Une étude allemande rapporte que les nouveaux cas de diabète chez l’enfant ne sont souvent pas diagnostiqués pendant le week-end et les jours fériés et que de nombreux cas d’acidocétose diabétique, complication inaugurale du diabète, ne sont alors pas identifiés.
Cette étude a cherché à déterminer quand, c’est-à-dire quel jour de la semaine, le diagnostic d’acidocétose diabétique était porté chez des enfants, et quand ceux-ci commençaient à être traités par insuline pour un diabète nouvellement diagnostiqué. Par ailleurs, sur une période de dix ans, les chercheurs ont analysé le taux de survenue d’une acidocétose diabétique, sa sévérité et l’impact de la pandémie de COViD-19 sur l’incidence de cette complication aiguë du diabète.
Publiée le 1er avril 2024 dans la revue Diabetes Care, cette étude repose sur les données du registre allemand prospectif du suivi du diabète (German Prospective Diabetes Registry, DPV). Elle a porté sur des enfants et adolescents âgés de 6 mois à moins de 18 ans au moment du diagnostic de diabète de type 1 (entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2022). On estime que ce registre couvre 93 % des cas de DT1 pédiatrique en Allemagne. Il est donc raisonnable de penser que les résultats de cette étude sont peu ou prou généralisables à d’autres pays, même si les systèmes de santé peuvent différer.
Les chercheurs du Centre de médecine de l’enfant et de l’adolescent de l’université Justus Liebig de Giessen ont analysé les données de 30 717 enfants et adolescents présentant un diabète de type 1 (DT1) nouvellement diagnostiqué (encore appelé diabète inaugural ou diabète incident). Une acidocétose diabétique a été découverte chez environ 25 % des cas au moment du diagnostic du DT1.
L’acidocétose diabétique, complication aiguë la plus redoutée du diabète
L’acidocétose diabétique est la complication aiguë la plus fréquente et la plus redoutée du diabète. Les facteurs de risque incluent un jeune âge et un retard de diagnostic du diabète chez les nouveaux patients. Les formes sévères sont fréquentes avant l’âge de 2 ans.
Conséquence d’une profonde carence en insuline, l’acidocétose représente une urgence métabolique. Les médecins diagnostiquent l’acidocétose diabétique en mesurant certains paramètres biochimiques dans le sang et l’urine. Dans l’étude allemande, elle était définie par un pH inférieur à 7,3 et/ou un taux de bicarbonates inférieur à 15 mmol/L. L’acidocétose est sévère lorsque le pH est inférieur à 7,1 et le taux de bicarbonates est inférieur à 5 mmol/L. La cétose est définie par la présence de corps cétoniques dans le sang et les urines.
En cas d’acidocétose diabétique, l’hyperglycémie secondaire au déficit en insuline entraîne des pertes urinaires d’eau et d’électrolytes (sodium, potassium, phosphate, magnésium), responsables d’une déplétion volumique et de perturbations métaboliques. Le degré de pertes fluctue selon la durée et la sévérité, mais aussi en fonction de la capacité du jeune patient à maintenir ses apports en liquides et électrolytes.
Connaître les symptômes révélateurs de l’acidocétose diabétique
Les symptômes révélateurs de l’acidocétose diabétique sont une polyurie (diurèse importante), une polydipsie (soif excessive), une polyphagie (faim disproportionnée), des nausées, des vomissements, des douleurs abdominales. Une faiblesse et une altération de l’état de conscience (somnolence) sont les signes d’une décompensation plus sévère. Les patients peuvent respirer profondément pour compenser l’acidose et présenter ce qu’on appelle une dyspnée de Kussmaül, caractérisée par une respiration lente, régulière et profonde avec une pause en fin d’inspiration et en fin d’expiration. Il peut également y avoir une odeur fruitée (acétonique) de l’haleine, due à l’expiration d’acétone.
Le traitement consiste à administrer, par voie intraveineuse, de grandes quantités de liquides et d’électrolytes pour remplacer ceux perdus par les nombreuses mictions. Il repose également sur une insulinothérapie par voie intraveineuse, ce qui permet une action plus rapide sur l’hyperglycémie et l’acidose.
En l’absence d’administration d’insuline, de fluides et d’électrolytes, l’issue peut être fatale. L’acidocétose diabétique peut en effet entraîner un œdème cérébral avec coma qui peut aboutir à la mort. Dans l’étude allemande, un retard de mise en place d’un traitement a été défini comme un délai de plus d’un jour entre le diagnostic et le début de la prise en charge thérapeutique.
