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L'auteur

Marc GOZLAN

Je suis médecin de formation, journaliste par vocation. J’ai débuté ma carrière de journaliste médico-scientifique en agence de presse…  Lire la suite.

Résistance extrême à l’insuline chez une patiente diabétique en soins intensifs

Patient en soins critiques. Engin Akyurt © Pexels

Patient en soins critiques. Engin Akyurt © Pexels

SOMMAIRE

C’est l’histoire d’une Taïwanaise de 68 ans, vivant avec un diabète de type 2, qui présente des difficultés respiratoires. Alors qu’elle se rend à pied aux urgences de l’hôpital, elle s’effondre sur la route.

À son admission, les médecins notent une activité électrique du cœur mais sans pouls palpable. La récupération d’une circulation spontanée survient après six minutes de réanimation cardiorespiratoire, après quoi la patiente est admise en soins intensifs.

Les examens biologiques montrent une hyperglycémie sévère à 5,74 g/L, une probable atteinte cardiaque (taux élevé de troponine). Il existe également une acidose métabolique et respiratoire avec un faible taux de bicarbonates sanguins et une augmentation de la pression partielle de dioxyde de carbone (PaCO2).

La radiographie des poumons montre une image anormale du poumon droit. Le diagnostic de pneumonie est établi. Par ailleurs, l’électrocardiogramme indique des signes d’infarctus du myocarde et l’échocardiographie montre une diminution de contraction du ventricule gauche (faible fraction d’éjection).

Après réhydratation, antibiothérapie et mise en route d’un traitement par insuline intraveineuse, son état hémodynamique et son hyperglycémie s’améliorent durant les premiers jours. La dose quotidienne d’insuline passe alors de 108 unités à J1 à 22 unités à J3, ce qui permet de maintenir la glycémie entre 1,3 g/L et 2 g/L.

Mais à J4, la patiente présente à nouveau une hyperglycémie et les examens sanguins montrent un taux élevé de globules blancs (hyperleucocytose). Les cultures de l’échantillon urinaire et du prélèvement sanguin révèleront une infection par un champignon (Candida glabrata). Un antifongique est prescrit. La patiente a donc développé une nouvelle infection grave (sepsis)

Il faut savoir que les patients en unités de soins intensifs, qu’ils aient été ou non diagnostiqués diabétiques auparavant, développent souvent un dysfonctionnement de l’équilibre glucidique qui se manifeste par une hyperglycémie. Celle-ci est due à une insulinorésistance, définie comme un état de diminution de la réponse cellulaire et tissulaire à l’insuline. On suspecte une insulinorésistance sévère lorsqu’un patient nécessite de recevoir plus de 2 unités d’insuline par kg et par jour.

Utilisation de la voie intraveineuse pour administrer l’insuline

Dans de rares cas, une insulinorésistance extrême, définie par des besoins en insuline supérieurs à 3 unités/kg/jour, peut survenir. L’insuline en perfusion intraveineuse est alors le traitement de choix pour traiter l’hyperglycémie chez ces patients gravement malades, diabétiques ou non, dans la mesure où l’insulinothérapie réduit la morbidité et la mortalité. L’utilisation de la voie intraveineuse (IV) présente l’avantage de pouvoir augmenter ou diminuer rapidement la posologie.

Les causes de cette insulinorésistance chez ces malades, en situation de réanimation médicale ou chirurgicale, sont multiples. Dans ces situations de stress, la libération de cortisol, de catécholamines et de cytokines inflammatoires, réduit la captation du glucose par les tissus en réponse à l’insuline. La sévérité de la maladie (sepsis, état de choc) est significativement associée à la concentration des cytokines dans le sang. La libération d’acides gras libres peut aussi entraîner une insulinorésistance. Enfin, d’autres facteurs, tels que l’emploi de corticoïdes, peuvent également contribuer à l’hyperglycémie.

Publiée en 2008, une étude canadienne a révélé qu’environ 67 % des patients chirurgicaux admis en unité de soins intensifs présentent une insulinorésistance manifeste, que 16 % patients supplémentaires développent une résistance à l’insuline durant leur hospitalisation et donc que seulement environ 10 % de ces patients gravement malades restent sensibles à l’insuline.

