La pandémie de Covid-19, liée à l’infection par le coronavirus SARS-CoV-2, a rapidement montré que l’obésité est souvent associée à des formes graves de la maladie.
Dès les premières semaines après l’émergence du Covid-19, des facteurs influençant le développement d’une forme sévère de l’infection par le SARS-CoV-2 nécessitant une hospitalisation, voire une admission en soins intensifs, ont été identifiés par des équipes chinoises et italiennes. Ont ainsi été mis en évidence : l’âge avancé, le sexe masculin, l’hypertension artérielle, le diabète, une maladie cardiovasculaire. Lorsque l’épidémie a atteint d’autres pays dans lesquels l’obésité avait une plus grande prévalence, il est apparu que celle-ci avait un impact défavorable sur le pronostic des patients atteints de Covid-19.
L’obésité, en tant que facteur de gravité dans l’infection par le SARS-CoV-2, n’avait pas été mise en évidence dans les premières données issues de la Chine. « L’obésité comme facteur de risque n’avait pas été spécialement mise en exergue dans les premières publications venant de Chine. Ainsi, il n’en était pas spécialement fait mention dans une grande étude nationale, ni dans une méta-analyse des études publiées centrées sur les facteurs pronostiques d’évolution vers un état critique ou le décès. Il est vrai que le morphotype des personnes asiatiques est différent et expose moins à un excès pondéral massif », peut-on lire dans un article paru en septembre 2020 dans la revue La Presse Médicale.
Données chinoises
Pour autant, un article, publié dans Diabetes Care en juillet 2020, décrivant les caractéristiques cliniques de 383 patients admis pour Covid-19 à l’hôpital de Shenzhen, indiquait déjà que 32 % étaient en surpoids (indice de masse corporelle, IMC, compris entre 24 et 27,9 kg/m2) et 10,7 % étaient obèses (IMC supérieur ou égal à 28 kg/m2). Cette étude indiquait également que, par rapport aux patients ayant un poids normal, les patients en surpoids présentaient en moyenne 84 % plus de risque de développer une forme sévère de Covid-19. Ce sur-risque était de 142 % chez les patients obèses.
Par la suite, d’autres publications chinoises ont mis en exergue que la surcharge pondérale et l’obésité (définie dans une population asiatique par un IMC supérieur ou égal à 25 kg/m2) intervenaient négativement dans le pronostic de la Covid-19.
Des études épidémiologiques rétrospectives menées aux États-Unis, en France et en Grande-Bretagne, ont également été menées.
Données américaines
Publiée dans le JAMA en mai 2020, une étude réalisée dans la région de New York, portant sur 5700 patients hospitalisés pour Covid-19 dans 12 hôpitaux entre le 1er mars et le 4 avril 2020, rapportait une forte proportion d’obésité : 41,7 % d’entre eux avaient un IMC ≥ 30 kg/m2 et 19 % un IMC ≥ 35 kg/m2. Par ailleurs, 33,8 % avaient un diabète.
Dans une étude publiée en août 2020 dans la revue Clinical Infectious Diseases, il ressortait que sur 3 615 patients admis pour Covid-19 dans un grand réseau d’hôpitaux universitaires new-yorkais, 21 % d’entre eux avaient un IMC compris entre 30 et 34 kg/m2 et 16 % avaient un IMC ≥ 35 kg/m2. Les auteurs indiquaient que chez les patients de moins de 60 ans, le risque d’admission en unité de soins intensifs était multiplié par 1,8 si l’IMC était entre 30 et 34 kg/m2 en comparaison avec les patients ayant un IMC inférieur à 30 kg/m2. De même, chez les patients de moins de 60 ans ayant un IMC ≥ 35 kg/m2, le risque d’admission en unité de soins intensifs était 2,2 fois supérieur à celui des patients ayant un IMC inférieur à 30 kg/m2.
Dans une autre grande étude conduite sur 5 279 hospitalisés pour Covid-19 à New York et publiée en mai 2020 dans le British Medical Journal, les patients avec un IMC > 40 kg/m2 (obésité de stade III) présentaient un risque élevé d’être hospitalisés (augmentation de 2,5 fois) et de développer une maladie sévère (augmentation de 1,5 fois).