Force est de constater qu’il n’a souvent pas été possible jusqu’à présent de réduire significativement la fréquence de survenue de l’acidocétose diabétique en population générale malgré les campagnes de sensibilisation et d’information. Les seuls succès enregistrés l’ont été dans le cadre de programmes très ciblés, conduits en cliniques, à domicile et dans les écoles, comme en Italie notamment. La campagne italienne d’information insistait sur les deux signes révélateurs les plus fréquents du diabète : la polyurie-polydipsie et l’énurésie (miction involontaire, diurne ou plus souvent nocturne).
Les enseignements d’une campagne française de prévention
En novembre 2010, une campagne a débutée en France afin d’informer les familles concernées et les médecins des symptômes d’alerte et de l’urgence du diagnostic de l’acidocétose inaugurale du diabète chez l’enfant et l’adolescent. Elle a commencé par des articles dans les journaux et a été poursuivie par des interviews et des spots à la télévision et à la radio. Une affiche a été diffusée pour être placée dans les services et cabinets médicaux pour informer le grand public. Le but était de réduire le délai entre l’apparition des premiers symptômes et le début du traitement.
Une étude a évalué, au cours de la première année suivant cette campagne nationale de prévention, son effet sur la fréquence et la sévérité de l’acidocétose au moment du diagnostic de diabète de type 1 (DT1) chez l’enfant et l’adolescent.
Publiée en 2015 dans les Archives de Pédiatrie, cette étude française a montré une augmentation du nombre de mictions chez 98 % des jeunes. Cette énurésie durait depuis plus de deux semaines dans plus de la moitié des cas. Elle était présente dans la moitié des cas, y compris chez un quart des jeunes âgés de 10 à 15 ans.
Les auteurs insistaient sur le fait que ces deux signes, polyurie-polydipsie et énurésie, sont facilement identifiables, donc ceux sur lesquels l’attention doit se porter pour éviter les retards au diagnostic. Quant aux signes digestifs et respiratoires, et les troubles de la conscience, ils représentent des signes de gravité qui doivent être connus, et identifiés, dans la mesure où il est alors très urgent de porter le diagnostic.
Les auteurs soulignaient par ailleurs que « les examens de laboratoire retardent la prise en charge alors qu’il suffit de mesurer la glycémie capillaire ou de rechercher la glycosurie avec une bandelette pour diriger immédiatement l’enfant vers un service d’urgence hospitalier ».
L’analyse des facteurs associés à l’acidocétose au cours des deux années d’étude a montré que la fréquence de celle-ci est d’autant plus élevée que les enfants sont jeunes et que les formes sévères sont particulièrement fréquentes avant 2 ans. Les auteurs jugeaient cette tendance préoccupante dans la mesure où un quart des enfants de leur étude avait moins de 5 ans.
Cette étude a également révélé que la fréquence de l’acidocétose au moment du diagnostic de DT1 était passée, entre l’année 0 (année avant la campagne) et l’année 1 (première année de campagne), de 43,9 % à 40,5 %.
Une baisse de 7,8 % avait donc été observée, ce qui apparaît être un résultat plutôt modeste, et ce d’autant que la différence était due exclusivement à la baisse relative de fréquence de 23 % des acidocétoses sévères. De plus, au cours de la première année de campagne, la fréquence de l’acidocétose a eu tendance à baisser chez les jeunes de moins de 10 ans, mais pas chez ceux de 10 à 15 ans.
La fréquence de l’acidocétose sévère au moment du diagnostic de DT1 chez l’enfant et l’adolescent demeure donc élevée en France. Selon les pays, le taux d’acidocétose diabétique au moment du diagnostic de DT1 demeure à un niveau jugé inacceptable, compris entre 25 % et 77 %. À titre d’exemple, chez les enfants de moins de 14 ans, la fréquence de l’acidocétose au moment du diagnostic de DT1 a été estimée à environ 35 % dans la région de la Saxe en Allemagne durant une période d’observation comprise entre 1999 et 2016.