Mais revenons à cette patiente taïwanaise chez qui une insulinothérapie, en continu, par voie intraveineuse est mise en route à J6. La glycémie fluctue dans un premier temps mais continue d’augmenter malgré l’augmentation des doses d’insuline.

À J13, le taux de glucose sanguin atteint un pic à 8,5 g/L alors même que le débit d’insuline est de 155 unités par heure. La patiente hospitalisée en soins intensifs présente donc une insulinorésistance extrême suite à une nouvelle infection. Afin de maintenir la glycémie entre 1,5 et 2 g/L et éviter la survenue d’une hypoglycémie, le débit de l’insuline est étroitement ajusté et le taux de glycémie surveillé toutes les heures.

Perfusion IV d’insuline à des doses exceptionnellement élevées

Les médecins de l’hôpital de Tainan (sud-ouest de Taïwan) vont observer la levée rapide de la résistance à l’insuline à J16. À ce moment-là, le débit de perfusion d’insuline est à son maximum : 960 unités par heure, précisent-ils dans un article paru le 16 mars 2025 dans le World Journal of Clinical Cases. Ce jour-là, la patiente a reçu 18 224 unités d’insuline !

Il est exceptionnel que des doses d’insuline aussi élevées soient administrées en cas d’insulinorésistance. Une étude américaine, parue en 2021 dans le Journal of Critical Care, conduite pendant quatre ans dans un grand hôpital de l’Indiana sur un effectif de près de 9 000 patients hospitalisés en soins intensifs, n’a recensé que 32 malades nécessitant une perfusion d’insuline supérieure à 35 unités/heure, soit 0,35 % des patients analysés durant cette période.

À ce jour, la dose cumulée d’insuline la plus élevée utilisée pour une insulinorésistance extrême a été rapportée par une équipe japonaise en 1992. Chez un patient diabétique en état de choc (effondrement de la pression artérielle) et souffrant d’acidocétose diabétique, il avait été nécessaire de doubler la dose d’insuline toutes les deux heures pour atteindre 20 000 unités sur une durée de deux heures. Au total, 91 580 unités d’insuline avaient été perfusées sur une durée de 25 heures !

Disparition rapide de l’insulinorésistance extrême

Il importe de savoir que lorsque l’insulinorésistance cède, celle-ci peut s’inverser rapidement et entraîner une hypoglycémie aiguë. De fait, chez la patiente taïwanaise, la glycémie va revenir dans la zone cible à peine huit heures plus tard. Les médecins réduisent alors rapidement les doses d’insuline jusqu’à interrompre totalement l’insulinothérapie. Entre J17 et J20, la glycémie va fluctuer entre 0,4 g/L et 1,44 g/L, avec plusieurs épisodes d’hypoglycémie.

Malheureusement, malgré le traitement du sepsis sévère (choc septique) et le contrôle de la glycémie, la patiente sexagénaire décèdera à J25.

Un autre cas d’insulinorésistance aiguë extrême survenue chez une patiente de 64 ans en soins intensifs mérite d’être raconté. Lui aussi illustre le fait que cette situation est difficile à traiter. Là encore, cela a nécessité une diminution rapide de la perfusion intraveineuse d’insuline et une surveillance glycémique étroite pour éviter une hypoglycémie. Ce cas, rapporté en 2016, par une équipe de la faculté de médecine Feinberg de Chicago dans la revue Clinical Diabetes, concerne une femme de 64 ans, diabétique de type 2, qui souffrait de multiples fractures.

Le lendemain de son admission à l’hôpital, elle a développé une insuffisance respiratoire aiguë qui a nécessité une assistance respiratoire et son transfert en soins intensifs. Elle a commencé à recevoir quotidiennement 40 unités d’insuline par voie sous-cutanée et une dose supplémentaire d’insuline à action rapide toutes les six heures.

Peu de temps après son passage en réanimation médicale, la patiente a commencé à développer une hyperglycémie sévère supérieure à 4 g/L alors qu’elle recevait ce jour-là 120 unités d’insuline en sous-cutané.

En raison de l’hyperglycémie persistante, l’équipe médicale a mis en place un protocole de perfusion intraveineuse d’insuline. Pendant cette période, l’état respiratoire de la patiente s’est détérioré, ce qui nécessité une intubation et une ventilation mécanique. Elle a également développé un choc septique, la forme la plus grave de sepsis.