Données britanniques
En Grande-Bretagne, la cohorte OpenSAFELY a examiné 5 683 patients décédés du Covid-19 en comparant leurs facteurs de risque préexistants documentés dans plus de 17 millions de dossiers médicaux électroniques. Cette étude a été publiée en août 2020 dans la revue Nature. Après traitement statistique des données (analyse multivariée), l’âge s’est révélé être le facteur de risque préexistant le plus important. En outre, l’impact de l’obésité était également hautement significatif et corrélé à sa sévérité. Ainsi, après prise en compte (ajustement) des autres facteurs de risque, une obésité extrême de classe III (IMC ≥ 40 kg/m2) était associée à un risque de décès multiplié par 1,92 (entre 1,72 et 2,13). Ce sur-risque de décès était 1,4 fois supérieur en cas d’obésité de classe II (IMC entre 35 et 39,9 kg/m2).
Données françaises
En France, plusieurs études ont rapporté une proportion importante de patients souffrant d’obésité parmi les patients hospitalisés infectés par le SARS-CoV-2. C’est le cas d’une étude menée au CHU de Lille et d’une autre conduite au CHU de Lyon. Ces deux études ont montré un lien significatif entre obésité et risque d’intubation pour ventilation mécanique. Toutefois, des différences régionales ont été observées en termes de proportion de patients obèses nécessitant une ventilation assistée, avec respectivement 28,2 % et 11,3 % de patients ayant un IMC ≥ 35 kg/m2 admis en unité de soins intensifs à Lille et Lyon. Ces disparités peuvent peut-être s’expliquer par une prévalence différente de l’obésité dans les deux régions.
L’étude lilloise, publiée dans la revue Obesity en juillet 2020, a rapporté que, par rapport aux patients avec un IMC inférieur à 25 kg/m2, le risque d’avoir recours à une ventilation mécanique était multiplié par 1,69 chez les patients ayant un IMC compris entre 25 et 30 kg/m2, par 3,45 chez ceux avec un IMC compris entre 30 et 35 kg/m2 et par 7,36 lorsque l’IMC était supérieur à 35 kg/m2.
En avril 2020, la Haute Autorité de santé (HAS) a publié une note confirmant que les patients obèses sont plus à risque de développer des formes graves de Covid-19.
Impact de l’obésité associée au diabète
Enfin, l’étude observationnelle multicentrique française, baptisée CORONADO (CORONAvirus-SARS-CoV-2 and Diabetes Outcomes), a permis d’évaluer l’impact de l’obésité sur le pronostic de la Covid-19 dans un contexte de diabète. Elle a confirmé le rôle néfaste de l’obésité, mais également du surpoids, dans une population de 1 317 patients diabétiques hospitalisés.
Après ajustement pour de nombreux autres facteurs de risque (dont le sexe, l’âge, le tabac, l’hypertension artérielle), il ressort qu’un surpoids (IMC entre 25 et 30 kg/m2), une obésité de grade I (IMC supérieur à 30 kg/m2) et de grade II-III (≥ 35 kg/m2) sont respectivement associés à un risque d’intubation multiplié par 1,65, 1,93 et 1,98.
L’impact défavorable de l’obésité se traduit principalement par la nécessité d’avoir recours à la ventilation assistée, mais n’est quasiment pas associé à un risque de décès 7 jours après l’admission. Les auteurs soulignent qu’un des éléments importants mis en évidence dans CORONADO est que « le lien délétère entre l’obésité et la sévérité de la Covid-19 n’était retrouvé que chez les patients âgés de moins de 75 ans ». Concernant les patients plus âgés (de plus de 75 ans), le risque est probablement plus lié à la dénutrition, même si cela nécessite d’être confirmé par des études supplémentaires. En revanche, le risque de décès est influencé, de façon indépendante, par l’existence de complications vasculaires préexistantes liées au diabète.
De fait, plusieurs méta-analyses ayant évalué l’impact du diabète sur la mortalité liée à la Covid-19 ont rapporté un risque multiplié par 2 à 3. Une étude américaine, publiée en 2020 dans la revue Diabetes Care, a ainsi montré, après ajustement sur la présence d’une obésité, que le diabète augmente de 1,6 fois le risque d’être admis en soins intensifs et double le risque de décès dans les deux semaines après l’admission.
Obésité sévère et risque de mortalité liée à la Covid-19
Concernant la mortalité, plusieurs études ont mis en évidence une augmentation significative du risque de mortalité chez les individus atteints d’une obésité sévère. C’est notamment le cas d’une étude française, reposant sur les données de 5 795 patients hospitalisés à Paris pour Covid-19 entre le 1er février et le 20 avril 2020, avec un IMC moyen entre 29,3 pour les femmes et 27,2 pour les hommes. Publiée en décembre 2020 dans la revue Obesity, cette étude a montré qu’une obésité doublait, de façon significative, le risque de mortalité à 30 jours des patients obèses hospitalisés pour une infection par le SARS-CoV-2. Plus précisément, après ajustement sur l’âge, le sexe et les comorbidités, le risque de décès était respectivement multiplié par 1,41, 1,89, 2,79 et 2,55 chez les patients obèses avec un IMC entre 25 et 29,9, entre 30 et 35, entre 35 et 40 et supérieur à 40. D’autres études internationales rétrospectives et méta-analyses ont également rapporté un risque accru de mortalité chez les sujets atteints d’obésité.
