C’est l’histoire d’un Américain de 68 ans atteint d’un mélanome métastatique. Le diagnostic a été porté six ans auparavant du fait d’une lésion cutanée siégeant sur l’épaule gauche. L’an dernier, l’imagerie a révélé une métastase cérébrale, située dans le lobe pariétal, et une autre lésion métastatique dans le poumon gauche. Il est alors décidé que ce patient bénéficie d’une immunothérapie anti-cancéreuse. Il reçoit du pembrolizumab, un médicament permettant au système immunitaire de mieux lutter contre les cellules tumorales.
Dans de nombreux cancers, les cellules tumorales verrouillent le système immunitaire. Ces nouvelles thérapies visent à le débloquer en levant certains freins, ce que l’on appelle les points de contrôle (checkpoints) du système immunitaire. Ces médicaments sont des anticorps monoclonaux dirigés contre des récepteurs (CTLA-4, PD1) ou contre les molécules qui s’y fixent, appelées ligands (PD-L1, le ligand de PD1). Ces médicaments sont donc des « inhibiteurs de checkpoints immunitaires », encore appelés « inhibiteurs de point de contrôle immunitaire ». Ils visent à lever la protection dont peuvent bénéficier les cellules cancéreuses du fait d’interactions entre les protéines situées à leur surface (PD-L1) et celles présentes à la surface des cellules immunitaires (PD1, CTLA-4). Les cellules cancéreuses sont en effet capables de détourner le système des checkpoints à leur avantage. En bloquant ces interactions, ces anticorps monoclonaux contribuent à lever ces freins et permettent de renforcer l’activation des lymphocytes T contre les cellules tumorales.
Ces anticorps monoclonaux sont utilisés dans le traitement de plusieurs types de cancers, dont le mélanome et les cancers pulmonaires. L’immunothérapie par les inhibiteurs de checkpoints immunitaires constitue l’un des plus importants progrès récemment obtenus en oncologie. Ce traitement entraîne fréquemment des effets secondaires cutanés ou gastro-intestinaux, moins souvent endocriniens.
Mais revenons au patient atteint d’un mélanome métastatique. Ce cas est relaté par des médecins de la faculté de médecine de Harvard dans un article publié le 24 février 2022 par le New England Journal of Medicine (NEJM).
Ce patient est traité par pembrolizumab, un anticorps monoclonal dirigé contre la protéine PD-1 exprimée par les lymphocytes T. Il avait été auparavant opéré de sa lésion cérébrale dans le lobe pariétal puis avait reçu une radiothérapie ciblée sur cette zone.
Lorsque ce patient se présente dans le service d’oncologie pour recevoir une nouvelle perfusion de pembrolizumab, il déclare être fatigué depuis trois semaines. Il dit également ressentir depuis deux semaines une sensation de soif, associée à plusieurs mictions nocturnes (jusqu’à trois par nuit). Cela s’est produit sans qu’il y ait eu de modification de l’appétit ou des changements alimentaires.
Ce patient indique également avoir perdu 5 kg lors des trois dernières semaines. Son indice de masse corporelle (IMC) est de 29. Il est donc en surpoids. Son père, sa sœur et son frère ont eux-mêmes été atteints de mélanome malin.
Sa glycémie est très élevée à 5,05 g/L (ou 28,03 mmol/L, valeurs normales entre 3,8 et 6,1 mmol/L). L’hémoglobine glyquée, qui est un reflet de la glycémie sur trois mois, est passée de 5,7 % à 11 % (valeurs normales inférieures à 6 %) au cours des trois derniers mois. Le patient est adressé aux urgences du Massachusetts General Hospital de Boston.
Ce patient, traité par immunothérapie pour un cancer, présente donc une hyperglycémie récente associée à une acidocétose (présence anormale de corps cétoniques acides dans le sang). Dans un tel contexte, le diagnostic le plus probable est celui d’un diabète induit par un inhibiteur des points de contrôle immunitaire. Il s’agit donc d’un effet secondaire indésirable de l’immunothérapie.
Un traitement à long terme avec injections d’insuline par voie sous-cutanée est instauré (association d’une insuline basale à une insuline rapide administrée avant les repas). Après la mise en route du traitement par insuline, les examens montrent une diminution du taux de glucose sanguin à 1,31 g/L (7,27 mmol/L). Le patient, sous traitement insulinique, peut regagner son domicile.
Acidocétose diabétique
Bien que rare, le diabète induit par un inhibiteur de checkpoints immunitaires se manifeste en général de manière brutale, par un tableau clinique d’acidocétose. Chez ces patients, cette complication, aiguë et sévère, est la présentation initiale du diabète dans environ trois quarts des cas.
L’acidocétose survient lorsque, par manque d’insuline, les cellules ne peuvent pas utiliser le glucose sanguin et dépendent pour leur fonctionnement du métabolisme des acides gras libres. On observe également une concentration faible, voire indétectable, de peptide-C, ce qui indique un défaut de sécrétion d’insuline. Dans la moitié des cas environ, on détecte des autoanticorps dirigés contre le pancréas. Chez ce patient, la présence d’anticorps pancréatiques anti-GAD65 et anti-IA2 n’a pas été observée.
Le diabète de type 1 (insulino-dépendant) secondaire aux inhibiteurs de checkpoints immunitaires est de survenue rapide, en général dans les trois mois suivant l’instauration du traitement. Il survient chez des malades à un âge bien plus avancé que celui observé, dans l’enfance ou l’adolescence, chez les patients développant spontanément un diabète de type 1.
