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Marc GOZLAN

Je suis médecin de formation, journaliste par vocation. J’ai débuté ma carrière de journaliste médico-scientifique en agence de presse…  Lire la suite.

Vomissements liés à la prise chronique de cannabis : un syndrome à différencier de deux complications classiques du diabète

© Wikimedia Commons

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SOMMAIRE

C’est l’histoire d’une Américaine de 25 ans, ayant un diabète de type 1 incontrôlé, qui présente depuis trois jours des vomissements incoercibles accompagnés de douleurs abdominales. Elle n’a pas de diarrhée, pas de fièvre et ne prend aucun nouveau médicament. L’année précédente, elle a consulté chaque mois aux urgences pour des symptômes similaires. Elle a alors subi plusieurs scanners abdominaux qui n’ont rien révélé de particulier. Cette patiente est une consommatrice régulière de cannabis.

Six mois auparavant, cette femme a passé une scintigraphie gastrique. Cet examen consiste à mesurer à quelle vitesse diminue la radioactivité dans la région de l’estomac après ingestion d’un repas contenant un isotope faiblement radioactif. La radioactivité mesurée dans la région gastrique est proportionnelle au volume du repas qui reste dans l’estomac qui se vide mal. Cet examen est indiqué lorsque l’on suspecte une gastroparésie, un trouble fonctionnel digestif défini par un ralentissement de la vidange de l’estomac en l’absence de tout obstacle mécanique.

La gastroparésie, complication classique du diabète

Or, une des principales causes de gastroparésie est le diabète. Les symptômes principaux de ce trouble fonctionnel sont des nausées, des vomissements, une sensation de plénitude après les repas et une satiété précoce. On note parfois un ballonnement et des douleurs abdominales.  Chez cette patiente, la scintigraphie gastrique avait montré une vidange gastrique normale. De même, une endoscopie digestive haute, destinée à visualiser  l’intérieur de l’œsophage, de l’estomac et du duodénum, n’a pas montré de lésion suspecte, si ce n’est une inflammation du conduit œsophagien (œsophagite).

Les examens biologiques sanguins montrent une hyperglycémie (1,99 g/L). Le taux de lipase est normal, signe de l’absence de pancréatite. Chez cette patiente, qui présente une atteinte rénale chronique due à son diabète, le taux de créatinine est élevé. Un dépistage toxicologique urinaire décèle la présence de cannabinoïdes.

La patiente reçoit un traitement symptomatique : réhydratation par voie intraveineuse (pour corriger les troubles électrolytiques), des antiémétiques  (pour tenter de prévenir les vomissements) et de l’halopéridol, ce neuroleptique étant censé soulager les nausées. Les médecins observent une amélioration transitoire des symptômes. Un nouveau scanner abdominal est demandé, ainsi qu’une choléscintigraphie pour explorer les voies biliaires. Ces deux examens d’imagerie sont normaux.

Considérant la consommation chronique de cannabis de la patiente et le fait que l’imagerie médicale n’avait rien montré de particulier, les médecins ont évoqué un tout autre diagnostic qu’une gastroparésie en rapport avec son diabète, à savoir le syndrome d’hyperémèse cannabinoïde.

Syndrome d’hyperémèse cannabinoïde

Également appelé syndrome d’hyperémèse cannabique, il est caractérisé par l’usage chronique de cannabis, des nausées et vomissements incoercibles sévères d’allure cyclique et un comportement compulsif consistant à prendre des bains chauds ou des douches chaudes. En effet, il s’agit là du moyen le plus efficace trouvé pour soulager les symptômes. Cet effet bénéfique est un élément clé du diagnostic du SHC. En interrogeant leur malade, les médecins apprennent que la patiente a adapté un tel comportement et qu’elle fume du cannabis au moins cinq fois dans la semaine, la dernière fois remontant à seulement deux jours.

Ce cas clinique, rapporté en février 2023 par des médecins américains du Piedmont Athens Régional Medical Center (Athens, Géorgie) dans l’American Journal of Case Reports, montre qu’il importe d’évoquer le syndrome d’hyperémèse cannabinoïde (SHC) lorsqu’un patient présente des nausées, des vomissements cycliques et des douleurs abdominales, même lorsque le diagnostic le plus probable semble être une gastroparésie. On estime que ce trouble fonctionnel affecte environ 20 % des patients vivant avec un diabète de type 1, en particulier ceux présentant une maladie diabétique depuis de nombreuses années.

