2ème PARTIE :
Résultats à long terme
Suite de la 1ère partie
Deux études françaises apportent de précieuses informations sur la perte de poids, l’amélioration et la résolution des comorbidités (diabète, syndrome d’apnées-hypopnées obstructives du sommeil, hypertension artérielle, anomalies lipidiques) dans la population des patients super super obèses opérés.
Résultats à 5 ans de la chirurgie bariatrique chez le patient super super obèse
Publiée en juin 2023 dans le Journal of Laparoendoscopic & Advanced Surgical Techniques, une étude rétrospective française a comparé les résultats à 5 ans d’une intervention de chirurgie bariatrique chez les patients super super obèses pour différentes interventions (la sleeve gastrectomy seule, le bypass gastrique (BPG) Roux-en-Y seul, et la SG suivie dans un deuxième temps d’un BPG. Elle a également déterminé l’impact sur les comorbidités afin de comparer ces différentes stratégies dans cette population de patients avec un IMC ≥ 60 kg/m2.
Tous les patients inclus dans cette étude ont d’abord été pris en charge au CHU de Bordeaux dans le service d’endocrinologie, avant d’être opérés à Bordeaux et dans des cliniques privées à Toulon et Marseille entre 2006 et 2017. Sur ces 43 patients, 31 étaient des femmes.
Sur les 43 patients opérés sur cette période, neuf ont eu une sleeve gastrectomy (SG), 26 un by-pass gastrique en Roux-en-Y (BPG) et 8 une SG révisée dans un second temps en bypass gastrique (SG + BPG), en moyenne après un délai de 23 mois (allant de six mois à 42 mois). La stratégie en deux temps facilite la réalisation du BPG quand cette procédure n’est pas faisable lors de la première intervention.
L’âge moyen des patients était de 42 ans. Leur IMC préopératoire moyen était de 64,9 kg/m2. Trente-six (84 % des cas) avaient au moins une comorbidité, dont 20 étaient hypertendus et 18 avaient un diabète de type 2. La durée médiane d’hospitalisation, identique dans les trois groupes traités, était de 7 jours (comprise entre 4 et 20 jours), dont une journée en moyenne aux soins intensifs (entre 0 et 10 jours). La durée médiane du suivi a été de 69 mois, allant de 1 à 128 mois.
À 5 ans, l’IMC moyen valait 48,5 kg/m2 (compris entre 38,2 et 58,8), le pourcentage moyen de perte du poids initial (IWL%) 26 % et le pourcentage moyen de perte d’excès de poids (EWL%) 39,2% (entre 18,2-60,2).
Le EWL% a été maximal la deuxième année après l’opération pour le groupe SG, puis a diminué progressivement pour atteindre 27,1% à 5 ans.
Une étude turque, publiée en 2018 dans la revue Obesity Surgery, a également montré un EWL% maximal et un IWL% maximal un an après la sleeve gastrectomy (SG), avec une diminution progressive de ces deux pourcentages. Il ressort donc que « les résultats pondéraux avec la SG sont mitigés ». Selon Marius Nedelcu, Marie Laclau-Lacrouts et leurs collègues chirurgiens, « la SG ne semble donc pas être une stratégie satisfaisante pour le maintien de la perte de poids sur le long terme chez les patients super super obèses. La SG seule a une efficacité pondérale très modérée et limitée dans le temps ».
Dans les deux autres groupes de patients, le EWL% a atteint aussi son maximum à la deuxième année, puis s’est maintenu à 5 ans dans le groupe BPG à 43,3% (entre 28,8 et 57,8) et à 39,8% (entre 15,3 et 64,3) dans le groupe SG + BPG.
Il ressort que le taux de succès de la chirurgie (défini, on le rappelle, par un IMC post-opératoire > 40 kg/m2) a été de 26,7 %, ce qui correspond à 7 patients sur les 43 que compte cette série.
Le taux global de complications a été de 28% (31% dans le groupe BPG, 22% dans le groupe SG, 25% dans le groupe SG + BPG). Le taux de mortalité précoce (dans les 30 jours post-opératoires), a été de 2,3 % (1 décès). Aucun décès n’a été observé dans le groupe SG + BPG. Au total, la chirurgie bariatrique apparaît donc faisable chez les patients super super obèses avec un taux de morbi-mortalité jugé « acceptable ».
Cinq ans après l’intervention chirurgicale, 30 patients étaient toujours suivis, les 13 autres ayant été perdus de vue (5), décédés (3) ou non encore parvenus à 5 ans de suivi (5).
