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L'auteur

Marc GOZLAN

Je suis médecin de formation, journaliste par vocation. J’ai débuté ma carrière de journaliste médico-scientifique en agence de presse…  Lire la suite.

L’acidocétose diabétique euglycémique : une complication grave et difficile à détecter en raison de valeurs normales de la glycémie

© Pexels

SOMMAIRE

C’est l’histoire d’une femme de 72 ans adressée aux urgences du Massachusetts General Hospital (MGH, Boston) pour altération de l’état mental. Ce cas a été publié en ligne le 12 mars dans l’hebdomadaire médical américain The New England Journal of Medicine.

Il y a cinq ans, cette patiente a été traitée par radiothérapie et chimiothérapie pour un cancer de la vessie à un stade avancé (carcinome vésical de grade 3).

Quatre jours avant d’être admise au MGH de Boston, elle a subi une cystoscopie, examen consistant à introduire par l’urètre un tube souple muni d’une source lumineuse pour visualiser l’intérieur de la vessie.

Deux jours plus tard, soit deux jours avant d’être hospitalisée au MGH, cette septuagénaire a noté une prise de poids de 2,5 kg en l’espace de 48 heures. La nuit précédant son hospitalisation, elle était agitée et a dormi sans utiliser le dispositif qui lui permet de traiter son syndrome d’apnée du sommeil. Le lendemain matin, sa fille a appelé les urgences après avoir remarqué que sa mère présentait une somnolence persistante et une altération de ses facultés mentales.

L’équipe soignante apprend de sa fille que la patiente est désorientée depuis quelques jours, avait du sang dans les urines depuis deux semaines, frissonnait, était fatiguée, voire léthargique, qu’elle avait de plus en plus de mal à respirer et présentait un œdème des deux jambes. En outre, elle présentait une prise de poids involontaire.

Parmi les nombreux antécédents médicaux, on note qu’elle souffre d’un syndrome d’apnée du sommeil, d’une insuffisance cardiaque droite, d’une insuffisance rénale chronique modérée. Elle présente en outre un diabète de type 2 pour lequel elle est traitée par dapagliflozine et metformine. La dapagliflozine appartient à une catégorie de médicaments antidiabétiques oraux dénommés inhibiteurs du cotransporteur sodium-glucose de type 2 ou inhibiteurs du SGLT2 (iSGLT2).

La patiente somnolente, qui présente une insuffisance respiratoire modérée mais sans fièvre, reçoit un traitement antibiotique par voie intraveineuse pour suspicion d’infection urinaire. Une thérapie par pression positive bilatérale pour l’apnée du sommeil est initiée. Cet appareil BiPAP l’aide à respirer en fournissant deux niveaux de pression d’air : un pendant l’inspiration, un autre lors de l’expiration.

Sa pression artérielle étant très basse (91/55 Hg), elle reçoit de la noradrénaline par voie intraveineuse pour cet état de choc circulatoire. Le lendemain de son admission en soins intensifs, elle est toujours somnolente. Les doses de noradrénaline sont augmentées. Elle reçoit en outre des diurétiques pour son insuffisance rénale.

Au cours des deux premiers jours en unité des soins intensifs, l’état clinique de la patiente se détériore. Elle présente une acidose (le pH sanguin est anormalement bas) et une hémoglobine glyquée à 7,5 % (valeur normale inférieure à 6 %).

Acidose métabolique avec trou anionique

La patiente présente par ailleurs un trou anionique qui passe de 14 mmol/L à 32 mmol/L, ce qui représente donc une augmentation de 18 mmol/L. On appelle trou anionique (TA) la différence dans le plasma sanguin entre les concentrations des principaux cations (ions positifs, sodium et potassium) et celles des principaux anions (ions négatifs, chlorure, bicarbonate) : ([Na+] + [K+]) – ([Cl-] + [HCO3-]). Normalement le trou anionique correspond aux autres anions, non-mesurés : protéines, et surtout albumine, sulfate, phosphate. La détermination du trou anionique est importante pour caractériser une acidose métabolique. Les valeurs normales de référence du trou anionique sont comprises entre 8 et 18 mmol/L.

Chez cette patiente septuagénaire, les médecins du Massachusetts General Hospital évoquent alors le diagnostic d’acidocétose, qui pourrait être dû au diabète ou à une restriction alimentaire. L’acidocétose se produit lorsque l’organisme, en déficit d’insuline ou de glucides, utilise comme sources d’énergie compensatoires des acides gras et des composés appelés corps cétoniques. Les corps cétoniques (acétoacétate et bêta-hydroxybutyrates) servent alors de substrats énergétiques indispensables au niveau cellulaire.

Risque d’acidocétose euglycémique sous traitement par inhibiteur du SGLT2

Il se trouve que les patients diabétiques sous traitement d’inhibiteurs du SGLT2 (iSGLT2) présentent un risque augmenté d’acidocétose dans certaines situations, notamment en cas d’infection ou d’intervention chirurgicale. Cette acidocétose, qui est donc un effet secondaire d’un traitement par iSGLT2, présente la particularité d’être accompagnée d’une élévation modérée de la glycémie, voire d’une glycémie normale. On parle alors d’acidocétose euglycémique. Cette absence d’hyperglycémie sévère conduit fréquemment à un retard ou à une errance de diagnostic.