Remise en cause de l’« obesity paradox »
Deux notions semblent avoir été remises en question concernant l’obésité dans un contexte de maladie Covid-19. La première est ce que l’on appelle l’ « obesity paradox ». Bien connu de spécialistes en réanimation, ce concept tient au fait que « les patients très obèses auraient, paradoxalement, un pronostic plus favorable que les patients moins obèses ou de poids normal dans des situations critiques de détresse respiratoire aiguë en unité de soins intensifs », rappelle un article paru dans la Revue Médicale Suisse. Il semble que cela ne soit pas ce que l’on observe lors de la Covid-19, sans doute du fait que dans un tel contexte le syndrome de détresse respiratoire aiguë est particulier, notamment parce qu’il s’accompagne de la présence d’une atteinte des petits vaisseaux (micro-angiopathie) et de la présence de nombreux micro-caillots sanguins (micro-thrombi disséminés). Des données supplémentaires provenant de patients atteints d’obésité extrême (IMC ≥ 40 kg/m2) sont nécessaires pour confirmer la remise en cause du concept « obesity paradox ».
Une seconde notion semble ne pas être vérifiée dans le contexte de Covid-19 : le fait que ce sont habituellement les adultes très âgés qui sont les plus à risque de présenter un mauvais pronostic. En effet, il découle d’études épidémiologiques internationales que la relation entre obésité et forme sévère de Covid-19 est particulièrement nette chez les personnes les plus jeunes. Dans les populations où la prévalence de l’obésité est élevée, la Covid-19 affecterait davantage les populations plus jeunes. L’obésité pourrait donc déplacer les formes sévères de Covid-19 vers des âges plus jeunes, alors que ce sont surtout les patients âgés qui présentent le risque le plus élevé en l’absence d’obésité, comme l’ont notamment suggéré une étude américaine parue en mai 2020 dans The Lancet et une étude singapourienne publiée en octobre 2020 dans Clinical Infectious Diseases.
Quels sont les facteurs impliqués dans la gravité de la Covid-19 chez les patients obèses ? Il apparaît que plusieurs mécanismes sont potentiellement responsables de l’impact néfaste de l’obésité dans un contexte d’infection par le SARS-CoV-2. Le risque accru de la maladie Covid-19 chez les obèses peut résulter de l’intrication de plusieurs mécanismes physiopathologiques. En d’autres termes, l’obésité pourrait jouer un rôle délétère dans la mesure où elle s’accompagne d’un cumul de facteurs de risque en rapport avec des troubles de la mécanique ventilatoire, des réactions immunologiques, des phénomènes inflammatoires et la masse graisseuse (tissu adipeux).
Obésité et fonction respiratoire
Chez les patients atteints d’obésité, en particulier lorsque celle-ci est sévère, on note une baisse des performances ventilatoires. On observe une diminution de la force des muscles respiratoires ainsi qu’une réduction des volumes pulmonaires efficaces, participant effectivement aux échanges gazeux dans les poumons. Il existe également une résistance des voies aériennes pouvant entraîner un piégeage gazeux plus ou moins localisé. Chez les patients atteints d’obésité, des facteurs mécaniques sont donc associés au risque de développer un syndrome de détresse respiratoire aiguë.
Par ailleurs, l’obésité est fréquemment associée à d’autres pathologies pulmonaires, telles qu’un syndrome d’apnées-hypopnées obstructives du sommeil (SAHOS) ou un asthme. Dans l’étude française CORONADO portant sur une cohorte de patients diabétiques, le SAHOS a été trouvé associé à un pronostic défavorable.
Chez le patient obèse, en cas d’infection pulmonaire par le SARS-CoV-2, des altérations préexistantes de la fonction respiratoire peuvent donc contribuer à l’aggravation de la détresse respiratoire et donc à un recours rapide à la ventilation mécanique.
Thromboses
L’obésité est connue pour être associée à une hypercoagulabilité qui favorise la survenue de thromboses veineuses, c’est-à-dire la formation de caillots obstructifs, ce qui augmente le risque d’embolie pulmonaire.
