C’est l’histoire d’un homme de 62 ans, vivant avec un diabète de type 2, admis dans le service d’urologie de l’hôpital universitaire de Copenhague pour une infection des voies urinaires et une rétention d’urines. Il est traité depuis huit ans pour son diabète par metformine et depuis un an par une association médicamenteuse comportant un inhibiteur de la dipeptidylpeptidase-4 (DPP-4, linagliptine) et un inhibiteur de SGLT-2 (empagliflozine).
Les inhibiteurs de SGLT2 (cotransporteurs sodium-glucose de type 2) constituent une nouvelle classe d’hypoglycémiants oraux utilisés en diabétologie. Ils réduisent la glycémie à jeun et postprandiale en agissant sur les tubules rénaux.
Pour comprendre le lien possible entre ce traitement et les symptômes présentés, il faut savoir que l’élaboration de l’urine définitive implique la participation d’un mécanisme physiologique que l’on appelle la réabsorption tubulaire. En effet, l’urine primitive, initialement formée au niveau des glomérules, passe ensuite dans les tubules rénaux qui peuvent « récupérer » certaines substances préalablement filtrées et les « renvoyer » dans le système circulatoire. Les tubules rénaux ont ainsi la capacité de réabsorber le glucose. Les inhibiteurs de SGLT2 réduisent la réabsorption rénale de glucose et favorisent son excrétion urinaire. Ce faisant, ils acroissent le risque d’infection génito-urinaire en augmentant la glycosurie (taux de glucose urinaire). Une urine riche en glucose représente en effet un milieu de culture pour des micro-organismes.
On note dans les antécédents médicaux que cet homme sexagénaire danois, dont le cas a été rapporté en juillet 2024 dans la revue BMJ International, a été opéré de la prostate (résection transurétrale de la prostate). Il avait alors reçu une sonde à demeure, retirée plusieurs mois avant son actuelle hospitalisation.
Ce patient diabétique passe une échographie vésicale qui montre un résidu après miction et une masse mal définie dans la vessie, attribuée à la présence de caillots sanguins. Une sonde urinaire à ballonnet est utilisée pour drainer la vessie (cathéter de Foley). Elle ramène 700 ml de pus, mais pas de sang.
Notre homme passe alors un scanner qui montre une augmentation de volume des deux reins (hydronéphrose bilatérale) due à une obstruction des voies urinaires située sous la vessie. Cet examen objective la présence dans cet organe creux d’une masse mesurant 5,5 x 4,6 cm.
Le lendemain, les cultures des prélèvements sanguins (hémocultures) révèlent la présence de levures, identifiées comme étant Candida parapsilosis. Cette même levure est isolée dans les échantillons urinaires. Son traitement antifungique est adapté en tenant compte que ce champignon est sensible au fluconazole. Il reçoit alors du fluconazole par voie intraveineuse pendant cinq jours, puis relais par voie orale. Malgré cela, Candida parapsilosis est encore détecté dans les hémocultures au 4e et 8e jour après le début du traitement antifungique.
Grumeaux blanchâtres dans les urines
À chaque lavage de vessie et changement de sonde urinaire, l’équipe soignante remarque la présence de grumeaux blanchâtres. Un scanner effectué 17 jours après son admission à l’hôpital montre une augmentation du volume des reins et des dimensions de la masse dans la vessie. Cette dernière mesure maintenant 6 x 5,7 cm.
Lors d’une cystoscopie réalisée sous anesthésie générale, la masse intravésicale est retirée et l’examen histologique montre qu’elle renferme de nombreux filaments mycéliens. Cette masse est ce que l’on appelle une boule fungique (fungus ball, en anglais), ce qui correspond à des colonies fongiques comblant un organe creux, ici la vessie.
Le traitement est à nouveau modifié. Du fluconazole par voie intraveineuse est associé à un traitement local par amphotéricine B (instillation intravésicale de cet antifungique une fois par jour pendant 5 jours). Au bout d’un mois d’hospitalisation, le patient quitte l’hôpital avec une sonde urinaire à demeure et un traitement par fluconazole par voie orale. Le traitement de son diabète est modifié pour ne plus comporter que de la metformine et des injections d’insuline. Le traitement par inhibiteur de SGLT2 est interrompu.
