Publiée le 4 juin 2022 dans l’hebdomadaire médical américain The New England Journal of Medecine (NEJM), une étude présente des résultats de perte de poids impressionnants obtenus au cours d’un vaste essai clinique international conduit auprès de sujets obèses. Il permet d’envisager une approche thérapeutique innovante de l’obésité basée sur le double contrôle des récepteurs hormonaux de deux hormones intestinales, le GIP et le GLP-1.
Avant de présenter les résultats remarquables de cette étude, il convient de dire un mot de la physiologie de certaines hormones produites par le tube digestif pour comprendre la stratégie de développement de cette nouvelle piste thérapeutique.
Incrétines
Le GIP (glucose-dependant insulin releasing polypeptide) et le GLP-1 (glucagon-like peptide-1) sont des hormones intestinales libérées en réponse à une prise alimentaire. Ces hormones stimulent la sécrétion d’insuline en exerçant une action que l’on désigne sous le terme d’ « effet incrétine ». Celui-ci est défini par le fait que la sécrétion d’insuline est plus importante (entre deux et trois fois) lors de la prise d’une même quantité de glucose par voie orale que par voie intraveineuse. Ces hormones sécrétées par les cellules intestinales endocrines suite à une prise alimentaire, et dénommées incrétines, potentialisent donc la réponse en insuline induite par la consommation de glucose.
Le GIP est sécrété par des cellules de la partie initiale de l’intestin grêle (cellules K du duodénum), tandis que le GLP-1 est produit par des cellules situées dans la partie terminale de l’intestin (cellules endocrines L de l’iléon et du côlon). Ces hormones intestinales exercent leur action par l’intermédiaire de récepteurs spécifiques. Le GIP exerce notamment son action sur la dépense énergétique en agissant sur un récepteur présent dans le cerveau et le tissu adipeux.
Une action sur les récepteurs du GIP et du GLP-1
Le tirzépatide est le nom du composé dont l’efficacité et la tolérance ont été évaluées dans l’essai clinique publié dans le NEJM. Il exerce son action sur les récepteurs du GIP et du GLP-1. En clair, ce composé est capable de se lier sélectivement à ces deux récepteurs et de les activer. Le tirzépatide est ce que l’on appelle un double-agoniste (ou co-agoniste) des récepteurs du GIP et du GLP-1.
Ces récepteurs sont présents dans de nombreux tissus dans l’organisme et en particulier dans le cerveau. Le GLP-1 augmente la satiété et réduit la vidange gastrique. Il agit également sur les cellules graisseuses (adipocytes). Le GIP exerce moins d’actions que le GLP-1, mais semble avoir une activité dans le tissu adipeux (stockage des lipides) et au niveau du système nerveux central.
C’est l’association des propriétés du GIP et du GLP-1, hormones impliquées dans la régulation de l’équilibre énergétique (ce que l’on appelle l’homéostasie énergétique), qui a motivé le développement de composés capables d’agir sur les récepteurs des incrétines. On pourrait donc avoir théoriquement un bénéfice à cibler deux voies dépendantes de la prise alimentaire en mimant les effets de ces hormones digestives afin de tenter de gagner en efficacité sur la perte de poids.
L’essai publié dans le NEJM, baptisé SURMOUNT-1, conduit dans une population de sujets obèses, fait suite à un grand essai, dénommé SURPASS-2, qui avait été mené auprès de patients avec un diabète de type 2. Celui-ci avait montré que le tirzépatide avait une efficacité supérieure au sémaglutide (agoniste des récepteurs du GLP-1) pour ce qui concerne le taux d’hémoglobine glyquée (HbA1c), reflet de la glycémie, après 40 semaines de traitement. La baisse plus importante de l’HbA1c avait été observée chez les patients sous tirzépatide 15 mg (la plus forte dose) que chez ceux traités par sémaglutide. Surtout, il avait été montré que le tirzépatide, à la dose de 15 mg hebdomadaire, avait entraîné une perte de poids supérieure à celle observée sous sémaglutide (différence de 5,5 kg).