Dans l’obésité, cette hypercoagulabilité peut résulter d’une augmentation de l’activité des substances assurant la coagulation (ce qu’on appelle les facteurs de la coagulation : fibrinogène, facteur VII, facteur VIII, facteur Willebrand) ainsi que d’un défaut de dissolution des caillots (altération de la fibrinolyse). Chez le sujet obèse résistant à l‘insuline, on observe en effet une élévation des taux plasmatiques de l’inhibiteur de la fibrinolyse (PAI‐1, plasminogen activer inhibitor-1), connu pour son effet pro-thrombotique et contribuant donc à créer un état favorisant la formation de thromboses.
Il est donc possible que, chez les patients obèses, l’hypercoagulabilité puisse contribuer à une évolution défavorable vers des formes sévères de la maladie Covid-19.
On sait par ailleurs que la fine couche de cellules qui forme le revêtement interne des vaisseaux (qui porte le nom d’endothélium vasculaire) est elle-même la cible du SARS-CoV-2.
Dépôts de graisse
Des phénomènes inflammatoires et des facteurs favorisant la formation de thromboses sont, eux, en rapport avec les dépôts de graisse que l’on observe chez les sujets obèses, non seulement au niveau abdominal (on parle alors de tissu adipeux abdominal viscéral), mais également au sein même de certains organes tels que le foie et le muscle squelettique.
On observe également chez les obèses des dépôts graisseux entre le myocarde et le feuillet du péricarde (enveloppe entourant le cœur). Ces dépôts de graisse situés à la surface du muscle cardiaque portent le nom de tissu adipeux épicardique.
Inflammation chronique de bas grade
Au cours de ces dernières années, le statut du tissu adipeux a évolué. Il est aujourd’hui acquis qu’il ne constitue pas seulement un organe de stockage dont l’excès est responsable de l’obésité. Il constitue également un véritable tissu endocrine. En effet, les adipocytes synthétisent et libérent un grand nombre de molécules dans la circulation sanguine, telles que le TNF-alpha, l’interleukine-6 (IL-6), l’interleuline-1-bêta (IL-1β), qui jouent un rôle essentiel dans de nombreuses réponses physiologiques de l’organisme. Ces cytokines inhibent notamment la voie de signalisation de l’insuline. Par ailleurs, on estime qu’au moins un tiers de l’IL-6 circulante, molécule dotée d’une puissante action inflammatoire et marqueur prédictif de la sévérité de la Covid-19, provient du tissu adipeux.
Il existe dans l’obésité un état inflammatoire chronique de bas niveau (appelé inflammation de bas grade, ou encore métainflammation). Le tissu adipeux lui-même est un site d’inflammation où s’accumulent des macrophages.
Dérèglement de la sécrétion de molécules pro- et anti-inflammatoires
Par ailleurs, les adipocytes sont eux-mêmes capables de produire de nombreuses molécules pro- et anti-inflammatoires. L’accroissement de la taille des adipocytes, qui caractérise l’état obèse, altère leur profil de sécrétion, avec une libération exagérée de leptine (molécule pro-inflammatoire) et une production diminuée d’adiponectine (molécule anti-inflammatoire). Cette modification de l’équilibre de la sécrétion de la leptine et d’adiponectine pourrait entraîner une dysfonction de l’endothélium vasculaire et altérer la réponse immunitaire, rendant plus vulnérables les sujets obèses vis-à-vis de l’infection par le SARS-CoV-2.
Il est probable que l’inflammation chronique de bas grade se surajoute à la réponse inflammatoire de l’hôte en réponse à l’infection virale et contribue à amplifier de multiples désordres. Elle pourrait par ailleurs participer à l’emballement faisant suite à l’infection virale (« orage cytokinique » lié à une suractivation inadaptée du système immunitaire), à l’hypercoagulabilité et à la défaillance de plusieurs organes.
Publiée le 25 octobre 2021 sous forme de preprint sur le site de bioRxiv, une étude américaine a montré que le SARS-CoV-2 infecte le tissu adipeux humain et entraîne une réponse inflammatoire dans les formes sévères de Covid-19. Les chercheurs de l’université de Stanford (Californie) ont prélevé du tissu adipeux à partir de plusieurs dépôts graisseux issus de sujets non infectés par le SARS-CoV-2 ayant subi une chirurgie bariatrique (traitement chirurgical de l’obésité sévère) ou cardiothoracique. Du tissu adipeux provenant de patients décédés de la Covid-19 a aussi été analysé. Dans les deux catégories de patients, le tissu adipeux était sous-cutané, viscéral, péricardique et épicardique.
