C’est l’histoire d’une Japonaise diabétique de type 1 de 64 ans adressée aux urgences après avoir été retrouvée sans connaissance chez elle par son aide à domicile. En ce jour de février, la température extérieure qui est en moyenne de 7 °C est descendue à 1,5 °C.
Cette patiente réside dans une maison japonaise traditionnelle, sans chauffage central, ni cheminée. Elle est traitée pour un diabète, une hypertension et une insuffisance rénale terminale, secondaire à sa néphropathie diabétique. Elle est sous hémodiafiltration une fois par semaine et sous dialyse péritonéale six jours par semaine. Ces types de dialyse ont pour but de suppléer la défaillance des reins malades en assurant l’élimination des déchets et de l’eau de l’organisme.
L’hémodiafiltration nécessite une machine permettant des échanges à l’extérieur du corps entre le sang et un liquide à travers un filtre artificiel. Elle diffère dans son principe physique de l’hémodialyse. Par rapport à cette dernière qui est intermittente, l’hémodiafiltration est réalisée de façon continue et améliore les performances d’épuration de petites molécules (urée, créatinine).
La dialyse péritonéale permet des échanges entre le sang et un liquide dénommé dialysat, à l’intérieur même du corps. Elle se déroule au domicile du patient. Cette technique utilise le péritoine, membrane naturelle qui tapisse toute la cavité abdominale ainsi que les intestins. La dialyse péritonéale consiste à utiliser le péritoine comme membrane d’échange pour assurer la filtration et l’élimination des déchets que les reins ne peuvent plus éliminer. En d’autres termes, le péritoine, membrane semi-perméable et richement vascularisée, fait office de rein artificiel. Les échanges se font entre les vaisseaux sanguins du péritoine et un liquide (dialysat) introduit dans la cavité péritonéale, dont la composition a été conçue pour attirer les déchets et l’excédent d’eau.
Cette dialyse nécessite un accès à la cavité péritonéale qui est réalisé par la mise en place chirurgicale d’un cathéter souple. Ce cathéter permet de renouveler le liquide de dialyse. Le dialysat est donc introduit dans la cavité péritonéale au moyen de ce cathéter permanent. Après un temps de contact, la solution de dialyse qui se trouve à l’intérieur de l’abdomen est drainée via le cathéter placé à demeure, puis est éliminée.
Une température interne descendue à 22,8 °C
Cette patiente diabétique pèse 44,3 kg et est traitée par insuline. Lors de son admission à l’hôpital, son rythme cardiaque est de 46 battements par minute et sa fréquence respiratoire de 24 par minute.
Sa température rectale est de 22,8 °C. La patiente est en hypothermie sévère définie par une température corporelle inférieure à 28 °C*. Elle est comateuse. Elle a les yeux ouverts, n’a pas de réponse verbale et présente un évitement de la douleur (elle éloigne la partie du corps lorsqu’elle est pincée). Les pupilles sont réactives à la lumière.
Le cathéter de dialyse péritonéale sort de l’abdomen au niveau du quadrant inférieur gauche. La peau est froide et sèche, mais ne présente pas de gelure. La glycémie est de 1,45 g/L.
La patiente est enveloppée dans une couverture électrique et perfusée avec une solution réchauffée de sérum physiologique. Mais une heure plus tard, la température corporelle est à 26,5 °C et la patiente est toujours inconsciente.
Les médecins réanimateurs décident d’interrompre la perfusion de sérum physiologique et d’injecter une solution liquide réchauffée dans la cavité abdominale par l’intermédiaire du cathéter de dialyse péritonéale. Un litre et demi de liquide de dialyse chauffé à 38°C est progressivement injecté et maintenu dans la cavité péritonéale. Ces procédures se déroulent dans de strictes conditions d’asepsie afin d’éviter le risque de péritonite.
Les médecins évitent de changer fréquemment la solution de dialyse. Ils la laissent au contraire plusieurs heures dans la cavité péritonéale afin de limiter le risque de changements brusques dans le volume et la composition en électrolytes du plasma sanguin. De trop grandes variations peuvent en effet provoquer un trouble du rythme cardiaque.
Durant le réchauffement actif via le cathéter de dialyse péritonéale, les réanimateurs, en étroit contact avec des urgentistes et internistes, se tiennent prêts à toute éventualité, notamment à un arrêt cardiaque, et préparent un chariot d’urgence et un défibrillateur.
Au cours de l’heure suivante, la température corporelle remonte à 31,3 °C et la patiente reprend connaissance. La sexagénaire confie à l’équipe soignante que, la veille de son admission à l’hôpital, son taux de glucose sanguin au coucher était relativement bas (0,70 g/L) et qu’elle a perdu connaissance après son injection d’insuline.
