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Marc GOZLAN

Je suis médecin de formation, journaliste par vocation. J’ai débuté ma carrière de journaliste médico-scientifique en agence de presse…  Lire la suite.

Comment le cerveau réagit-il à la consommation journalière d’un encas sucré et gras pendant des semaines ?

Yaourt onctueux, très riche en graisses et en sucre. mossimoinc ©Flickr

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SOMMAIRE

Une exposition quotidienne à un encas riche en graisses et en sucre sur le court terme diminue la préférence pour des aliments moins gras. Ces modifications comportementales s’accompagnent d’effets sur le plan cérébral, indique une étude publiée le 4 avril 2023 dans Cell Metabolism et conduite sur des individus de poids normal.

Le seul fait de passer devant votre pâtisserie favorite, celle qui vend de délicieux macarons, n’est pas neutre. Ce signal (ou « indice ») a la capacité de façonner votre comportement ultérieur, à savoir vous inciter, au moment où vous repasserez devant, à acheter un macaron, alors même que vous n’aurez pas faim. Par ailleurs, chaque fois que l’on consomme un aliment gras, les cellules intestinales envoient un signal dans le cerveau, via le nerf vague, pour réguler le système dopaminergique. De même, la consommation de sucres provoque une activation de certains réseaux neuronaux cérébraux dépendants de la dopamine lorsque les cellules utilisent le glucose comme source d’énergie.

Ce lien fondamental entre les signaux internes sensoriels et les propriétés énergétiques de la nourriture ingérée est encore mal compris, alors même qu’il est sans doute important pour comprendre les processus par lesquels l’environnement moderne est obésogène. En effet, de nombreux aliments transformés sont particulièrement caloriques et contiennent souvent à la fois des lipides et des glucides.

Chez des rongeurs, des aliments modernes transformés reprogramment certains circuits cérébraux. Ce « recâblage » a même été observé chez des souriceaux dont les mères avaient consommé une alimentation riche en graisses durant la lactation. Des études ont montré que des animaux se détournent des aliments faibles en lipides, en l’espace de seulement 24 heures, après avoir été exposés à un régime alimentaire riche en graisses.

En outre, des expériences chez la souris ont montré le rôle crucial de la dopamine quand on présentait à ces animaux des « indices » favorisant la prise de nourriture. Ainsi, à l’instar de drogues addictives, il a été montré que l’alimentation, à savoir les lipides et les glucides, était responsable du remodelage de circuits cérébraux favorisant la recherche d’aliments énergétiques.

Des chercheurs de l’Institut Max Planck sur la recherche métabolique (Cologne), en collaboration avec des physiologistes et psychiatres de l’université de Yale (New Haven, Connecticut, États-Unis), se sont demandé si ces mêmes effets s’observent chez l’homme.

La question se pose d’autant plus qu’une étude australienne, publiée en 2019 dans le British Journal of Nutrition, a montré qu’une alimentation quotidienne riche en graisses diminue la perception sensorielle des graisses du fait d’une augmentation des seuils du goût pour les lipides. Une étude américaine, publiée en 2021 dans Frontiers in Psychology, a montré que la consommation quotidienne d’un aliment gras (milkshake) sur quatre ans était associée à une préférence pour un milkshake gras et sucré et à une moindre envie d’en consommer un contenant peu de graisses et de sucre.

De même, des études en neuro-imagerie ont montré que la consommation de boissons sucrées génère des réponses cortico-striatales, c’est-à-dire entre le cortex et le striatum, région du cerveau notamment impliquée dans la régulation de la motivation et des impulsions. Par ailleurs, un changement de la réponse du striatum a été observée lorsque l’apport en acides gras saturés dépasse celui des acides gras monoinsaturés.

Une exposition à une nourriture grasse et sucrée réduit la préférence pour des aliments à faible teneur en gras

L’équipe dirigée par Marc Tittgemeyer (Cologne) et Dana Small (New Haven) a ainsi cherché à déterminer, chez des individus sains et de poids normal, si une exposition répétée à une collation riche en graisses et en sucre pendant huit semaines pouvait induire une préférence pour des aliments gras. L’étude a également évalué les réponses cérébrales induites par des aliments palatables, c’est-à-dire procurant une sensation agréable lors de leur consommation.

