Une définition et des critères diagnostiques de l’obésité clinique viennent d’être proposés par une commission internationale incluant 58 experts. Elle identifie l’obésité comme étant un facteur de risque qu’il importe de différencier de l’obésité-maladie. Elle distingue ainsi « l’obésité préclinique » de l’« obésité clinique ».
Les experts de cette commission, diligentée par la revue Lancet Diabetes & Endocrinology et dirigée par Francesco Rubino du Kings College de Londres, appartiennent à 76 organisations médicales internationales. Elles représentent de nombreuses spécialités : médecine de l’obésité, endocrinologie, médecine interne, chirurgie bariatrique et métabolique, pédiatrie, nutrition, psychologie, soins primaires, gastroentérologie, médecine cardiovasculaire, biologie moléculaire, santé publique. Deux d’entre eux vivent avec une obésité afin de prendre en considération le point de vue des patients.
Nécessité d’une distinction entre obésité préclinique et obésité clinique
Comme il est indiqué dès la première ligne du document de consensus de 42 pages auquel ils ont abouti, publié le 14 janvier 2025 dans Lancet Diabetes & Endocrinology, « les mesures actuelles de l’obésité basées sur l’IMC peuvent sous-estimer ou surestimer l’adiposité et entraîner des informations inadéquates sur la santé au niveau individuel », ce qui nuit à une prise en charge médicale médicalement fondée.
Selon les auteurs, une distinction s’impose entre obésité préclinique et obésité clinique. Ils insistent sur le fait que la définition actuelle de l’obésité ne repose que sur un paramètre unique : l’indice de masse corporelle, le fameux IMC, quels que soient le sexe, l’âge ou l’appartenance ethnique. Or l’IMC ne tient pas compte de la complexité de cette maladie, ni de ses causes qui sont multiples.
La commission définit l’obésité comme « une condition caractérisée par un excès d’adiposité, avec ou sans anomalie de répartition ou de fonction du tissu adipeux, et dont les causes sont multifactorielles et encore incomplètement comprises ».
Les personnes présentant une adiposité excessive confirmée doivent subir des examens de laboratoire standards, à savoir : numération globulaire complète (par une prise de sang), glycémie, profil lipidique, tests d’évaluation des fonctions rénale et hépatique.
Obésité clinique : maladie directement et spécifiquement causée par un excès d’adiposité

L’obésité clinique est définie comme une « maladie chronique et systémique caractérisée par des altérations du fonctionnement des tissus, des organes, de l’individu tout entier, ou d’une combinaison de ces éléments, en raison d’un excès d’adiposité ». Celle-ci « peut entraîner de graves lésions des organes cibles, provoquant des complications potentiellement mortelles (par exemple, crise cardiaque, accident vasculaire cérébral et insuffisance rénale) ».
En d’autres termes, insistent les auteurs, « l’obésité clinique est définie comme une maladie en cours directement causée par un excès d’adiposité, mais n’est pas une mesure du risque cardiométabolique ».
En résumé, la définition de l’obésité clinique doit impérativement inclure deux composants : une accumulation de graisse corporelle (paramètre anthropométrique) et des conséquences délétères de cet excès d’adiposité sur la santé (paramètre clinique).

Quant à l’obésité préclinique, elle est définie comme un « état caractérisé par un excès d’adiposité, avec préservation de la fonction de tissus et organes et un risque variable, mais généralement accru, de développer une obésité clinique ainsi que plusieurs autres maladies non transmissibles (tels qu’un diabète de type 2, une maladie cardiovasculaire, certains types de cancers et troubles mentaux) ». En définissant ainsi l’obésité préclinique, les auteurs déclarent admettre que « l’excès d’adiposité peut effectivement coexister avec une santé préservée ».
Leur modèle considère par ailleurs que l’obésité peut provoquer des maladies en altérant la fonction de divers organes, et pas seulement ceux impliqués dans la régulation du métabolisme. Ainsi, une personne ayant un excès d’adiposité qui aurait des symptômes cardiovasculaires, musculo-squelettiques ou respiratoires présenterait une obésité clinique, même en ayant une fonction métabolique normale. Par ailleurs, un individu ayant un excès d’adiposité qui ne présenterait qu’une seule altération métabolique (comme une dyslipidémie, c’est-à-dire une anomalie des lipides sanguins) devrait être considéré comme atteint d’obésité préclinique.