Malgré l’augmentation progressive des doses d’insuline intraveineuse, sa glycémie restait constamment dans les alentours de 3 g/L. À J2, la patiente a développé une insuffisance rénale aiguë et a dû être dialysée en urgence. Elle a également été mise sous antibiothérapie à large spectre pour une possible infection. À J3, le lavage broncho-alvéolaire s’est révélé positif au virus de la grippe et la patiente a reçu un médicament antiviral.

À J3, le débit maximal de perfusion d’insuline intraveineuse était de 142 unités/heure. Sa glycémie s’est alors stabilisée entre 1,8 et 2,3 g/L. À J4, en fin de journée, la glycémie a commencé à diminuer pour atteindre entre 1,2 et 1,6 g/L. Le débit d’insuline a alors été rapidement réduit de 142 à 22 unités/heure au cours des 16 heures suivantes (J4 à J5).

La glycémie a été mesurée toutes les 30 à 60 minutes. La perfusion d’insuline a été progressivement réduite toutes les 60 minutes afin de maintenir une glycémie entre 1,8 et 2 g/L. Au cours des 24 heures suivantes, le débit de perfusion d’insuline intraveineuse a été réduit à 8,5 unités/heure. La patiente n’a jamais présenté d’hypoglycémie et sa glycémie la plus basse a été de 1,3 g/L. À J6, sa famille a décidé d’interrompre les traitements et la patiente est décédée peu après.

Bien que de nombreux patients développent une insulinorésistance dans un contexte de soins intensifs, ils ont rarement besoin d’une perfusion intraveineuse d’insuline à des débits aussi élevés que dans les deux observations cliniques décrites ci-dessus. Dans tous les cas, il importe de traiter l’affection susceptible d’être à l’origine d’une insulinorésistance extrême (par exemple, sepsis ou infarctus du myocarde).

En 2013, des endocrinologues new-yorkais ont rapporté dans la revue Case Reports in Endocrinology le cas d’un patient ayant nécessité jusqu’à 120 unités d’insuline par heure en perfusion intraveineuse. Diabétique de type 2, ce sexagénaire a été hospitalisé pour un infarctus du myocarde, compliqué d’une acidocétose diabétique. Après avoir subi un pontage coronarien en urgence pendant cette même hospitalisation, son insulinorésistance s’est améliorée. Entre J5 et J10, ses besoins en insuline sont passés de 120 unités/heure à 1 unité/heure. Le patient a pu sortir de l’hôpital avec un traitement par liraglutide (analogue du GLP-1) et insuline asparte en sous-cutané.

En 2015, une équipe américaine a rapporté le cas d’un patient qui avait présenté, après transplantation cardiaque, une insulinorésistance nécessitant une perfusion d’insuline à un débit de 64 unités/heure. L’insulinorésistance a disparu au bout de dix heures et la glycémie a diminué progressivement. La dose d’insuline a été réduite de moitié toutes les heures jusqu’à l’arrêt de la perfusion après environ cinq heures. Malgré une réduction rapide de la posologie d’insuline, la glycémie était à un moment donné tombée à 0,69 g/L.

On comprend donc qu’il importe de réduire rapidement la perfusion intraveineuse d’insuline lorsque l’hyperglycémie commence à s’améliorer, ce qui peut refléter une régression rapide de l’insulinorésistance. En outre, une surveillance très étroite de la glycémie au chevet du patient (moins d’une heure entre deux dosages, ou en continu, ou quasiment en continu), est préconisée pour éviter l’hypoglycémie chez ces patients adultes gravement malades, présentant une instabilité glycémique et recevant de l’insuline intraveineuse.

De ce fait, pour réduire le risque hypoglycémique, les recommandations les plus récentes, en particulier celles parues en 2024 dans la revue Critical Care Medicine, fixent des objectifs glycémiques plus élevés que ceux classiquement préconisés. Ainsi, il convient de maintenir une glycémie entre 1,4 et 2 g/L (7.8–11.1 mmol/L) au lieu des 0,8–1,4 g/L habituels (4.4–7.7 mmol/L). En d’autres termes, chez des patients ayant commencé à recevoir une perfusion d’insuline, il importe de traiter l’hyperglycémie tout en tolérant une valeur cible de glycémie plus élevée qu’habituellement.

Marc Gozlan (Suivez-moi sur XFacebookLinkedInMastodonBluesky)

Pour en savoir plus...

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