Les macrophages résidants du tissu adipeux joueraient un rôle pivot dans la sévérité de la Covid-19
L’équipe de Tracey McLaughlin et Catherine Blish a clairement identifié deux cibles du SARS-CoV-2 dans le tissu adipeux : les adipocytes matures et des macrophages. L’infection virale est limitée à une sous-population particulière de macrophages* déjà présents dans le tissu adipeux. Selon les auteurs, ces macrophages résidants du tissu adipeux jouent un rôle pivot dans la sévérité de la maladie.
D’après les données obtenues par les chercheurs, le récepteur ACE2, habituellement utilisé par le SARS-CoV-2 comme porte d’entrée dans les cellules qu’il infecte, n’est pas détecté dans le tissu adipeux viscéral et très peu exprimé par les macrophages du tissu adipeux sous-cutané. Selon eux, le SARS-CoV-2 pénètre donc probablement dans les macrophages résidants du tissu adipeux en empruntant une voie d’entrée alternative, autre que celle impliquant le récepteur ACE2.
Le coronavirus pénètre-t-il dans ces macrophages lorsqu’elles phagocytent des cellules infectées ? Utilise-t-il la voie endosomale durant laquelle la particule virale rentre dans la cellule par endocytose ? Le virus serait alors internalisé dans une petite vésicule qui cheminerait à l’intérieur de la cellule. Autre possibilité : que l’entrée du virus dans les macrophages dépende des anticorps. Enfin, le virus utilise-t-il d’autres récepteurs cellulaires que ACE2 ? Élucider le mode d’entrée du SARS-CoV-2 dans les macrophages résidants du tissu adipeux s’avère une voie de recherche importante.
Intense réponse inflammatoire après infection du tissu adipeux
Les adipocytes sont les constituants cellulaires majoritaires du tissu adipeux. Celui-ci renferme également des préadipocytes qui sont les cellules à l’origine des adipocytes. En effet, une fois différenciés, les préadipocytes deviennent des adipocytes.
Les chercheurs de l’université de Stanford ont, en revanche, montré que les préadipocytes ne sont pas infectés par le SARS-CoV-2, mais qu’ils adoptent un profil pro-inflammatoire en réponse à l’infection virale des macrophages. L’infection par le SARS-CoV-2 pourrait ainsi entraîner une inflammation déclenchée par l’activation des préadipocytes.
Les chercheurs ont détecté une production accrue de molécules inflammatoires (cytokines, chimiokines, facteurs de croissance et autres médiateurs de l’inflammation) dans le tissu adipeux infecté in vitro par le SARS-CoV-2**. Les cellules adipeuses sont donc responsables de la sécrétion de molécules pro-inflammatoires. L’hypothèse a été émise que cet environnement pro-inflammatoire pourrait contribuer à un dysfonctionnement immunitaire susceptible de favoriser la défaillance de plusieurs organes.
Le SARS-CoV-2 infecte le tissu adipeux
Giovanny Martínez-Colón et ses collègues ont également détecté la présence du matériel génétique (ARN génomique et sub-génomique) du SARS-CoV-2 dans les adipocytes infectés in vitro. Les chercheurs de l’université de Stanford ont ainsi montré que des adipocytes matures fraîchement isolés et des adipocytes différenciés dans des cultures cellulaires peuvent être infectés par le SARS-CoV-2.
Ces résultats confirment ceux obtenus par des chercheurs américains et publiés le 2 novembre 2021 dans la revue Cell Metabolism. Moritz Reiterer et ses collègues du Weill Cornell Medicine (New York) ont rapporté avoir détecté le SARS-CoV-2 dans le tissu adipeux de hamsters syriens, un excellent modèle animal de l’infection par le SARS-CoV-2. Ces chercheurs montrent également que le virus peut infecter des adipocytes de tissu mammaire humain prélevé après mastectomie ou chirurgie de réduction mammaire.
Ces résultats vont également dans le même sens que ceux publiés le 4 janvier 2022 dans Cell Metabolism. Des chercheurs allemands rapportent la réplication du SARS-CoV-2 dans le tissu adipeux, en l’occurrence dans des adipocytes différenciés et chargés de lipides, mais pas dans les préadipocytes ou les adipocytes immatures. Martin Zickler et ses collègues du Centre médical universitaire Hambourg-Eppendorf indiquent que l’infection des adipocytes par le SARS-CoV-2 pourrait dépendre d’une augmentation de l’expression du récepteur ACE2 durant le processus de différenciation de ces cellules graisseuses (durant lequel un préadipocyte devient un adipocyte).
Il est à noter que les chercheurs allemands ont également rapporté la détection de l’ARN du SARS-CoV-2 dans au moins un dépôt de graisse chez 10 des 18 individus masculins analysés morts de la Covid-19. De même, l’ARN viral a été détecté chez quatre hommes avec un IMC ≥ 30 dans des échantillons de foie, ce qui suggère que l’accumulation de graisse hépatique fréquemment observée chez les obèses pourrait être un site supplémentaire de réplication du SARS-CoV-2.