La nouvelle définition distingue donc l’obésité clinique, maladie chronique et systémique, directement causée par un excès d’adiposité, de l’obésité préclinique, définie par un excès d’adiposité en l’absence de dysfonctionnement organique ou de limitation des activités quotidiennes, mais associée à un risque ultérieur pour la santé.
Cette distinction apparaît d’autant plus justifiée qu’au vu des données disponibles dans des bases de données patients, de nombreuses personnes obèses ne présentent pas de critères associés à une obésité clinique. « La confirmation du statut d’obésité définit donc un phénotype physique, mais ne constitue pas en soi un diagnostic de maladie », résument les auteurs.
Ainsi, la commission recommande que l’IMC soit uniquement utilisé comme indicateur indirect du risque pour la santé à l’échelle d’une population, pour des études épidémiologiques ou à des fins de dépistage, plutôt que comme une mesure de la santé à l’échelon individuel.
Selon les experts, l’excès d’adiposité devrait être confirmé soit par une mesure directe de la graisse corporelle, lorsqu’elle est disponible, soit par au moins un critère anthropométrique, par exemple, le tour de taille, le rapport taille-hanches ou le rapport tour de taille-hauteur, en plus de l’IMC, ceci en utilisant des méthodes validées et des valeurs seuils adaptées à l’âge, au sexe et à l’origine ethnique.
Concernant les personnes qui ont un IMC très élevé (> 40 kg/m2), les auteurs estiment qu’elles présentent très vraisemblablement un excès d’adiposité. Dans ce cas, aucun calcul autre que l’IMC n’est nécessaire.
Il est également recommandé que les personnes ayant une obésité confirmée (c’est-à-dire un excès d’adiposité avec ou sans fonction anormale d’organe ou de tissu) soient évaluées pour déterminer si elles présentent une obésité clinique.
Selon eux, le diagnostic d’obésité clinique nécessite l’un ou l’autre des critères suivants, voire les deux : présence de signes, symptômes ou anomalies de fonction d’un ou plusieurs tissus ou organes ; limitation notable des activités quotidiennes ajustées en fonction de l’âge reflétant l’effet spécifique de l’obésité sur la mobilité ou sur d’autres activités de base de la vie quotidienne (comme par exemple, se baigner, s’habiller, aller aux toilettes, manger).
Concernant l’obésité préclinique, sa définition implique la confirmation de la présence d’un excès d’adiposité, pas seulement du niveau de surpoids indiqué par l’IMC. En effet, il peut arriver que l’IMC sous-estime l’excès d’adiposité, certaines personnes considérées comme étant en surpoids ou pré-obésité pouvant souffrir d’obésité préclinique. Enfin, l’obésité préclinique est définie par une fonction préservée de tous les organes (systèmes musculo-squelettique, respiratoire, cardiovasculaire) pouvant être potentiellement affectés par l’obésité, pas seulement ceux impliqués dans la régulation métabolique (dont le foie).
Ainsi, bien que l’obésité puisse entraîner des modifications dans la structure de certains organes, notamment une stéatose hépatique (accumulation anormale de graisse à l’intérieur des cellules hépatiques), la commission estime que de telles modifications structurelles ne suffiraient généralement pas à elles seules à entraîner des manifestations cliniques majeures si la fonction organique est préservée.
L’obésité préclinique entraîne un risque accru de développer une obésité clinique ainsi que plusieurs autres pathologies, notamment un diabète de type 2, des maladies cardiovasculaires, certains types de cancer, des maladies mentales. Selon les auteurs du rapport, « la probabilité et le taux de progression de l’obésité préclinique vers l’obésité clinique sont incertains. De fait, l’obésité préclinique confère un risque variable (selon l’âge, l’origine ethnique, la prédisposition familiale, la répartition de la graisse corporelle, etc.) de développer des maladies liées à l’obésité, l’obésité clinique elle-même, ou les deux ».
Une distinction pragmatique entre obésité préclinique et obésité clinique

Selon les auteurs, il convient ainsi de distinguer, de manière pragmatique, les situations dans lesquelles un impact négatif sur la santé est susceptible de se produire, comme dans l’obésité préclinique, ou s’est déjà produit en cas d’obésité clinique. En conséquence, les stratégies de prise en charge de l’obésité préclinique devraient se concentrer sur la réduction des risques à titre préventif, alors que celles concernant l’obésité clinique devraient être conduites dans un but thérapeutique.