Les auteurs de l’étude ont alors comparé les groupes SG et BPG. Le EWL% a été de 27,1% dans le groupe SG contre 43,3 % dans le groupe by-pass gastrique (BPG). Le IWL% était de 17,8 % dans le groupe SG contre 28,6 % dans le groupe BPG. L’EWL% et l’IWL% ont donc été plus importants dans le groupe BPG par rapport au groupe SG, mais ces différences n’étaient pas significatives, sans doute par manque de puissance statistique dans cette étude comportant un faible nombre de patients.
Une comparaison a également été réalisée entre les groupes SG et SG + BPG. Le EWL% moyen à 5 ans était de 27,1 % dans le groupe SG versus 39,8 % dans le groupe SG + BPG. Le IWL% était de 17,8 % dans le groupe SG contre 26,5 %.
Sur les 18 patients initialement hypertendus, 15 avaient amélioré leur hypertension artérielle (HTA), diminuant ou arrêtant leur médicament antihypertenseur, dont 9 ne suivaient plus aucun traitement. Sur 11 patients diabétiques, 9 ont vu une amélioration de leur diabète, soit 81,8 %, sans différence significative entre les groupes. Après 5 ans de suivi, seulement 4 patients sur 13 ayant un syndrome d’apnée-hypopnée du sommeil (SAHOS) ont été en mesure de se passer leur appareillage. Enfin, 6 sur 10 ont vu une amélioration de leur dyslipidémie, avec une interruption totale de leur traitement anti-lipidique. « L’amélioration des différentes comorbidités se fait dans la première année post-opératoire pour le diabète, le SAHOS, et dans la deuxième année pour l’HTA », précisent les auteurs.
Cette étude confirme que la SG et/ou le BPG sont des procédures réalisables et sûres, avec un taux de complications graves de respectivement 12 % et 11 % pour le BPG et la SG. Selon les auteurs, le BPG seul pourrait représenter une bonne option en particulier pour les patients d’âge avancé ou réfractaires à une stratégie en deux temps. L’avantage de la sleeve gastrectomy est la possibilité de pouvoir être considérée comme la première étape d’une stratégie en deux temps.
Une perte de poids modérée sur le long terme, malgré une amélioration des comorbidités
Il convient toutefois de souligner que le taux de succès de ces interventions chirurgicales (environ 26 %) est relativement bas, alors même qu’elles permettent d’obtenir une amélioration des comorbidités. « La chirurgie a donc un résultat très positif en ce qui concerne son effet métabolique et le pourcentage de rémission comorbide », soulignent les auteurs.
La majorité des études publiées dans la littérature médicale internationale sur la chirurgie bariatrique des patients super super obèses concerne des données de perte de poids à court et moyen terme. Cette étude est l’une des rares à rapporter des résultats à long terme sur l’efficacité de certaines techniques chirurgicales.
Comparaison bypass gastrique vs. sleeve gastrectomy avec suivi à 6 ans
En 2019, une étude française, publiée dans la revue Surgery for Obesity and Related Diseases, a comparé les résultats à long terme du bypass gastrique en Roux-en-Y (BPG) et de la sleeve gastrectomy (SG) par voie laparoscopie, utilisée seule (stand-alone procedure).
Cette étude monocentrique, conduite par des médecins de l’hôpital Bichat, a porté sur 210 patients super super obèses opérés à l’hôpital Bichat entre novembre 2000 et décembre 2011. Leur IMC moyen était de 66 kg/m2. L’âge moyen des patients, dont 150 étaient des femmes (71,5 % des cas), était de 42 ans. Le suivi a été de six ans.
Le temps de l’intervention est nettement plus court dans le groupe SG que dans le groupe BPG. Il a été de 175 minutes pour le bypass gastrique et de 92 minutes pour la sleeve gastrectomy.
Les deux procédures ont été efficaces sur la perte de poids. Dans les deux groupes, celle-ci était maximale à 24 mois post-opératoires. Le poids s’est ensuite stabilisé et a légèrement augmenté après 24 mois dans le groupe SG, après 36 mois dans le groupe bypass gastrique en Roux-en-Y (BPG).
Après 4 ans de suivi, le pourcentage de perte d’excès de poids (EWL%) ne différait pas significativement dans les deux groupes traités. Par contre, à 6 ans de suivi, le EWL% moyen était plus élevé dans le groupe BPG (54,8 %) que dans le groupe SG (49,8 %). L’IMC moyen était alors de 48,5 kg/m2 dans le groupe SG, de 43,3 kg/m2 dans le groupe BPG. On le voit, six ans après, les patients étaient donc toujours en obésité morbide, (définie par un IMC ≥ 40 kg/m2). Les chirurgiens bariatriques devraient donc proposer une stratégie en deux temps.