L’acidocétose est plus souvent diagnostiquée le lundi et le mardi
Mais revenons à l’étude récemment publiée dans Diabetes Care et portant sur le registre national allemand. Il ressort qu’une acidocétose a été (en nombre absolu) le plus souvent identifiée au moment du diagnostic de DT1 le lundi et le mardi. De fait, dans environ 40 % de tous les cas de diabète, le diagnostic a été porté en tout début de semaine et environ 13 % au cours de week-end. Par ailleurs, le DT1 a été moins souvent diagnostiqué pendant les jours fériés et les vacances scolaires.
Parmi les enfants et adolescents souffrant d’une acidocétose diabétique, environ 35 % présentaient des signes de gravité. La plupart de ces jeunes patients ont été diagnostiqués un lundi et un mardi.
Environ 9 % des enfants ont connu un retard de traitement par insuline. Les auteurs font remarquer par ailleurs qu’un enfant sur cinq qui n’a pas bénéficié d’une insulinothérapie le jour même du diagnostic de diabète a développé une acidocétose diabétique.
Une augmentation de la fréquence de l’acidocétose diabétique, et des signes de gravité de cette complication, ont été observés durant la pandémie de Covid-19, mais sans que le pronostic n’en ait été affecté.
En résumé, les chercheurs rapportent que la plus forte proportion de diagnostics de diabète, dont ceux associés à une acidocétose diabétique, en début de la semaine, est probablement due à un diagnostic manqué au cours du week-end. Leur étude révèle aussi un taux de diagnostic de diabète plus important en début de semaine. Selon les auteurs, ces « résultats impliquent qu’une grande proportion de patients nouvellement diabétiques de type 1 présentant une acidocétose ne sont pas diagnostiqués pendant les week-ends et les vacances ».
Retard au traitement
Un retard de traitement a été plus fréquent lorsque le diabète était diagnostiqué durant les week-ends et les jours fériés. « Les raisons du retard du traitement peuvent inclure l’ignorance des particularités du diagnostic de diabète chez les enfants atteints d’un diabète avec progression rapide vers l’acidocétose diabétique ou d’un manque d’expérience avec un traitement par l’insuline chez les enfants », estiment Clemens Kamrath et ses collègues. Et d’ajouter, qu’en plus du manque de sensibilisation de la famille, existe une faible suspicion du corps médical quant à la possibilité qu’il puisse s’agir d’un diabète de l’enfant, le tout entraînant un retard de diagnostic.
Concernant les facteurs familiaux, les médecins allemands font référence au comportement pendant les week-ends et les vacances, les familles choisissant d’attendre le prochain jour ouvrable pour aller chez le médecin.
Que retenir de l’étude allemande et d’autres publications internationales récentes sur la cétose diabétique inaugurale, urgence médicale révélant un diabète méconnu ? Avant tout, une plus grande vigilance s’impose dans la mesure où l’incidence du diabète de type 1 augmente régulièrement chez l’enfant et l’adolescent et deux fois plus rapidement chez les enfants de moins de 5 ans. On assiste ainsi à un rajeunissement de l’âge au moment du diagnostic. Ensuite, il importe que tout patient puisse avoir accès, tous les jours de l’année, à un service de pédiatrie spécialisé 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Enfin, l’acidocétose diabétique doit être mieux connue de la population et des médecins car, répétons-le, l’acidocétose au moment du diagnostic reste une cause importante de morbidité et d’hospitalisation, mais également de mortalité.
Il importe donc de poursuivre l’éducation de la population et des médecins pour que le diagnostic du diabète inaugural intervienne le plus précocement possible. En 2015, on estimait que cinq à six jeunes décédaient d’une acidocétose chaque année en France, une situation d’autant moins tolérable qu’elle est évitable.
La prévention de l’acidocétose, un objectif majeur
La prévention de l’acidocétose au moment du diagnostic du diabète constitue donc un objectif majeur. Comme le souligne, dans un éditorial associé à l’étude allemande, Laura Jacobsen du département de pédiatrie et de pathologie du Diabetes Institute de l’université de Floride (Gainesville), « identifier le DT1 précocement, avant le développement de l’acidocétose diabétique, est possible, comme cela a été montré aux États-Unis, en Allemagne, en Finlande, Suède, Australie et Nouvelle-Zélande, où les taux d’acidocétose diabétique étaient inférieurs à 6 % lorsque les enfants à risque de DT1 (car porteurs de plusieurs anticorps anti-îlots) étaient impliqués dans la surveillance ».
Marc Gozlan (Suivez-moi sur X, Facebook, LinkedIn, Mastodon, Bluesky)