Ainsi, soulignent les experts, « cette distinction pragmatique entre obésité préclinique et clinique établit une distinction entre les individus en bonne santé (c’est-à-dire l’obésité préclinique) et ceux qui souffrent déjà d’une maladie due à l’obésité seule (c’est-à-dire l’obésité clinique). Ce recadrage identifie les patients ayant un état de santé, un risque de progression de la maladie et un pronostic qui diffèrent et, par conséquent, des besoins et une prise en charge différents ».
Même si l’obésité s’inscrit dans un continuum biologique, il importe pour la commission de « faire la distinction entre l’obésité préclinique et l’obésité clinique est une approche pratique et médicalement pertinente pour simplifier un problème de santé autrement complexe ». Selon elle, cette distinction entre obésité préclinique et obésité clinique vise au total à mieux informer sur le diagnostic, à mieux adapter la prise en charge clinique à l’échelon individuel, mais également à identifier les priorités stratégiques en matière de politique de santé.
Une prise en charge différente
La commission d’experts estime que « l’obésité préclinique ne nécessite généralement pas de traitement médicamenteux ou chirurgical ». Ces personnes ne devraient bénéficier que d’une surveillance de leur santé au fil du temps et de conseils de santé si le risque de progression vers l’obésité clinique ou d’autres maladies est jugé suffisamment faible.
Des mesures prophylactiques (par exemple, modification du mode de vie uniquement, médicaments hypolipémiants ou antihypertenseurs, ou chirurgie dans des circonstances particulières) peuvent cependant être nécessaires chez certaines personnes atteintes d’obésité préclinique lorsque le risque pour la santé est plus élevé ou que le contrôle de l’obésité peut faciliter le traitement d’autres pathologies (notamment en cas de transplantation d’organe, d’une chirurgie orthopédique programmée ou de la mise en route d’un traitement contre le cancer).
Quant aux personnes atteintes d’obésité clinique, elles devraient recevoir un traitement adéquat « avec pour objectif d’entraîner une amélioration (ou une rémission lorsque cela est possible) des manifestations cliniques de l’obésité et de prévenir la progression des lésions des organes cibles ».
Alors que le succès du traitement de l’obésité préclinique devrait reposer sur des mesures de réduction des risques, chez les patients vivant avec une obésité clinique, il convient de juger de l’efficacité du traitement sur la base d’une réelle amélioration des manifestations cliniques, plutôt que sur une évaluation du risque ou sur la perte de poids en elle-même.
Les limites de l’IMC comme indicateur de l’état d’obésité
L’IMC n’est pas l’alpha et l’oméga en matière de diagnostic de l’obésité. Ce seul paramètre ne suffit pas pour décrire l’état d’obésité. Et la commission de rappeler que certaines personnes dont l’IMC est égal ou supérieur à 30 kg/m² ne présentent pas d’excès d’adiposité (par exemple, les athlètes et les personnes dont la masse maigre est supérieure à la moyenne). De même, ajoutent-ils, de nombreuses personnes présentant un excès d’adiposité ne présentent aucun signe évident d’une maladie en cours.
Ainsi, « bien qu’existe une relation claire entre l’IMC, adiposité et prévalence de maladie au niveau de la population, l’IMC et la masse grasse ne fournissent aucune information sur la santé au plan individuel. Pour ces raisons, la définition actuelle de l’obésité et les méthodes centrées sur l’IMC utilisées pour sa détection pourraient entraîner un surdiagnostic de la maladie chez des individus par ailleurs en bonne santé », soulignent-ils. De fait, « plusieurs études ont montré que l’IMC ne reflète pas la répartition de la graisse corporelle ou la santé métabolique ».
Les auteurs font remarquer que certaines personnes ayant un IMC normal ou associé à un surpoids (18,5–29,9 kg/m² pour les personnes d’ascendance européenne) peuvent avoir un excès de graisse corporelle et courir un risque accru de maladies liées à l’obésité. L’IMC peut sous-estimer la masse graisseuse chez les personnes âgées, celles ayant perdu de la masse osseuse ou musculaire, ainsi que chez certains groupes ethniques (comme les Asiatiques), entraînant un sous-diagnostic de l’obésité.
À l’inverse, certaines personnes avec un IMC supérieur à 30 kg/m² n’ont pas d’excès de graisse et ne sont pas exposées à un risque accru de problèmes de santé. Cela peut se voir chez des personnes ayant une masse osseuse ou musculaire importante, auquel cas cela peut conduire à un sur-diagnostic d’obésité, notamment pour des boxeurs ou des footballeurs américains (quarterbacks).