Les inhibiteurs du SGLT2 augmentent l’excrétion rénale du glucose, entraînant donc une augmentation de la concentration de glucose dans les urines.  Chez cette patiente sous traitement par un inhibiteur du SGLT2, un élément plaide en faveur d’une acidocétose euglycémique : la présence importante de glucose dans les urines (glycosurie élevée, dite « positive à trois croix » et symbolisée +++) malgré une glycémie normale. Le glucose urinaire peut être utilisé par certaines bactéries comme nutriment, ce qui confère un risque d’infection. De plus, la durée d’action de la dapaglifozine dans l’organisme est de 2 ou 3 jours du fait de sa longue demi-vie, ce qui contribue à la persistance de l’acidocétose euglycémique, même après arrêt du traitement.

Les examens biologiques prescrits par les médecins du Massachusetts General Hospital ont montré un taux sanguin très élevé de bêta-hydroxybutyrates, ce qui représente un autre élément en faveur d’une acidocétose euglycémique.

Chez cette patiente vivant avec un diabète de type 2, il semble donc que plusieurs facteurs aient favorisé la survenue d’une acidocétose diabétique euglycémique : un jeûne en période péri-opératoire, une possible infection urinaire, une intervention chirurgicale et un récent examen urologique alors qu’elle était sous traitement par iSGLT2.

Des valeurs de glycémie discrètement élevées ou normales

Contrairement à l’acidocétose diabétique classique, complication grave du diabète où l’on observe une hyperglycémie, les patients sous traitement par un inhibiteur de SGLT2 ne présentent qu’une élévation discrète de la glycémie, ou une valeur normale des concentrations de glucose sanguin, ce qui complique l’identification de l’acidocétose.

Il importe d’évoquer ce diagnostic en présence de signes et de symptômes évocateurs d’une acidose, tels qu’une grande fatigue (asthénie), une confusion, une gêne respiratoire (dyspnée), des nausées et vomissements, des douleurs abdominales, une perte d’appétit, une déshydratation.

Facteurs favorisants

Parmi les facteurs favorisant la survenue d’une acidocétose euglycémique, on peut citer un déficit en insuline (réduction des doses ou maladie pancréatique telle qu’une pancréatite), une diminution des apports caloriques secondaire à une intervention chirurgicale, un jeûne prolongé, une maladie aiguë anorexigène (affection associée à une perte d’appétit), un abus d’alcool.

Chez cette patiente, la cause de l’acidocétose euglycémique a sans doute été la prise d’un inhibiteur du SGLT2 dans les suites de son intervention chirurgicale pour cancer de la vessie. En effet, la période post-opératoire est particulièrement à risque. Elle coïncide souvent avec une moindre observance du traitement par insuline (arrêt ou réduction trop rapide de l’insulinothérapie), un apport insuffisant en glucides, la production élevée d’hormones du stress et de substances inflammatoires (cytokines), créant un terrain propice à une utilisation des acides gras et des corps cétoniques comme sources d’énergie par l’organisme. Les nausées et vomissements survenant à ce stade peuvent être à tort imputés à la chirurgie ou à l’anesthésie, alors qu’ils peuvent être les signes d’une acidocétose débutante, d’autant plus difficile à identifier que l’hyperglycémie est discrète, voire absente.

« Du fait de ce risque d’acidocétose notamment bien identifié en période péri-opératoire, il est recommandé d’interrompre ce traitement 48–72 heures avant toute chirurgie et de ne le réintroduire que lorsque le patient a repris une alimentation orale. En règle générale, l’utilisation des iSGLT2 à la phase aiguë de toute pathologie devrait être évitée, notamment en situation d’hospitalisation », peut-on lire dans un article, intitulé ‘Les médicaments anti-diabétiques : ce que le médecin anesthésiste réanimateur doit savoir’, publié en juillet 2023 dans la revue Anesthésie & Réanimation.

Les résultats des examens biologiques et les critères diagnostiques sont identiques à ceux d’une acidocétose hyperglycémique diabétique classique et incluent une acidocétose métabolique avec trou anionique, une élévation des corps cétoniques sanguins, un taux sanguin bas de bicarbonates.

Lorsque cette complication survient, la prise en charge n’est pas différente de celle d’une acidocétose classique. Le traitement repose sur l’arrêt immédiat et définitif de l’inhibiteur du SGLT2 et sur l’administration d’insuline, en complément de la prise en charge habituelle de l’acidocétose diabétique (apport hydrique, apport en glucose suffisant).

Une complication rare pouvant menacer le pronostic vital

En résumé, il est important ne pas tomber dans le piège de négliger les symptômes au prétexte d’une glycémie modérément élevée, voire normale. En d’autres termes, il importe que les médecins reconnaissent rapidement cette complication qui reste cependant rare. Cela dit, cette urgence métabolique peut menacer le pronostic vital si elle n’est pas traitée.

L’équipe médicale doit donc évoquer ce diagnostic chez les patients sous inhibiteurs du SGLT2 lorsqu’ils présentent des facteurs favorisants. Concernant les patients diabétiques, ils devraient être informés et éduqués sur ce risque, c’est-à-dire connaître non seulement les signes et symptômes de l’acidocétose mais également les facteurs de risque prédisposants à cette complication.

Marc Gozlan (Suivez-moi sur XFacebookLinkedInMastodonBluesky)

LIRE aussi sur ce blog : Acidocétose diabétique sans hyperglycémie marquée : un diagnostic urgent à évoquer chez la femme enceinte

 

Pour en savoir plus...

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