L’équipe de Jean-Pierre Marmuse et Boris Hansel indiquait par ailleurs que le taux des principales complications post-opératoires à court terme (au cours du premier mois post-opératoire) était de 11,7 % chez les patients du groupe BPG et de 6,4 % chez ceux du groupe SG. Cette différence était jugée statistiquement non significative. Ces complications comprennent notamment la survenue d’une thrombose veineuse profonde, d’un accident thromboembolique, la nécessité d’une ré-intervention, l’impossibilité de quitter l’hôpital dans les 30 jours.
Le taux de complications chirurgicales post-opératoires à long terme (au-delà de 30 jours post-opératoires) était de 16,1 % chez les patients du groupe SG et de 26 % chez ceux du groupe BPG, une différence cette fois statistiquement significative. Les complications les plus fréquentes étaient la survenue d’une hernie interne pouvant occasionner une obstruction intestinale, la formation d’un calcul biliaire, la survenue d’un ulcère ou d’une fistule au niveau de l’anastomose (par défaut de cicatrisation des sutures digestives), et surtout l’apparition d’un reflux gastro-œsophagien de novo (dans plus de 7 % des cas). La perte pondérale qui suit un BPG peut en effet être associée à un trouble du cycle d’absorption des sels biliaires induit par le court-circuit gastro-intestinal, ce qui explique le risque de développement de calculs de la vésicule biliaire.
À 6 ans, le taux de rémission des comorbidités (diabète de type 2, hypertension) était plus important dans le groupe des patients opérés par bypass gastrique. La sleeve gastrectomy a toutefois été associée à un taux significatif de rémission ou d’amélioration du diabète (respectivement 32 % et 35 %) et de l’hypertension (respectivement 23 % et 38 %). Un résultat similaire avait été observé par une étude multicentrique française, publiée en 2017 dans le British Journal of Surgery, qui avait évalué l’évolution des comorbidités après un suivi de 5 ans.
Les auteurs de cette étude rétrospective concluaient que la sleeve gastrectomy (SG) est efficace même si le bypass gastrique en Roux-en-Y permet d’atteindre de meilleurs résultats à moyen terme. La SG peut donc proposée en tant que procédure primaire, sachant qu’il est important que le chirurgien bariatrique puisse, plus tard, disposer d’une seconde option, cette chirurgie secondaire étant appelée chirurgie bariatrique de révision.
Une étude américaine, également publiée en 2019 dans la revue Obesity Surgery, rapportait pour sa part que les patients super super obèses opérés par BPG en Roux-en-X avaient significativement plus tendance, durant les 30 jours post-opératoires, à être réintubés, à devoir être ventilés de façon prolongée ou être admis en unité de soins intensifs.
L’ensemble de ces résultats fait dire à nombre d’experts que la sleeve gastrectomy (SG) ne devrait pas être considérée comme la seule et unique intervention chez les patients super super obèses.
Il reste cependant à déterminer quelle technique devrait être réalisée dans un second temps. Or il n’existe pas de consensus aujourd’hui sur ce point. S’agit-il du by-pass gastrique en Roux-en-Y, ou d’une autre technique reposant sur la malabsorption telle que la dérivation biliopancréatique, avec ou sans duodénal switch (BPD-DS), ou la SADI-S ? Concernant cette dernière intervention, des résultats très positifs ont été observés, notamment chez des patients super obèses.
Nécessité d’études supplémentaires sur des cohortes plus importantes
Il n’est pas toujours facile de comparer les résultats entre études avec un suivi à 5 ans dans la mesure où elles ne portent pas forcément sur les mêmes techniques chirurgicales. Par ailleurs, selon les études, les critères retenus pour parler d’amélioration ou de rémission des comorbidités peuvent différer, ce qui ne contribue pas à établir des comparaisons de façon pertinente.
Il est donc impératif de mener des études supplémentaires sur des cohortes plus importantes afin de parvenir à des conclusions plus fiables concernant les effets à long terme de la chirurgie bariatrique sur la perte de poids et l’amélioration ou la rémission des comorbidités associées à la super super obésité. Chez ces patients, de nouvelles stratégies chirurgicales sont à évaluer lors d’études prospectives pour déterminer si elles seraient plus efficaces.
Marc Gozlan (Suivez-moi sur X, Facebook, LinkedIn, Mastodon, Bluesky)