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Marc GOZLAN

Je suis médecin de formation, journaliste par vocation. J’ai débuté ma carrière de journaliste médico-scientifique en agence de presse…  Lire la suite.

Mastopathie diabétique : une affection bénigne méconnue qui mime un cancer du sein

© Wikimedia Commons

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SOMMAIRE

C’est l’histoire d’une femme chinoise de 64 ans qui présente une masse mal délimitée, mesurant 6 cm sur 2 cm, dans le sein droit. Sur l’échographie mammaire, le nodule correspond à une lacune hypoéchogène, aux contours irréguliers, sans augmentation des ganglions lymphatiques de l’aisselle. La mammographie montre des seins denses.

La patiente indique avoir remarqué cette masse il y a environ six mois. Elle s’est décidée à consulter à l’hôpital Longhua de l’université de Shanghai car cette grosseur avait augmenté en consistance et en volume. Au vu de l’examen clinique et des données de l’imagerie, le médecin informe la patiente qu’il pourrait s’agir d’une tumeur maligne et lui suggère de se faire opérer immédiatement afin d’avoir un diagnostic de certitude. La patiente subit alors l’ablation du nodule situé dans le sein droit.

L’examen anatomopathologique de la pièce opératoire montre que la masse n’est pas cancéreuse. Il s’agit d’une rare lésion mammaire bénigne, qui concerne préférentiellement des femmes atteintes de diabète, sous insulinothérapie depuis une longue période. La plupart des patientes présentent des complications du diabète. Cette lésion, qui porte le nom de mastopathie diabétique, se manifeste dans un contexte de diabète non équilibré, associé à des complications rénales, neurologiques ou rétiniennes dans plus de la moitié des cas.

Il s’avère rétrospectivement que la patiente chinoise présente un diabète de type 2 depuis plus de vingt ans et une rétinopathie (atteinte de la rétine) depuis plus de quatre ans.  Au vu de la valeur de l’hémoglobine glyquée, elle présente à l’évidence un mauvais équilibre glycémique. Après un suivi de trois mois après la résection chirurgicale, la patiente ne présente pas de récidive. Aucun antécédent familial de cancer du sein n’a été mis en évidence.

La mastopathie diabétique peut constituer un piège diagnostique

La mastopathie diabétique est une affection de description récente. Rare, peu connue et bénigne, cette pathologie mammaire peut constituer un piège diagnostique dans la mesure où les signes cliniques et radiologiques qui lui sont associés sont peu spécifiques et peuvent faire suspecter un cancer du sein.

Cette pathologie mammaire a été décrite pour la première fois en 1984 [1], mais sa dénomination date de 1992. Cette année-là, un article publié dans Human Pathology décrit pour la première fois les critères histologiques qui lui sont associés.

La mastopathie diabétique représente moins de 1 % des lésions mammaires bénignes. Elle se présente comme une masse dense, indolore, uni-ou bilatérale, apparaissant de manière spontanée, chez des femmes traitées pour un diabète. La littérature internationale rapporte des cas chez des patientes âgées de 27 à 76 ans.

Une pathologie rare qui survient typiquement chez des femmes atteintes d’un diabète de type 1

La plupart des cas de mastopathie diabétique concernent des patientes atteintes de diabète de type 1 (DT1). La prévalence de cette maladie rare est difficile à évaluer. Elle est estimée à 13 % des patientes DT1 de longue date. On ne dénombre qu’environ 200 cas de mastopathie diabétique dans la littérature internationale.

La mastopathie diabétique a également été décrite chez des patientes traitées pour le diabète de type 2, comme le montre le cas clinique précité et rapporté en mai 2023 dans la revue en ligne Journal of Medical Case Reports.

Cette lésion a par ailleurs été rapportée chez des femmes souffrant de maladie endocrinienne, notamment de pathologie de la thyroïde ou de pathologies auto-immunes. Des cas ont été exceptionnellement observés chez des hommes atteints de diabète de longue durée, sous la forme d’une masse siégeant derrière le mamelon et simulant à l’imagerie une augmentation de volume du sein (gynécomastie) d’allure suspecte.