Essai multicentrique de phase III, randomisé, en double aveugle, contre placebo
Dirigé par Ania Jastreboff et ses collègues de la faculté de médecine de l’université de Yale, cet essai clinique de phase III, randomisé, en double aveugle, contre placebo, visait à évaluer l’efficacité et la sécurité d’emploi du tirzépatide (LY328176, développé par Eli Lilly).
La structure du tirzépatide, principalement basée sur celle du GIP, comporte en outre un acide gras qui accroît sa durée d’action et permet d’administrer ce composé une fois par semaine par voie sous-cutanée. La capacité de liaison (affinité) du tirzépatide est plus importante pour le récepteur du GIP que pour celui du GLP-1.
L’essai clinique concernait des patients dont l’indice de masse corporelle (IMC) était soit supérieur ou égal à 30, soit supérieur ou égal à 27 et associé à une complication liée à l’obésité (hypertension, taux élevé de lipides dans le sang, apnée du sommeil ou maladie cardiovasculaire). Étaient exclus de l’étude les patients diabétiques, de même que les individus ayant déjà bénéficié d’une chirurgie de l’obésité (chirurgie bariatrique) ou qui envisageaient d’y avoir recours.
Cet essai multicentrique international, qui a inclus un total de 2 539 adultes obèses, a été mené dans neuf pays. L’âge moyen des patients était de 45 ans. Le poids moyen des participants était de 104 kg. L’IMC était en moyenne de 38*. Le périmètre abdominal était de 114 cm et 94,5 % des participants avaient un IMC supérieur à 30.
L’essai clinique publié dans le NEJM visait donc à évaluer l’intérêt de ce composé, qui appartient à la nouvelle famille des agonistes des incrétines, dans le traitement de l’obésité. Les participants ont été répartis en quatre groupes : un recevant un placebo et trois autres recevant chacun une dose différente de tirzépatide (5, 10 ou 15 mg une fois par semaine, pendant 72 semaines), en complément des mesures hygiéno-diététiques.
Cette étude comportait comme critères d’évaluation secondaires la mesure de plusieurs paramètres cardiométaboliques, tels que l’évolution du périmètre abdominal, la pression artérielle systolique, les taux d’insuline et de lipides sanguins à jeun, la santé physique (à partir du SF-36, questionnaire utilisé pour évaluer globalement la qualité de vie).
Une perte pondérale de 19,5 % et de 20,9 % respectivement avec tirzépatide 10 mg et 15 mg
Au terme de l’essai, le pourcentage moyen de perte de poids a été de – 15 % à la 72e semaine avec le tirzépatide à la dose hebdomadaire de 5 mg, de – 19,5 % à la dose de 10 mg, de – 20,9 % à la dose de 15 mg et de -3,1 % avec le placebo.
À la plus faible dose de tirzépatide (5 mg), la perte de poids par rapport au poids initial était de 11,9 % supérieure à celle sous placebo. À cette dose, 30 % de participants ont obtenu une perte pondérale d’au moins 20 %.
Il ressort que 85 % des participants ont présenté une perte de poids d’au moins 5 % avec le tirzépatide à la dose hebdomadaire de 5 mg. Ils étaient respectivement 89 % et 91 % dans ce cas avec la dose de 10 mg et 15 mg (35 % dans le groupe placebo).
Ces résultats sont remarquables dans la mesure où l’efficacité d’un médicament anti-obésité est souvent exprimée par le pourcentage de patients parvenant à obtenir une perte de poids d’au moins 5 % ou 10 %. Atteindre un doublement, voire un triplement, de ce pourcentage est généralement considéré comme un succès. « Il est remarquable que l’ampleur de la perte de poids avec le tirzépatide ait été similaire à celle obtenue avec le bypass gastrique [utilisé en chirurgie bariatrique], ce qui souligne le potentiel de cette autre approche médicale dans le traitement de l’obésité », peut-on lire dans un éditorial associé à l’article. En effet, la perte de poids associée à la chirurgie bariatrique est d’environ 25 % à 30 % après un à deux ans.
Ces données semblent robustes et généralisables dans la mesure où l’essai SURMOUNT-1 a inclus un grand nombre de participants, que ceux-ci appartenaient à différents groupes ethniques et que le traitement n’a pas entraîné d’effets secondaires dits hors-cibles (hormis des troubles digestifs déjà observés chez des patients diabétiques de type 2), estiment Clifford Rosen (Boston, Massachusetts) et Julie Ingelfinger (Scarborough, Maine) dans leur éditorial. « Cela suggère que cet essai pourrait avoir des conséquences majeures pour les personnes en situation d’obésité », ajoutent-ils.