Détection de l’ARN viral dans le tissu adipeux viscéral, épicardique et sous-cutané
Les virologistes ont ensuite cherché à montrer la présence in vivo d’une infection par le SARS-CoV-2 en analysant du tissu adipeux provenant de patients Covid-19 décédés. Ils ont détecté le virus non seulement dans le tissu adipeux pulmonaire et cardiaque, mais également dans le tissu graisseux épicardique, viscéral (abdominal), sous-cutané et péri-rénal.
Comme l’on pouvait s’y attendre, c’est dans le tissu adipeux des poumons que le SARS-CoV-2 est présent en plus grande quantité. Le virus a également été repéré à la surface du cœur dans les adipocytes du tissu adipeux épicardique. Une infiltration du tissu adipeux par des cellules inflammatoires (consistant principalement en des lymphocytes) a également été observée dans les prélèvements autopsiques de l’épicarde de patients Covid-19.
Le tissu adipeux, possible réservoir viral
Selon les chercheurs, ces résultats attestent de « la présence du SARS-CoV-2 dans le tissu adipeux de prélèvements autopsiques d’individus atteints de Covid-19, ce qui indique que ce tissu graisseux peut être le siège de l’infection virale et contribuer à une inflammation pathogène ». Et de conclure que « le tissu adipeux peut servir de réservoir potentiel pour le SARS-CoV-2 et entretenir une inflammation systémique et régionale, pouvant éventuellement contribuer à une forme sévère de la maladie chez les personnes obèses infectées par le SARS-CoV-2 ».
Ces résultats sont importants dans la mesure où ils semblent indiquer que le tissu adipeux est le siège d’une infection par le SARS-CoV-2 et d’une inflammation. De ce fait, ils permettent d’établir un lien direct entre obésité, caractérisée par des dépôts ectopiques de graisse (localisation disséminée de l’excès de tissu adipeux, non seulement au niveau abdominal autour des organes, mais aussi dans le foie), et une forme sévère de Covid-19.
Il a également été évoqué que des micro-dépôts de graisse dans les poumons, en l’occurrence dans les espaces entre les alvéoles (tissu interstitiel interalvéolaire), pourrait favoriser l’infiltration de cellules inflammatoires en rapport avec l’infection virale, ce qui pourrait contribuer à l’apparition d’un œdème massif entraînant un syndrome de détresse respiratoire aiguë et le recours à une ventilation assistée.
Les chercheurs font aussi remarquer qu’il pourrait être également important de déterminer l’impact possible de l’infection par le SARS-CoV-2 sur le tissu adipeux de personnes présentant un « Covid-long », autrement dit chez celles présentant des symptômes persistants. Des études, publiées en juin 2021 dans Diabetes, Obesity & Metabolism et en septembre 2021 dans le Journal of Clinical Medicine, ont suggéré qu’un IMC élevé est associé à un risque accru de persistance de symptômes.
Importance du tissu adipeux viscéral
L’excès de tissu adipeux viscéral, qui définit l’obésité dite centrale, est considéré comme le principal responsable de l’inflammation systémique de bas grade liée à l’obésité.
Des travaux italien, américain, chinois, allemand et français ont montré que l’adiposité viscérale est associée à un mauvais pronostic. Ces travaux ont été publiés dans les revues Metabolism (septembre et octobre 2020, février 2021), Abdominal Radiology (février 2021, Diabetes Care (octobre 2020) et Obesity (novembre 2020). Le tissu adipeux viscéral apparaît être un meilleur élément prédictif de la sévérité de la Covid-19 que le tissu adipeux sous-cutané.
Des radiologues italiens ont notamment montré dans Diabetes Care qu’une répartition de la graisse abdominale, caractérisée par une augmentation de l’épaisseur du tissu adipeux viscéral et une faible épaisseur de tissu adipeux sous-cutané, augmente le risque d’admission en soins intensifs, indépendamment de l’indice de masse corporelle (IMC).
Des chercheurs sud-coréens ont rapporté en mars 2022 dans la revue Metabolism que le risque d’évolution vers une forme sévère de Covid-19 augmente de façon presque linéaire avec le nombre de paramètres indiquant un dérèglement cardio-métabolique (pression artérielle, glycémie à jeun, taux sanguin de cholestérol et de triglycérides), même après avoir tenu compte de l’IMC. Ces résultats indiquent donc que les patients atteints de dysfonctionnement métabolique présente un risque de forme sévère de Covid-19, indépendamment de l’obésité. Cependant, le risque de décès le plus élevé concerne les patients obèses « non métaboliquement sains ». Il importe de déterminer si ces résultats, obtenus dans une population ethnique particulière, sont généralisables.