Le SHC a été décrit pour la première fois en 2004. Comment expliquer que le cannabis, plante ancestrale consommée depuis des millénaires, puisse entraîner un nouveau syndrome ? Il est probable que l’émergence du SHC tienne au fait que les teneurs en delta-9-tétrahydrocannabinol (THC), principal principe actif du cannabis, présent dans l’herbe ou la résine, ont beaucoup augmenté ces vingt dernières années. Par ailleurs, on ne peut exclure que des facteurs individuels interviennent dans la survenue de ce syndrome.  L’hypothèse a ainsi été émise que des variations génétiques individuelles d’enzymes hépatiques pourraient influencer la survenue du SHC. Un métabolisme trop rapide du cannabis entraînerait une surproduction et une accumulation de dérivés du cannabis (métabolites), ce qui favoriserait les vomissements.

On sait que le cannabis est utilisé à des fins médicales pour son effet bénéfique sur les nausées induites par la chimiothérapie. Dès lors, comment se fait-il que des consommateurs ressentent des nausées alors que le cannabis, de par ses effets antiémétiques, devrait les soulager de ces symptômes ?

Pour comprendre, il faut savoir que le THC agit non seulement au niveau du système nerveux central mais également au niveau du système nerveux entérique, qui fait partie du système nerveux autonome contrôlant l’appareil digestif. Les récepteurs cannabinoïdes CB1 (sur lesquels agit le THC) sont impliqués dans la réduction de la sensation de nausée (effet antiémétisant) et dans la régulation de la température corporelle (à laquelle participe la partie antérieure de l’hypothalamus). La sur-stimulation des récepteurs CB1 du système nerveux entérique pourrait provoquer un effet émétique qui surpasserait l’activité antiémétique au niveau du système nerveux central. Si tel est le cas, des teneurs élevées de THC, en dépassant un seuil propre à un individu donné, pourraient déclencher l’apparition des symptômes.

Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer que prendre des douches chaudes ou des bains chauds constitue un moyen efficace pour soulager les douleurs abdominales intenses. On peut ainsi penser que l’eau chaude, en augmentant la température corporelle, inhibe la stimulation des récepteurs CB1 de l’hypothalamus impliqués dans la thermorégulation. La prise d’une douche chaude permettrait de corriger la dérégulation du thermostat hypothalamique.

Une autre hypothèse a été avancée, qui repose sur le fait que les récepteurs CB1 participent à la dilatation des vaisseaux au niveau de l’intestin. Une douche chaude permettrait de provoquer une dilatation des vaisseaux cutanés. Il se produirait une redistribution du flux sanguin de l’intestin vers la peau. Ce détournement de sang au détriment des vaisseaux sanguins intestinaux permettrait de soulager temporairement les symptômes digestifs.

À l’instar du cas clinique publié dans l’American Journal of Case Reports, une autre publication avait déjà alerté, en 2021 dans la revue Practical Diabetes, sur le fait que le SHC pouvait être la cause de vomissements à répétition chez des patients diabétiques de type 1. Les auteurs, diabétologues à Liverpool, rapportaient une série de quatre cas chez lesquels le diagnostic de SHC avait été établi après un minimum de douze passages à l’hôpital, en l’occurrence après un délai avant diagnostic variant de deux à treize ans. Ces deux publications soulignent que le seul véritable traitement du SHC est le sevrage complet et définitif de cannabis.

Différencier la cétoacidose diabétique de la cétose hyperglycémique du SHC

Tout ne se résume pas à diagnostiquer, ou au contraire à exclure, une gastroparésie lorsqu’un patient diabétique présente des vomissements. Des symptômes gastro-intestinaux (douleurs abdominales, nausées et/ou vomissements) peuvent également précéder l’apparition de l’acidocétose diabétique. Cette complication est une cause fréquente d’hospitalisation des patients diabétiques. Elle est due à l’arrêt de l’insulinothérapie, que celui-ci soit lié à un oubli ou à une mauvaise compréhension du traitement. Les infections sont la seconde cause.

L’acidocétose diabétique associe hyperglycémie, acidose métabolique (diminution du pH sanguin, excès d’acidité dans le sang) et cétose (forte concentration de corps cétoniques dans le sang). On peut noter au passage que le terme de cétoacidose (CDA) semble plus approprié que celui d’acidocétose pour désigner cette complication du diabète dans laquelle la cétose est la perturbation métabolique initiale et prédominante. Dans le syndrome d’hyperémèse cannabinoïde, on observe également une cétose, associée à une hyperglycémie.

Ces deux pathologies ont donc en commun la présence d’une cétose et la capacité de pouvoir se traduire par des symptômes similaires (nausées, vomissements, douleurs abdominales). De fait, l’existence de douleurs abdominales, de nausées et de vomissements chez le patient diabétique doit faire rechercher une cétoacidose.