Par ailleurs, 50 % des participants du groupe tirzépatide 10 mg et 57 % du groupe tirzépatide 15 mg ont vu leur poids chuter d’au moins 20 % (contre seulement 3 % dans le groupe placebo). Au total, 36 % des sujets sous tirzépatide 15 mg ont obtenu une perte pondérale d’au moins 25 % par rapport à leur poids initial.
Il a été observé une amélioration de tous les paramètres cardiométaboliques prédéfinis chez les participants qui ont reçu du tirzépatide.
Les effets secondaires les plus fréquemment observés avec ce composé ont été des troubles gastro-intestinaux (nausées, diarrhée, constipation). La plupart de ces effets indésirables étaient d’intensité légère à modérée, survenant lors de l’augmentation progressive des doses. En effet, le trizépatide a d’abord été administré à la dose de 2,5 mg une fois par semaine, puis augmenté de 2,5 mg toutes les quatre semaines pour finalement atteindre la dose hebdomadaire de 15 mg au bout de la 20e semaine. Parmi les participants ayant reçu 5, 10 et 15 mg de trizépatide, 4,3 %, 7,1 % et 6,2 % d’entre eux ont respectivement interrompu le traitement du fait d’effets secondaires (contre 2,6 % parmi les sujets du groupe placebo).
Le lourd passé des médicaments anti-obésité
Comme toujours avec les médicaments anti-obésité, il convient d’être très prudent, sachant que plusieurs produits approuvés dans le passé ont finalement été retirés du marché pour leur manque d’efficacité ou leurs effets secondaires graves (toxicité cardiovasculaire, neuropsychiatrique), voire mortels.
De nombreuses questions n’ont pas encore de réponse malgré les résultats très prometteurs du tirzépatide dans l’obésité, soulignent les éditorialistes dans le NEJM. Ce traitement pourrait-il entraîner des effets indésirables cardiovasculaires majeurs à moyen et long terme ? Il importe d’évaluer cette question dans des études supplémentaires dans la mesure où l’essai SURMOUNT-1 a été de courte durée (72 semaines, soit environ 1,3 an) et qu’il incluait des personnes relativement jeunes (âge moyen 45 ans), ne présentant donc pas un risque élevé de maladie cardiovasculaire. Les effets indésirables gastro-intestinaux s’amenuisent-ils avec le temps ou pourraient-ils finalement conduire à l’arrêt du traitement ? Pourrait-on envisager des « fenêtres thérapeutiques », autrement dit des interruptions provisoires du traitement à intervalles réguliers ?
Espoir de nouvelles approches pharmacologiques dans l’obésité
Quoi qu’il en soit, il semble, au vu de ces résultats objectivement impressionnants rapportés par l’essai SURMOUNT-1, que l’on puisse disposer dans un futur proche de plus d’options thérapeutiques pour permettre aux personnes souffrant d’obésité de réussir à obtenir, et maintenir, une perte de poids, tout en conservant une glycémie normale.
Plusieurs approches fondées sur des biothérapies ciblant divers récepteurs, impliqués dans la régulation de l’apport alimentaire et de la dépense énergétique, font aujourd’hui l’objet de recherches. Verra-t-on bientôt un médicament remplacer totalement la chirurgie dans la prise en charge de l’obésité ?
Marc GOZLAN (Suivez-moi sur Twitter, Facebook, LinkedIn)
* On rappelle que l’obésité est classée par degré de sévérité en fonction de la valeur de l’indice de masse corporelle (IMC) (en kg/m2) : [30–34,9] : classe I ; [35–39,9] : classe II et 40 kg/m2 : classe III.
** Plusieurs composés multi-agonistes hormonaux sont en développement pour contribuer à majorer la perte de poids. Il s’agit de composés di, tri ou multi-agonistes, ciblant les récepteurs des incrétines (GIP et GLP-1) mais également le récepteur du glucagon (autre hormone digestive régulant la glycémie).