Une étude grecque, également publiée en mars 2022 dans Metabolism, souligne l’hétérogénéité des patients obèses classés dans la catégorie « métaboliquement sains » (metabolically healthy obesity, MHO). Selon les chercheurs, il importe de prendre aussi en compte la présence de l’accumulation de graisse dans le foie (stéatose), et ce d’autant que l’association de la Covid-19 à une stéatose hépatique métabolique s’accompagne d’un mauvais pronostic, indépendamment de l’obésité. On rappelle que la stéatose hépatique non alcoolique ou NAFLD (pour Non Alcoholic Fatty Liver Disease) est un terme générique servant à désigner l’accumulation excessive de graisse dans le foie non liée à la consommation excessive de boissons alcoolisées. Il est donc possible que l’accumulation de graisse dans le foie puisse, au même titre que le tissu adipeux viscéral et sous-cutané, influer sur l’évolution défavorable de la Covid-19.
Chirurgie de l’obésité et Covid-19
Avant de conclure, un mot sur Covid-19 et chirurgie bariatrique qui, on le rappelle, permet d’induire une perte de poids sur le long terme.
Plusieurs études de suivi rétrospectif ont été conduites. Elles ont montré un faible taux d’hospitalisation et d’admission en soins intensifs chez les patients obèses infectés par le SARS-CoV-2 ayant au préalable perdu du poids suite à une chirurgie bariatrique.
Une étude, publiée en janvier 2021 dans la revue Obesity, a été menée auprès de 738 patients obèses ayant subi une chirurgie bariatrique à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris). Elle indique que 62 patients (8,4 %) ont présenté des symptômes permettant d’identifier une infection par le SARS-CoV-2, dont quatre (6,4 %) présentaient une forme grave nécessitant une hospitalisation. Seul un patient (1,6 %) est décédé.
L’ensemble des données disponibles montre l’intérêt de la chirurgie bariatrique qui permet de diminuer le risque de survenue d’une forme grave de Covid-19.
Une étude italienne, portant sur une cohorte de 2 140 patients opérés, a rapporté des résultats similaires en mars 2021 dans la revue Obesity Surgery. Seuls 0,6 % des patients ont été dépistés positifs pour le SARS-CoV-2 et 0,1 % ont dû être admis en soins intensifs.
Au terme de ce billet de blog qui fait le point sur les relations possibles entre l’obésité et la Covid-19 sévère, il apparait acquis que l’obésité contribue à augmenter le risque de développer une maladie Covid-19 plus sévère que celle développée par des patients qui ne sont pas obèses. Qui plus est, la coexistence d’une infection par le SARS-CoV-2 avec une obésité et/ou un diabète de type 2 et/ou un dysfonctionnement cardio-métabolique, contribue significativement à un mauvais pronostic.
Outre les troubles de la mécanique ventilatoire, les réactions immunologiques et la réaction inflammatoire associées aux dépôts ectopiques de graisse, l’obésité est souvent associée à plusieurs comorbidités, telles que l’hypertension artérielle et le diabète de type 2, qui sont autant de facteurs de risque de Covid-19 sévère. Enfin, l’obésité favorise également la survenue de pathologies cardio-vasculaires, susceptibles d’accroître la mortalité des patients atteints de Covid-19.
Il y a encore beaucoup de choses à apprendre sur les mécanismes physiopathologiques par lesquels l’obésité est associée à une augmentation de la mortalité chez les patients atteints de Covid-19, et plus généralement sur les modifications qui sous-tendent la vulnérabilité des sujets obèses à l’infection par le SARS-CoV-2.
Certains ont évoqué le niveau d’expression des récepteurs ACE2 dans le tissu graisseux des sujets en surpoids ou obèses, plus particulièrement dans le tissu adipeux viscéral. L’analyse de l’expression de ACE2 dans plusieurs types tissulaires et cellulaires a pu conduire à des résultats contradictoires, pouvant tenir, selon les cas, au modèle animal utilisé, aux conditions de recueil des tissus et des cellules, à la sensibilité et la spécificité des réactifs et des techniques de détection utilisés.
L’hypothèse du rôle du microbiote intestinal a également été soulevée, le SARS-CoV-2 étant présent dans les matières fécales. Le dérèglement de la flore microbienne intestinale (dysbiose intestinale) observée dans l’obésité pourrait être aggravé dans l’infection par le SARS-CoV-2 via la production de cytokines inflammatoires produites par les muqueuses intestinales et/ou respiratoires.