Il a été demandé aux participants de consommer chaque jour deux encas, en plus de leur alimentation quotidienne. Ceux-ci étaient soit riches en gras et en sucres, soit contenaient peu de lipides et de glucides. Il s’agissait de prendre deux fois par jour, soit un yaourt très gras et sucré (40,8 % de lipides et 45.6 % de glucides), soit un yaourt de même valeur calorique mais avec une faible teneur en gras et en sucre (17.1 % de lipides et 29.1 % de glucides).

Dans les deux groupes, la prise des yaourts n’a pas entraîné de modifications métaboliques : le taux des lipides sanguins et le niveau de résistance à l’insuline* (via la mesure de l’insulinémie et de la glycémie) n’étaient pas significativement différents à la fin de ces deux interventions nutritionnelles. La consommation des yaourts riches en matières grasses et en sucre n’avait pas non plus eu d’effet sur le poids corporel.

Pas de changement de perception du goût pour le gras et le sucré

L’étude a également évalué l’effet de chaque intervention sur la perception des goûts sucré et gras. Il a été demandé aux volontaires de prendre quatre puddings « crémeux » différents de marque Galetta® (avec un taux de lipides respectivement de 0 %, 3,1 %, 5,6 % et 16,9 %) et quatre jus de pomme dont la concentration en sucre était également variable.

À la fin de l’intervention, les participants étaient parfaitement capables de percevoir les concentrations croissantes de gras et de sucre. Le goût du gras et du sucré n’a donc pas été altéré après huit semaines d’une consommation quotidienne d’aliments riches en lipides et glucides.

Altération de la préférence pour le gras

Les chercheurs ont ensuite quantifié ce que les participants voulaient et aimaient. Les participants ont déclaré que la prise d’une nourriture riche en graisses et en sucre s’accompagnait d’une moindre envie de prendre un yaourt maigre et, de même, d’une moindre appétence pour le yaourt ayant une faible teneur en glucides et lipides. Ni l’âge, ni le sexe, ni le poids corporel, n’ont eu d’impact sur l’envie et l’appétence.

Les chercheurs ont évalué les réponses neuronales générées par le fait d’anticiper la prise d’un aliment et sa consommation. Pour cela, ils ont eu recours à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) pour évaluer l’activité cérébrale avant et pendant la consommation d’un milkshake à quatre parfums différents (banane, chocolat, vanille, fraise). Il s’agissait d’identifier les régions du cerveau dont l’activité était plus importante en réponse à un « indice » et lors de la consommation effective d’une boisson très énergétique par rapport à une boisson peu énergétique. L’ « indice » consistait à demander aux participants de se laver la bouche avant de leur servir le milkshake.

Augmentation des réponses cérébrales lors de l’anticipation et de la consommation d’un aliment palatable et énergétique

Il s’avère que la seule l’idée d’avaler un milkshake gras et sucré a entraîné une augmentation de l’activité de certaines régions du cerveau, en l’occurrence le mésencéphale (aire tegmentaire ventrale), le cortex préfrontal, le thalamus et le cortex occipital. Ces trois dernières régions sensitives sont impliquées dans la perception sensorielle de la nourriture.

Durant la consommation effective du milkshake, une augmentation de la réponse du cortex insulaire postérieur a été enregistrée. Cette zone du cerveau intègre des messages impliqués dans le contrôle de la prise de nourriture (comme les signaux de satiété après distension de l’estomac). Rien de tel n’a été observé lors de l’anticipation et de la consommation d’une boisson sans goût, car très fortement diluée. Là encore, l’activité cérébrale en réponse à l’anticipation et la consommation n’étaient pas influencées par l’âge, le sexe, le poids corporel.

Augmentation de la sensibilité des circuits cérébraux de la récompense

Les chercheurs ont utilisé l’IRM fonctionnelle et observé que la préférence vis-à-vis d’encas gras et sucrés s’accompagnait d’une augmentation de la réponse des circuits cérébraux de la récompense vis-à-vis d’aliments palatables.

Selon les chercheurs qui ont mené leur étude sur une période relativement brève (huit semaines), on peut craindre qu’une exposition prolongée à des aliments très palatables et riches en énergie entraîne des modifications plus durables dans des circuits neuronaux, qui finiraient par induire un comportement dysfonctionnel entraînant une prise de poids et un trouble métabolique.

Ces résultats, obtenus sur un petit effectif (57 participants), sont à mettre en parallèle avec ceux observés lors d’études chez des rongeurs qui avaient montré que ces animaux présentent une désaffection persistante pour une nourriture standard après un régime alimentaire très riche. Ces expériences avaient également montré l’influence de l’alimentation (même en l’absence de gain de poids) sur l’impulsivité, la préférence alimentaire et la réponse à des « indices » visuels ou auditifs, autant de comportements qui dépendent des voies dopaminergiques.