Trois heures après son admission, la patiente voit sa température remonter à 33 °C. Aucune complication (hypotension ou trouble du rythme cardiaque) n’est observée pendant le réchauffement.
Les néphrologues, urgentistes et diabétologues de l’hôpital universitaire de Kyoto, qui rapportent ce cas clinique dans le dernier numéro de l’American Journal of Emergency Medicine, en ont conclu que cette patiente avait présenté une hypothermie accidentelle sévère suite à une exposition au froid et avait perdu connaissance du fait d’une hypoglycémie. C’est la première fois qu’on rapporte la survenue d’une hypothermie accidentelle sévère chez une personne dépendant de la dialyse péritonéale et d’une technique d’hémodialyse, porteuse d’un cathéter à demeure, pour réaliser un réchauffement actif.
Après transfert dans un service de soins conventionnels, le traitement par insuline a été ajusté afin d’éviter les hypoglycémies. La patiente est finalement sortie de l’hôpital sans aucune séquelle.
Le réchauffement central en cas d’hypothermie accidentelle sévère consiste généralement en des perfusions intraveineuses réchauffées ou en une irrigation thoracique ou péritonéale (des liquides sont directement injectés dans la cavité abdominale ou la cage thoracique). On peut également avoir recours au réchauffement par circulation extracorporelle via une machine cœur-poumon. Le sang est alors pompé hors de l’organisme, puis réchauffé. De l’oxygène est ajouté, puis le sang est réinjecté dans l’organisme. Autre technique : le sang peut être réchauffé par hémodialyse. Dans ce cas, le sang est pompé hors de l’organisme, passe à travers un filtre où il est réchauffé, puis il est réinjecté dans le corps.
Chez cette patiente, les médecins japonais ont choisi de ne pas utiliser l’hémodialyse, craignant qu’elle ne provoque un trouble du rythme cardiaque. Ils ont préféré administrer une solution réchauffée de dialyse péritonéale en se servant du cathéter placé à demeure. Ils estiment que cette technique est moins invasive, facilement utilisable en urgence et moins susceptible d’entraîner d’importantes variations sur le volume de plasma et sa composition en électrolytes (notamment en potassium)**.
Des cas rarement rapportés dans la littérature médicale
Les articles décrivant l’utilisation de la dialyse péritonéale en tant que traitement d’une hypothermie sont très rares dans la littérature médicale internationale.
En 1996, des néphrologues irlandais ont rapporté dans l’Irish Journal of Medical Science trois cas traités avec succès par cette technique. En 1967, une équipe américaine a décrit dans le JAMA un cas d’hypothermie sévère (21 °C) traité par dialyse péritonéale. La patiente, qui avait avalé des barbituriques, n’avait pas eu de séquelles. Des médecins américains ont également publié un cas similaire en 1977.
En 1979, des médecins canadiens ont rapporté dans le Canadian Anaesthetists’ Society Journal le cas d’un homme de 67 ans, alcoolique, ayant souffert ďhypothermie accidentelle et qui a subi un réchauffement actif interne grâce à l’utilisation ďune irrigation péritonéale. Enfin, en 1986, une équipe danoise a décrit dans le Scandinavian Journal of Urology and Nephrology le cas d’un patient dont la température interne était tombée à 24,4 °C et qui avait été traité avec succès par dialyse péritonéale.
Selon les auteurs de ces quatre publications, la dialyse péritonéale est une technique de réchauffement rapide et efficace qui a l’avantage de ne pas nécessiter un équipement compliqué.
Marc GOZLAN (Suivez-moi sur Twitter, Facebook, LinkedIn)
* L’hypothermie est un refroidissement de la température interne du corps en dessous de 35 °C. Si la température descend entre 35 et 32,2 °C, on parle d’hypothermie légère. Entre 32,2 et 28 °C, elle est modérée. En dessous de 28 °C, elle est sévère. Les fonctions vitales, et en particulier le système cardiovasculaire, sont alors en danger. L’hypothermie, qu’elle soit modérée ou sévère, est associée à un taux élevé de morbi-mortalité, compris entre 40 % et 80 % selon l’âge, la présence de comorbidités, la consommation d’alcool, la rapidité de mise en route du traitement.
** Un des risques associés au réchauffement est en effet la survenue d’une hyperkaliémie (taux élevé de potassium dans le sang), ce qui peut entraîner un trouble du rythme cardiaque (arythmie), potentiellement mortel. L’hypothermie est également associée à un risque d’acidose métabolique pouvant entraîner une instabilité de l’état vasculaire.