Il est également possible que l’inflammation locale, associée à des lésions vasculaires digestives, puisse augmenter la perméabilité de la paroi intestinale, avec pour conséquence le passage (translocation) de bactéries dans les tissus et l’apparition de dommages tissulaires associés à la libération de cytokines inflammatoires. Tout ceci demande à être vérifié.
Enfin, le récepteur ACE2 (enzyme de conversion de l’angiotensine 2) appartient au système appelé « rénine-angiotensine » qui intervient dans la régulation de la pression artérielle et est impliqué dans les fonctions de plusieurs organes dont le cœur, les poumons, les vaisseaux sanguins, le foie et le tissu adipeux. Ce système hormonal a été incriminé dans l’obésité comme pouvant aggraver l’état inflammatoire et participer aux lésions de l’endothélium vasculaire, notamment au niveau des poumons. Cette hypothèse reste cependant à confirmer.
Les mécanismes physiopathologiques permettant d’expliquer la prédisposition des sujets obèses aux formes sévères de Covid-19 sont à la fois complexes et pour certains inconnus ou incertains. En effet, certaines d’hypothèses théoriques méritent être confirmées, voire invalidées, ce qui interdit des conclusions définitives. Il importe également de mieux évaluer la part respective des différents mécanismes potentiels.
Enfin, il est à noter que l’association entre obésité et Covid-19 a également été évaluée chez l’enfant. Publiée en octobre 2020 dans JAMA Pediatrics, une étude américaine, conduite auprès de jeunes patients Covid-19 à New York, a conclu que l’obésité était significativement associée à la gravité de la maladie.
Le choc de deux pandémies
Aujourd’hui, ces deux pandémies, Covid-19 et obésité, se superposent. Le choc est dévastateur, la collusion des deux accentuant leur impact respectif (d’une part, sur-risque de formes graves chez les personnes souffrant d’obésité, conséquences de la pandémie sur la santé mentale et l’isolement social des personnes obèses, d’autre part). L’obésité est aujourd’hui identifiée dans la maladie Covid-19 comme un facteur de risque indépendant pour l’hospitalisation, l’admission en soins intensifs, le recours à la ventilation mécanique invasive (respirateur artificiel) et la mortalité. Elle aggrave donc le pronostic de la Covid-19.
La prévalence globale de l’obésité a triplé entre 1975 et 2016. L’Organisation mondiale de la santé estime que 650 millions d’adultes de plus de 18 ans étaient obèses dans le monde en 2016. Aux États-Unis, 42 % des adultes de plus de 20 ans sont obèses et plus de 9 % de la population adulte américaine est atteinte d’obésité sévère ou morbide (IMC ≥ 40 kg/m2). En France, 17 % des adultes sont obèses (IMC ≥ 30 kg/m2).
Une meilleure compréhension des mécanismes physiopathologiques (mécaniques, inflammatoires, pro-thrombotiques, immunitaires, métaboliques) reliant obésité et sévérité de la maladie Covid-19 laisse entrevoir de nouvelles voies de recherche, centrées en particulier sur le tissu adipeux. Celles-ci pourraient déboucher, à terme, sur le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques qui pourraient bénéficier en priorité aux patients atteints d’obésité. En attendant, l’ensemble des données disponibles incitent fortement à renforcer les actions de prévention (mesures hygiéno-diététiques prônant une alimentation équilibrée et une activité physique régulière) chez les patients obèses.
Marc GOZLAN (Suivez-moi sur Twitter, Facebook, LinkedIn)
* Ces macrophages résident dans ce qu’on appelle la fraction vasculaire stromale (FVS) issue du tissu adipeux humain. Le fait de séparer les cellules graisseuses du tissu adipeux par digestion enzymatique par la collagénase permet d’isoler la FVS. C’est la FVS qui a été infectée par le SARS-CoV-2 dans les expériences réalisées par les chercheurs californiens. Celles-ci ont montré que le SARS-CoV-2 infecte les macrophages de la FSV par une voie alternative à celle qui implique le récepteur ACE2.
** Dans le tissu adipeux sous-cutané et viscéral, des taux élevés d’interleukine-10 (IL-10) ont été trouvés. Des taux importants de PDGF-AA, de PDGFAB/BB et d’IL-4 ont été détectés dans le tissu adipeux sous-cutané. Il a déjà été rapporté que les taux d’IL-10, de PDGF-AA et de PDGFAB/BB sont élevés dans les séries de patients atteints de formes sévères de Covid-19.