Des aspects clinique et radiologique pouvant simuler un cancer mammaire

À l’examen clinique, la mastopathie diabétique se caractérise par une masse ferme, palpable, indurée, et généralement indolore. La présence de masses bilatérales ou multiples a été décrite. De même, il a été rapporté des récidives dans le même sein ou dans le sein controlatéral, ces lésions secondaires apparaissant dans les cinq ans après le diagnostic initial.

Les examens radiologiques n’apportent que peu d’informations. Sur l’échographie, la lésion apparaît sous la forme d’une masse typiquement irrégulière, hypoéchogène, accompagnée d’une ombre postérieure. À la mammographie, la lésion se présente le plus souvent comme une opacité plus ou moins régulière, sans distorsion architecturale ou foyers de micro-calcifications. Dans certains cas limites, l’imagerie par résonance magnétique (IRM) a été utilisée pour exclure d’autres pathologies mammaires dans la mesure où l’imagerie conventionnelle est souvent difficile à interpréter.

L’examen histologique est primordial pour établir le diagnostic

La microbiopsie à l’aiguille, avec prélèvement de plusieurs carottes, est l’examen de choix pour établir le diagnostic de mastopathie lymphocytaire et fibreuse. En effet, à l’examen histologique, on trouve trois signes permettant de s’orienter vers une mastopathie diabétique : une fibrose chéloïde (augmentation homogène et dense du tissu conjonctif), un infiltrat inflammatoire, entourant les lobules mammaires et les micro-vaisseaux, composé de lymphocytes B matures (lobulite lymphocytaire) et la présence de fibroblastes ayant un aspect épithélioïde (ressemblant à des cellules épithéliales).

Ces trois signes ne sont en rien spécifiques de cette pathologie. Il convient donc d’écarter d’autres diagnostics possibles, comme un cancer mammaire (carcinome lobulaire infiltrant dans les cas où les cellules épithélioïdes sont particulièrement nombreuses). Il importe également d’exclure un lymphome à cellules B lorsque l’infiltrat lymphoïde paraît suspect. Cependant, dans le cas d’une mastopathie diabétique, les lymphocytes B ne montrent pas d’anomalies (atypies).

Il existe un risque élevé (allant de 20 % à plus de 80 %) de récidive après chirurgie (ablation de la lésion). Les récidives sont généralement plus étendues que les lésions initiales.

C’est la raison pour laquelle une surveillance simple est recommandée. Celle-ci consiste en un examen clinique et une imagerie annuelle (échographie, mammographie).

Il n’a pas été rapporté chez les femmes présentant une mastopathie diabétique de risque ultérieur de développer un cancer du sein, celui-ci rejoignant le risque observé dans la population générale. De ce point de vue, le diagnostic de mastopathie diabétique est donc rassurant. ;

La reconnaissance de cette affection mammaire, rare et bénigne, est cruciale. Elle évite en effet de réaliser des interventions chirurgicales inutiles, d’autant que la chirurgie peut aggraver le cas, les lésions ayant tendance à récidiver plus agressivement au site de la résection.

La prise en charge se limite à une simple surveillance

L’ablation chirurgicale de la masse mammaire ne constitue donc pas le traitement de la mastopathie diabétique, qui est une pathologie bénigne, même pas un état précancéreux.

On comprend dès lors qu’il est indispensable d’obtenir un diagnostic préopératoire avant d’envisager l’ablation chirurgicale devant un tel tableau clinique et radiologique. La patiente chinoise aurait donc pu ne pas être opérée, mais uniquement surveillée. En France, l’abstention chirurgicale est l’option retenue, sans traitement médical spécifique.

Les mécanismes physiopathologiques à l’origine de la survenue de la mastopathie diabétique sont mal connus [2]. Elle serait liée à une réaction auto-immune, avec accumulation anormale de la matrice extracellulaire, elle-même secondaire aux effets de l’hyperglycémie sur le tissu conjonctif. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre la physiopathologie de cette pathologie rare.

Marc GOZLAN (Suivez-moi sur Twitter, Facebook, LinkedIn, Mastodon)

 [1] Il est à noter que, sur les douze cas cliniques initialement décrits en 1984 chez des femmes de moins de 30 ans par deux médecins américains dans The Lancet, cinq femmes présentaient une thyroïdite et onze avaient une atteinte articulaire des mains (chéiroarthropathie diabétique ou « main diabétique », l’hyperglycémie chronique entraînant une altération du collagène, qui provoque à son tour une perte de mobilité des articulations, capsules et tendons).