Six semaines après sa sortie d’hôpital, une nouvelle cystoscopie est réalisée, qui ne montre plus aucun signe d’infection. Le traitement par fluconazole est alors interrompu.
Ce patient était initialement sous un traitement comportant de l’empagliflozine, qui est un inhibiteur de SGLT2. Les auteurs de ce cas clinique estiment que ce cas d’infection fungique sévère chez ce patient diabétique est probablement un effet indésirable secondaire de son traitement par empagliflozine. Ce patient présentait plusieurs facteurs de risque d’infection candidosique, à savoir être diabétique et avoir été porteur d’une sonde urétrale à demeure suite à son opération de la prostate.
Des essais cliniques de plase III ont montré que ce médicament était associé à une fréquence plus élevée d’infection des voies urinaires, en particulier chez les individus ayant déjà présenté des infections urinaires chroniques ou récidivantes. Des enquêtes de pharmacovigilance post-marketing ont également rapporté chez des patients traités par des inhibiteurs de SGLT2 (dont l’empagliflozine) la survenue d’infections urinaires sévères, tels qu’un sepsis urinaire grave ou une pyélonéphrite (infection du rein).
Dans ce même numéro de BMJ International, un autre cas de fungus ball intravésical est rapporté par une équipe du Western General Hospital d’Edimbourg. Il concerne une femme de 59 ans, diabétique, admise pour des douleurs abdominales du côté gauche, débutant dans la fosse iliaque puis irradiant vers le flanc. Comme dans le cas précédemment décrit, le traitement antidiabétique par empagliflozine est arrêté.
À la cystoscopie, les urologues observent la présence d’une masse solide de 2 cm dans la vessie, siégeant sur l’orifice de l’uretère. La lésion a été retirée chirurgicalement. Les chirurgiens urologues évoquent alors une possible anomalie de l’urètre (urétérocèle associée à une infection). Ce n’est que sept jours plus tard que l’examen de la pièce opératoire commence à mettre en évidence la présence de levures. Le diagnostic de fungus ball n’a été définitivement établi qu’au 10e jour après l’intervention. La boule fongique intravésicale avait donc fini par provoquer une obstruction urétérale, l’urine produite par le rein ne pouvant plus atteindre la vessie. La patiente a récupéré rapidement après la résection chirurgicale de la masse fongique.
Une complication rare, mais sévère, surtout chez les patients immunodéprimés
Les boules fungiques (fungus balls) sont une complication rare d’obstruction des voies urinaires. Elles peuvent siéger dans la vessie ou dans le rein, au niveau du bassinet qui est alors dilaté. Elles sont constituées d’un ensemble de filaments, plus ou moins ramifiés, appelés hyphes.
À l’imagerie, les boules fongiques ne présentent pas de caractéristiques spécifiques. Leur apparence peut parfois donner le change avec des caillots sanguins, des calculs urinaires radio-transparents, des bulles d’air, des débris inflammatoires.
Les infections candidosiques (Candida albicans, Candida glabrata, Candida tropicalis) sont à l’origine de la plupart des fungus balls. Celles-ci sont parfois dues à d’autres genres de champignons ayant une forme filamenteuse (Cryptococcus, Aspergillus tropicalis).
Un autre terme est parfois utilisé pour désigner ces masse de filaments mycéliens survenant dans les infections fongiques sévères, souvent dans un contexte de dépression du système immunitaire : fungal bezoars.
La prise en charge d’un patient présentant une boule fongique nécessite la participation d’une équipe multidisciplinaire associant urologues, infectiologues et microbiologistes.
Les options antifungiques disponibles sont limitées (fluconazole, amphotéricine B, échinocandines). Le traitement nécessite souvent en l’ablation chirurgicale du fungus ball, suivie d’un traitement antifungique local. Selon les cas, celui-ci consiste en des instillations d’amphotéricine B dans la vessie (irrigation locale) ou au placement, directement dans le rein, d’une sonde de néphrostomie afin de dériver les urines. Dans certains cas, le traitement antifungique est associé à la pose d’une endoprothèse urétérale (tube placé dans l’uretère), qui permet de rétablir l’écoulement des urines et d’évacuer les grumeaux.
Marc Gozlan (Suivez-moi sur X, Facebook, LinkedIn, Mastodon, Bluesky)