Outre le risque de sous-diagnostiquer ou sur-diagnostiquer l’obésité, la commission fait remarquer que l’IMC ne fournit aucune information sur l’état fonctionnel des tissus et organes, pas plus qu’il ne renseigne sur la capacité d’une personne à mener normalement ses activités quotidiennes, deux critères pourtant essentiels pour évaluer l’état de santé.
« Pour toutes ces raisons, l’utilisation de l’IMC pour le diagnostic de l’obésité représente un obstacle majeur à la compréhension et à l’acceptation de l’obésité en tant que maladie », indique la commission. De fait, ces dernières années, plusieurs organisations professionnelles, dont l’American Association of Clinical Endocrinology et l’European Association for the Study of Obesity, ont recommandé de tenir compte des anomalies de la masse, de la distribution et de la fonction du tissu adipeux, qu’elles considèrent plus pertinentes que l’IMC pour évaluer l’impact de l’excès d’adiposité sur la santé.
Des mesures anthropométriques alternatives ou complémentaires de l’IMC
Il est à souligner que la quasi-totalité (98%) des 78 membres de la commission se sont accordés pour considérer que l’utilisation de l’IMC devrait être limitée au dépistage des patients potentiellement obèses et que des mesures supplémentaires de l’adiposité sont absolument nécessaires pour confirmer cliniquement l’obésité (c’est-à-dire l’excès d’adiposité). Il peut s’agir du tour de taille, du rapport taille-hanches ou encore du rapport tour de taille-hauteur. Lorsque cela est possible, une mesure directe de la masse grasse, pas une estimation, peut être réalisée par DEXA (absorptiométrie biphotonique à rayons X) ou impédancemétrie (qui permet de mesurer la masse grasse corporelle), une approche qui permet de réduire considérablement, sans toutefois l’éliminer, le risque de surdiagnostic ou de sous-diagnostic de l’obésité.
Même si l’IMC, dont on rappelle qu’il se calcule en divisant le poids (en kg) par le carré de la taille (en mètre), est la référence actuelle en raison de sa simplicité d’utilisation, d’autres paramètres devraient être faciles à calculer sans avoir recours à des examens onéreux. En effet, l’utilisation d’un mètre-ruban et d’une calculette suffit pour déterminer le taux de graisse viscérale, l’indice d’adiposité corporelle ou le pourcentage de masse grasse.
Il convient cependant d’avoir à l’esprit que ces mesures anthropométriques ont, elles aussi, leurs limites. Elles peuvent varier en fonction des populations (ethnie, pays), de l’âge et du sexe. De plus, elles peuvent ne pas refléter avec précision l’accumulation de graisse sous-cutanée et viscérale, dont on sait qu’elle est étroitement associée à un risque accru de maladies métaboliques.
Il a par ailleurs été suggéré que certains marqueurs sanguins, tels que le dosage des triglycérides, pourrait aider à identifier les individus ayant un excès de tissu adipeux viscéral. À ce jour, cette approche n’est cependant pas validée, sans compter que des valeurs seuils ne sont toujours pas clairement définies.
Concernant les personnes dont la valeur de l’IMC est proche mais inférieure aux seuils d’obésité, les experts recommandent la mesure directe de la graisse (lorsque cet examen est disponible), ou l’utilisation de deux autres mesures anthropométriques renseignant sur un excès d’adiposité, pour confirmer l’état d’obésité, indépendamment de l’IMC. De même, les individus présentant des symptômes typiques d’une obésité clinique peuvent avoir des valeurs d’IMC inférieures aux seuils classiques et doivent être évalués quant à la présence d’une adiposité excessive par des mesures anthropométriques alternatives.
Pour conclure, il importe de souligner que cet imposant document de consensus a été établi à partir de l’avis d’une commission d’experts internationaux. Il ne repose pas sur une analyse approfondie d’études (revues systématiques et méta-analyses).
Des recherches supplémentaires s’avèrent donc essentielles pour continuer à encore mieux sélectionner les critères diagnostiques de l’obésité clinique et développer des biomarqueurs fiables susceptibles de définir une démarche diagnostique standard à l’avenir.
Marc Gozlan (Suivez-moi sur X, Facebook, LinkedIn, Mastodon, Bluesky)