Il importe de noter que dans le SHC, les nausées très matinales s’accompagnent progressivement de vomissements sévères qui sont à l’origine de la cétose, puis d’une hyperglycémie, alors que les symptômes digestifs de l’acidocétose diabétique sont corrélés à la sévérité de l’acidose.

Pouvoir différencier chez le sujet diabétique ces deux pathologies est aujourd’hui d’autant plus important que la consommation de cannabis n’est pas rare chez les personnes vivant avec un diabète. En 2019, une étude américaine publiée dans JAMA Internal Medicine indiquait que 30 % des patients diabétiques de type 1 en consomment. Elle rapportait par ailleurs un risque 2 à 3 fois supérieur de consultation aux urgences pour hyperglycémie et cétose chez les patients DT1 consommateurs de cannabis, une situation reliée au syndrome d’hyperémèse cannabinoïde.

Publiée en 2022 dans la revue Diabetes Care, une étude, conduite par des diabétologues de l’université du Colorado (Aurora), a analysé les valeurs de la glycémie veineuse, du trou anionique*, du pH veineux et des bicarbonates sériques dans les deux pathologies. Cette étude est la première à analyser les valeurs seuils du pH et des bicarbonates pour différencier l’acidocétose typique du SHC.

Il ressort que, par rapport aux patients DT1 ne consommant pas de cannabis, les consommateurs présentent une valeur de pH significativement plus élevée et un taux de bicarbonates significativement plus important.

Surtout, cette étude indique qu’un dépistage de toxiques urinaires à la recherche de cannabis devrait être entrepris chez les patients diabétiques de type 1 qui se présentent aux urgences avec une glycémie supérieure ou égale à 2,5 g/L, un taux de bicarbonates de 15 mmol/L ou plus, et un pH supérieur ou égal à 7,4 (plus élevé qu’attendu). Selon les auteurs, ces valeurs seuils permettraient de prédire 98 % des cas de cétose hyperglycémique due à un syndrome d’hyperémèse cannabinoïde. « Chez les adultes DT1 se présentant aux urgences pour une hyperglycémie, le diagnostic de cétose hyperglycémique due à un syndrome d’hyperémèse cannabinoïde doit être envisagé chez ceux dont le pH est supérieur ou égal à 7,4 et le taux de bicarbonates dépasse les 15 mmol/L en présence d’une cétose », concluaient-ils.

Marc GOZLAN (Suivez-moi sur Twitter, Facebook, LinkedIn, Mastodon

* Le trou anionique est un paramètre de l’équilibre acido-basique. Il s’agit du déficit de concentration des anions par rapport aux cations. Il se définit schématiquement comme la concentration sérique de sodium Na+ (ion positif) moins la somme des concentrations sériques des ions négatifs chlore Cl− et bicarbonates HCO3−. Son augmentation indique presque toujours une acidose métabolique.

Pour en savoir plus...

Nana Sede Mbakop R, Kesiena O, Greene TE, Amakye D. Cannabinoid Hyperemesis Syndrome in a 23-Year-Old Woman with Uncontrolled Type 1 Diabetes Mellitus. Am J Case Rep. 2023 Feb 18;24:e938418. doi: 10.12659/AJCR.938418

Akturk HK, Taylor DD, Camsari UM, et al. Association Between Cannabis Use and Risk for Diabetic Ketoacidosis in Adults With Type 1 Diabetes. JAMA Intern Med. 2019 Jan 1;179(1):115-118. doi: 10.1001/jamainternmed.2018.5142

Kinney GL, Akturk HK, Taylor DD, et al. Cannabis Use Is Associated With Increased Risk for Diabetic Ketoacidosis in Adults With Type 1 Diabetes: Findings From the T1D Exchange Clinic Registry. Diabetes Care. 2020 Jan;43(1):247-249. doi: 10.2337/dc19-0365

Akturk HK, Snell-Bergeon J, Kinney GL, et al. Differentiating Diabetic Ketoacidosis and Hyperglycemic Ketosis Due to Cannabis Hyperemesis Syndrome in Adults With Type 1 Diabetes. Diabetes Care. 2022 Feb 1;45(2):481-483. doi: 10.2337/dc21-1730

Aung ET, Balafshan T, Wace P, Weston PJ. Cannabinoid hyperemesis syndrome as a cause of recurrent vomiting in type 1 diabetes. Practical Diabetes. 2021;38(1):22-24

Sur le web :

Quand la consommation chronique de cannabis provoque des vomissements à répétition (blog ‘Réalités Biomédicales’, 29 décembre 2017)

 

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