En résumé, la nouvelle étude parue dans Cell Metabolism montre qu’une consommation sur le court terme d’un encas riche en graisses et en sucre contribue à diminuer l’envie de consommer une nourriture moins riche, tout en stimulant simultanément la réponse des circuits cérébraux de la récompense lors de la prise d’un aliment palatable.

Tous ces effets ont été observés chez des individus sains de poids normal, en l’absence de changements de l’adiposité et des taux de marqueurs métaboliques (insuline, glucose), ce qui indique que ces modifications sont une conséquence directe de la nourriture sur la reprogrammation des circuits cérébraux de la récompense. Selon les chercheurs, « bien que les mécanismes neuronaux sous-jacents restent inconnus, ces résultats démontrent, qu’à l’instar des drogues addictives, l’exposition habituelle aux aliments gras et sucrés est un moteur essentiel d’adaptations neurocomportementales pouvant augmenter le risque de suralimentation et de prise de poids ». En d’autres termes, l’exposition à une alimentation trop riche en graisses et trop sucrée pourrait induire un comportement à risque avant même l’apparition d’une obésité et indépendamment d’une prédisposition génétique.

Des effets observés sans changement du poids corporel ou des marqueurs métaboliques

Par rapport à la prise d’un aliment à faible teneur en lipides et glucides, la consommation répétée d’une nourriture riche en graisses et en sucre peut reprogrammer des circuits cérébraux et provoquer des changements comportementaux, et ce en l’absence de changements du poids corporel et de l’état métabolique. La seule exposition à des snacks énergétiques de façon régulière semble donc pouvoir perturber la physiologie de personnes ayant un poids normal et les amener à moins choisir des aliments bons pour la santé, tout en augmentant les réponses du cerveau pour des aliments plus gras.

Selon Sharmili Edwin Thanarajah et ses collègues endocrinologues, physiologistes et psychiatres, ces résultats soulèvent la « possibilité que même des individus de poids normal, présentant donc des risques minimes ou inexistants de risque d’obésité, puissent subir des adaptations favorisant la suralimentation s’ils sont exposés à un régime alimentaire malsain en raison d’un manque d’accès à une alimentation saine. Il s’ensuit également que des personnes à risque génétique d’obésité pourraient même y être encore plus susceptibles ». Et les chercheurs de conclure que « la modification de l’environnement alimentaire et la réduction de la disponibilité des aliments à forte densité énergétique sont par conséquent essentielles pour combattre la pandémie d’obésité ».

Marc GOZLAN (Suivez-moi sur Twitter, Facebook, LinkedIn, Mastodon

* La méthode HOMA (homeostasis model assessment) (indice HOMA-IR) est utilisée pour l’évaluation de l’insulinosensibilité.

Pour en savoir plus...

Edwin Thanarajah S, DiFeliceantonio AG, et al. Habitual daily intake of a sweet and fatty snack modulates reward processing in humans. Cell Metab. 2023 Mar 15:S1550-4131(23)00051-7. doi: 10.1016/j.cmet.2023.02.015

Papantoni A, Shearrer GE, Sadler JR, et al. Longitudinal Associations Between Taste Sensitivity, Taste Liking, Dietary Intake and BMI in Adolescents. Front Psychol. 2021 Feb 18;12:597704. doi: 10.3389/fpsyg.2021.597704

Costanzo A, Liu D, Nowson C, et al. A low-fat diet up-regulates expression of fatty acid taste receptor gene FFAR4 in fungiform papillae in humans: a co-twin randomised controlled trial. Br J Nutr. 2019 Dec 14;122(11):1212-1220. doi: 10.1017/S0007114519002368

Burger KS. Frontostriatal and behavioral adaptations to daily sugar-sweetened beverage intake: a randomized controlled trial. Am J Clin Nutr. 2017 Mar;105(3):555-563. doi: 10.3945/ajcn.116.140145

Johnson PM, Kenny PJ. Dopamine D2 receptors in addiction-like reward dysfunction and compulsive eating in obese rats. Nat Neurosci. 2010 May;13(5):635-41. doi: 10.1038/nn.2519

de Araujo IE, Geha P, Small DM. Orosensory and Homeostatic Functions of the Insular Taste Cortex. Chemosens Percept. 2012 Mar 1;5(1):64-79. doi: 10.1007/s12078-012-9117-9

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