Publiée en 2019 dans le Journal of Clinical Endocrinology and Metabolism, une étude indique que le diabète auto-immun associé à l’inhibition des points de contrôle immunitaire est diagnostiqué après un délai médian de 25 semaines (entre 17 et 34 semaines) après le début du traitement. D’autres études rapportent que le diabète peut apparaître 4 à 5 mois après l’instauration de l’immunothérapie, voire après 24 mois.
Les cas de diabète sont presque tous liés à une immunothérapie anti-PD-1 ou anti-PD-L1, traitement de plus en plus utilisé au cours de ces dix dernières années en oncologie. Une étude a analysé 283 nouveaux cas de diabète survenus entre 2014 et avril 2018. Au total, 76 % des cas concernaient l’utilisation d’une immunothérapie anti-PD-1, 3 % les anticorps anti-PD-L1 et 4,2 % les anti-CTLA-4 d’après les données des observations individuelles de pharmacovigilance envoyées par les centres nationaux du réseau de l’OMS.
Le diabète ne contre-indique pas la poursuite de l’immunothérapie
Le diabète induit par les inhibiteurs de checkpoints immunitaires est provoqué par la destruction des cellules bêta-pancréatiques, productrices de l’insuline. Le mécanisme en cause n’est pas clairement expliqué. Il semble que la survenue du diabète soit due à une rupture de la tolérance du système immunitaire vis-à-vis des cellules sécrétrices d’insuline. Des travaux chez la souris semblent indiquer que l’expression à un faible niveau de PD-L1 sur les cellules bêta pancréatiques protège ces animaux d’un diabète auto-immun. L’emploi d’anti-PD-L1 pourrait donc perturber des processus physiologiques impliqués dans la régulation immunitaire et entraîner une brèche dans la tolérance du « soi », provoquant une réaction agressive du système immunitaire vis-à-vis des tissus de l’hôte qui l’héberge.
Dans la mesure où cet effet secondaire résulte de la perte de fonction des cellules bêta, on estime que les dégâts cellulaires sont irréversibles au moment où le diagnostic de diabète est établi. Interrompre l’immunothérapie ne suffirait donc pas à modifier le cours du diabète induit par l’inhibiteur de checkpoints immunitaires. Il est donc conseillé de reprendre l’immunothérapie dès que l’état clinique se stabilise.
Même dans le cas où le diabète est détecté à un stade précoce, en l’occurrence à la phase où l’on observe des anomalies modérées de la glycémie (dysglycémie), on peut s’attendre à ce que le patient perde progressivement ses cellules bêta et finisse par ne plus produire d’insuline. Le diabète peut alors être traité par insulinothérapie. Sa survenue n’est donc pas une raison pour arrêter l’immunothérapie.
Avec l’utilisation croissante des inhibiteurs de checkpoints immunitaires en oncologie, les cliniciens sont de plus en plus susceptibles de rencontrer ce diabète induit par les nouvelles thérapies ciblées. Cela souligne l’importance, avant d’initier l’immunothérapie, de surveiller régulièrement la glycémie et l’hémoglobine glyquée et de s’informer si le patient présente des symptômes évocateurs d’un diabète. Il convient donc avant l’instauration de ce type de traitement que les patients soient avertis du risque potentiel de diabète. Il importe donc qu’ils soient informés sur les symptômes de l’hyperglycémie (polyurie, soit une augmentation du volume d’urine par jour, et polydipsie, caractérisée par une sensation de soif exagérée) et ceux de l’acidocétose.
Un effet secondaire rare
Le diabète induit par les inhibiteurs de checkpoints immunitaires est rare. Publiée dans la revue JAMA Oncology en 1998, une méta-analyse portant sur 38 essais cliniques n’avait identifié que 13 cas sur les 7 689 participants, ce qui représente une incidence de 0,2 %. Douze cas sur les 13 avaient été observés chez des patients traités par les anticorps anti-PD1 pembrolizumab et nivolumab. Un patient recevait de l’ipilimumab (anti-CTLA-4).
Même si des études ultérieures ont montré des taux plus élevés, ces cas de diabète secondaire restent rares. Une étude rétrospective de données issues du système de notification des effets secondaires de la Food and Drug Administration a identifié, entre le 1er janvier 2015 et le 31 décembre 2019, 735 nouveaux cas de diabète associés aux inhibiteurs de checkpoints immunitaires, soit une incidence globale de 1,27 %. Cela dit, le nombre de cas signalés a constamment augmenté entre début 2015 et fin 2019.
Peu de temps après que le diagnostic de diabète secondaire à l’administration d’une immunothérapie par pembrolizumab a été posé chez ce patient de 68 ans, un taux élevé d’enzymes hépatiques a été observé, pouvant évoquer une hépatite d’origine médicamenteuse. Le traitement par anticorps a alors été interrompu, avec l’intention de reprendre l’immunothérapie en cas de rechute du cancer.
Cela fait maintenant trois ans qu’un diabète induit par un inhibiteur de checkpoints immunitaires a été diagnostiqué chez ce malade. Son cancer est stable. Celui-ci n’a pas évolué et le traitement par pembrolizumab n’a pas été réinstauré. Ce patient continue d’avoir un bon équilibre glycémique tout en recevant un traitement par insuline*. Aucune complication, ni aucune hospitalisation, associée à son diabète, n’est survenue.
Marc GOZLAN (Suivez-moi sur Twitter, Facebook, LinkedIn)
* Schéma insulinique de type « basal–bolus », qui associe une injection d’insuline basale (ou lente) à des injections d’insuline prandiale (ou ultrarapide) ou bolus.