médecins juifs. Dix-neuf collègues berlinois, membres de la faculté de médecine Friedrich Wilhelm (Charité) se suicident ou sont tués après avoir été menacés. Par ailleurs, 182 sont expulsés ou voient leur licence professionnelle révoquée, soit parce qu’ils sont d’origine juive, soit du fait qu’ils défendent des idées politiques contraires au national-socialisme.

Parce que juif, Zülzer est interdit d’enseigner par les nazis. Son autorisation lui est retirée le 24 novembre 1933 par le doyen de la faculté de médecine, sur ordre du nouveau ministre de la santé. Il quitte Hambourg en octobre 1934 et émigre aux États-Unis où il va exercer comme médecin interniste à New-York au Israel Zion Hospital de Brooklyn, sans avoir repris ses recherches sur les extraits pancréatiques.

Georg Ludwig Zülzer insuline
Portrait de Georg Ludwig Zülzer, reproduit par de Leiva-Hidalgo A, et al. Acta Diabetol. 2023 Sep;60(9):1241-1256.

En 1940, il écrit à son fils devenu pédiatre : « Ma carrière comme chercheur touche à sa fin. Quelle chance tu as de pouvoir faire de la recherche dans ce pays ! ». En 1947, il est admis en maison de retraite. Trois ans après avoir pris sa retraite à l’âge de 79 ans, il décède le 15 octobre 1949 en raison d’une insuffisance cardiaque due à une myocardite chronique. Il est enterré à Troy, ville de l’État du Michigan. Sur sa tombe, on peut lire : « Dr Georg Ludwig Zülzer, le premier médecin à avoir sorti du coma terminal des patients diabétiques avec sa préparation d’extraits de pancréas ». Plusieurs membres de sa famille ont été victimes de la Shoah, dont sa cousine, biologiste, tuée par les nazis aux Pays-Bas en 1943.

Un dernier mot sur Reuter, avec lequel Zülzer a étroitement collaboré. Faute de soutien industriel, les travaux de Reuter sur le diabète prennent fin. En effet, lorsque le chimiste demande à continuer ses expériences sans recevoir de rémunération, cela lui est refusé.

En novembre 1914, il transmet les résultats de ses recherches aux archives du laboratoire et ce n’est qu’en 1924 qu’il publie le détail de ses travaux conduits dix ans plus tôt au sein des laboratoires Roche. Il quitte l’entreprise pharmaceutique bâloise et retourne au Luxembourg où il travaille pour une compagnie sidérurgique. Il mourra en 1974.

Plusieurs années plus tard, suite à la découverte de l’insuline par l’équipe de Toronto, Camille Reuter rapportera les données de ses travaux le 13 janvier 1924 lors d’une réunion scientifique au Luxembourg. Il indique alors avoir évalué à l’époque l’effet d’extraits en mesurant la glycémie chez des chiens et que celle-ci avait considérablement chuté chez un animal. Il avait même traité un patient souffrant de diabète sévère et avait observé une chute de la glycémie et la disparition de la glycosurie.

Après la découverte de l’insuline à Toronto, les chercheurs canadiens déposent une demande de brevet aux Etats-Unis, mais celle-ci est rejetée le 10 novembre 1922 au motif que Zülzer en a déposé un dès 1912. Ils renouvellent leur demande, en s’adressant à un échelon administratif plus élevé. L’équipe de chercheurs de Toronto, soutenue par la compagnie pharmaceutique Eli Lilly, doit présenter des preuves supplémentaires de l’efficacité de leur insuline et de leur procédé de fabrication. La demande de dépôt de brevet bénéficie par ailleurs de l’appui de deux poids lourds, les célèbres diabétologues Elliot Joslin et Frederick Allen, ainsi que de celui du gouverneur de l’État de New York Charles Evans Hughes, dont la fille a été l’une des toutes premières patientes à avoir été traitées avec succès par insuline. Le brevet américain est finalement accordé à l’équipe de Toronto le 23 janvier 1923.

La même année, après avoir appris que le prix Nobel avait été attribué à Banting et Macleod de l’université de Toronto, Zülzer a adressé une lettre de protestation à Stockholm, s’estimant injustement oublié par le comité Nobel dans la mesure où il est le premier à avoir mis en évidence qu’un extrait pancréatique peut avoir un effet antidiabétique chez un malade atteint de diabète. Il revendique l’antériorité de la découverte de l’insuline.

Il en fait de même dans un article publié en 1923 dans la revue Medizinische Klinik dans lequel il se plaint que son travail a été négligé par les institutions allemandes. Il écrit : « J’ai maintenant le droit d’affirmer ma prétention à la priorité dans cette découverte (…) parce que dans la littérature allemande, en partie par ignorance, le rôle qui m’incombait dans la découverte n’était pas toujours perçu tout à fait correctement ».

James Macleod mentionnera les travaux de Zülzer dans son discours en 1925 devant l’Assemblée Nobel : « En 1907, Zülzer a publié des résultats qui doivent être considérés, à la lumière de ce que l’on sait aujourd’hui, comme démontrant réellement la présence d’une hormone antidiabétique dans des extraits alcooliques de pancréas. Mais malheureusement, bien que plusieurs patients diabétiques aient bénéficié de l’administration des extraits, les recherches n’étaient pas suffisamment abouties pour convaincre d’autres personnes et, apparemment, Zülzer lui-même a été découragé de les poursuivre en raison de réactions toxiques chez les patients traités ».

Banting a également cité Zülzer dans sa conférence Nobel : « En 1908, Zülzer a essayé des extraits alcooliques sur six cas de diabète sucré et a obtenu des résultats favorables, un cas de diabète sévère devenant sans sucre. Ses extraits ont ensuite été testés par Forschbach dans la clinique de Minkowski, avec des résultats moins favorables, et la recherche a été abandonnée par ce groupe de chercheurs ». Il importe cependant de souligner que l’équipe de chercheurs de Toronto n’a pas cité les travaux de Zülzer dans leur première publication, seulement après avoir déposé leur brevet.


Marc Gozlan (Suivez-moi sur  Bluesky, X, FacebookLinkedInMastodon)

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Pour en savoir plus...

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Henri Lestradet. Historique de la découverte de l’insuline. Histoire des sciences Médicales. 1993. Tome XXVII, N°1.

Collip, James Bertram (biographi.ca)

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