[2] Plusieurs hypothèses ont été émises pour expliquer la physiopathologie de cette affection. L’hyperglycémie prolongée entraînerait une glycosylation qui rendrait le collagène résistant à la dégradation, ce qui conduirait à une accumulation de tissu conjonctif dans la matrice extracellulaire. Il a également été postulé que l’hyperglycémie entraînerait une glycosylation avec apparition d’un taux élevé de produits glycosylés, ce qui provoquerait une réaction auto-immune avec prolifération de lymphocytes B. La production accrue de collagène serait induite par la libération de cytokines agissant comme des facteurs de croissance sur le tissu conjonctif.

Pour en savoir plus...

Zhong Y, Cheng Y, Chen L, Yin Y. Benign breast disease with malignant imaging features: a case report. J Med Case Rep. 2023 May 16;17(1):197. doi: 10.1186/s13256-023-03931-z

Portier C, Souraud JP, Pellegrin C, et al. Mastopathie diabétique, une affection mammaire bénigne méconnue : à propos d’un cas. Imagerie de la Femme. 2020 Jun;30(2): 104-107. doi: 10.1016/j.femme.2020.06.007

Suvannarerg V, Claimon T, Sitthinamsuwan P, et al. Clinical, mammographic, and ultrasonographic characteristics of diabetic mastopathy: A case series. Clin Imaging. 2019 Jan-Feb;53:204-209. doi: 10.1016/j.clinimag.2018.11.002

Shrikrishnapalasuriyar N, Atkinson M, Kalhan A, Evans P. Diabetic mastopathy: A diagnostic challenge. Br. J. Diabetes 2018.18:32–34. doi: 10.15277/bjd.2018.169

Leroux-Stewart J, Rabasa-Lhoret R. Diabetic mastopathy: case report and summary of literature. Can J Diabetes. 2014 Oct;38(5):305-6. doi: 10.1016/j.jcjd.2013.12.008

Chan CL, Ho RS, Shek TW, Kwong A. Diabetic mastopathy. Breast J. 2013 Sep-Oct;19(5):533-8. doi: 10.1111/tbj.12158

Fatnassi R, Ben Regaya, Zrig H, et al. Mastopathie diabétique. J Gynecol Obstet Biol Reprod (Paris). 2011;40:267-270. doi: 10.1016/j.jgyn.2010.09.004

Croce S, Chaney G, Bretz-Grenier MF, et al. La mastopathie diabétique : une lésion mammaire bénigne sujette à récidive. Gynecol Obstet Fertil. 2010 Nov;38(11):686-9. doi: 10.1016/j.gyobfe.2010.05.016

Valdez R, Thorson J, Finn WG, t al. Lymphocytic mastitis and diabetic mastopathy: a molecular, immunophenotypic, and clinicopathologic evaluation of 11 cases. Mod Pathol. 2003 Mar;16(3):223-8. doi: 10.1097/01.MP.0000056627.21128.74

Schlienger JL, Dale G, Chenard MP. Gynécomastie par mastopathie diabétique: deux cas. Rev Med Interne. 2001 Mar;22(3):307-8. doi: 10.1016/s0248-8663(00)00334-9

Camuto PM, Zetrenne E, Ponn T. Diabetic mastopathy: a report of 5 cases and a review of the literature. Arch Surg. 2000 Oct;135(10):1190-3. doi: 10.1001/archsurg.135.10.1190

Tomaszewski JE, Brooks JS, Hicks D, Livolsi VA. Diabetic mastopathy: a distinctive clinicopathologic entity. Hum Pathol. 1992 Jul;23(7):780-6. doi: 10.1016/0046-8177(92)90348-7

Lammie GA, Bobrow LG, Staunton MD, et al. Sclerosing lymphocytic lobulitis of the breast–evidence for an autoimmune pathogenesis. Histopathology. 1991 Jul;19(1):13-20. doi: 10.1111/j.1365-2559.1991.tb00889.x

Soler NG, Khardori R. Fibrous disease of the breast, thyroiditis, and cheiroarthropathy in type I diabetes mellitus. Lancet. 1984 Jan 28;1(8370):193-5. doi: 10.1016/s0140-6736(84)92114-7

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