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L'auteur

Marc GOZLAN

Je suis médecin de formation, journaliste par vocation. J’ai débuté ma carrière de journaliste médico-scientifique en agence de presse…  Lire la suite.

Être diabétique insulino-dépendant et courir un ultra-marathon

Ultra-marathon. Peter Mooney © Flickr

SOMMAIRE

C’est l’histoire d’un homme de 36 ans, atteint de diabète de type 1 (insulino-dépendant) depuis quinze ans, qui s’entraîne à la course à pied depuis quatorze ans. Il a antérieurement participé à 38 marathons. Son meilleur temps a été de 3 heures 38 minutes. Il a également déjà effectué quatre ultra-marathons d’une longueur comprise entre 100 et 217 km. Le terme ultra-marathon désigne une course dont la distance est supérieure à celle d’un marathon (42,195 kilomètres).

Cet athlète diabétique (71,1 kg pour 1,66 m, avec 10 % de masse grasse) a accepté de participer à une étude visant à déterminer ses stratégies nutritionnelles et ses réponses glycémiques lors de sa participation à un ultra-marathon de 217 km. Au total, 62 athlètes ont participé à cette course, baptisée Brazil 135 Ultramarathon, qui a lieu dans la serra da Mantiqueira (région montagneuse du sud-est du Brésil). Quarante-quatre coureurs l’ont terminé dont notre homme, qui a franchi la ligne d’arrivée en moins de 60 heures, précisément 51 heures et 18 minutes, en 27e position.

Pendant la course, les participants peuvent manger et boire à volonté. Ils peuvent également dormir quand ils le souhaitent, ce que notre athlète a fait à deux reprises, entre 3 et 6h du matin.

Afin d’évaluer les apports alimentaires durant l’ultra-marathon, ce participant diabétique a rempli un formulaire préparé par des chercheurs qui ont enregistré l’heure, la nature et la quantité de nourriture consommée. Grâce à ces données, les quantités d’énergie, de glucides, de lipides et de protéines consommées pendant la course ont pu être calculées à l’aide d’un logiciel ou à partir des informations nutritionnelles figurant sur les étiquettes des produits. Ces résultats sont présentés dans une étude parue en mars 2022 dans la revue Wilderness & Environmental Medicine.

Pendant la course, cet athlète a noté ses taux de glucose sanguin, affichés sur un lecteur de glycémie, ainsi que ses injections d’insuline. Afin d’évaluer son degré d’hydratation, son poids a été mesuré à plusieurs reprises : au 78e et au 175e km, ainsi qu’à l’arrivée au 217e km.

Ce participant a bu 14 litres d’eau pendant l’épreuve, ce qui correspond à un apport liquidien inférieur à celui recommandé pour des athlètes de sport d’endurance, et notamment pour ceux qui sont diabétiques.

Les chercheurs de l’université de Campinas (Limeira, État de São Paulo), précisent que cet ultra-marathonien a bu des boissons énergétiques pour sportifs et un soda. Le premier jour de la course, il a consommé, entre autres choses, de la purée, du pain blanc, des bonbons gélifiés, des spaghettis bolognaise et une barre protéinée au chocolat. Le deuxième jour, il a mangé des spaghettis à l’ail et à l’huile, du poulet à la sauce tomate, une barre protéinée au chocolat, du salami, une pomme, du thon en conserve. Le troisième jour, il a pris des biscuits salés au blé complet et de la mayonnaise.

Durant cette course, les valeurs de glycémie se sont situées entre 3,6 et 18,2 mmol/L (soit entre 0,64 et 3,37 g/L). La plupart (47 %) des mesures du taux de glucose sanguin étaient comprises entre 3,9 et 10 mmol/L (0,70 et 1,8 g/L), alors que 5 % étaient inférieures à 3,9 mmol/L (0,70 g/L) et 16 % étaient supérieures à 13,9 mmol/l (2,50 g/L). On rappelle que la glycémie normale doit être inférieure à 1,40 g/L (7,8 mmol/L) deux heures après un repas et qu’une glycémie normale à jeun doit se situer en-deçà de 1 g/L (5,56 mmol/L). L’hyperglycémie est caractérisée, quant à elle, par un taux de glucose sanguin supérieur à 1,20 g/L, soit 6,7 mmol/L.

Ce coureur a été amené à s’injecter 10 unités d’insuline basale (4 unités deux heures après la course et 6 unités dix heures après l’épreuve) ainsi que 40 unités d’insuline en bolus (10 unités avant la course, 10 autres au 116e km et encore 20 unités deux heures après l’épreuve).

Il est probable que cet athlète ait choisi de passer plus de temps avec une glycémie élevée afin d’éviter les conséquences négatives d’une hypoglycémie inférieure à 3,9 mmol/L (0,70 g/L), ce qui ne s’est produit qu’à une seule occasion, vers la 11e heure au 78e km.

La pratique consistant à réduire les injections d’insuline et à consommer plus de glucides en cas d’effort physique prolongé a été observée chez d’autres athlètes diabétiques de type 1. Ceci fut rapporté dans une étude polonaise publiée en 2018 dans la revue Diabetes Technology & Therapeutics portant sur quatre participants diabétiques de type 1 participant à un ultra-trail dans les montagnes des Carpates (82 km). Tous avaient opté pour une stratégie consistant en une réduction significative des doses d’insuline et un apport supplémentaire en glucides et avaient ainsi évité une hypoglycémie sévère. Ceci leur avait permis, malgré la survenue d’hyperglycémies dépassant 2,5 g/L, de ne pas présenter d’acidocétose (complication aiguë du diabète caractérisée par une acidité excessive du sang).

À ce jour, une seule étude, réalisée par des chercheurs américains et publiée en 2019 dans le Journal of the International Society of Sports Nutrition, avait examiné les aliments consommés par des athlètes au cours d’un ultra-marathon. Cette étude ne portait cependant pas sur des participants diabétiques.

Le choix des aliments consommés par notre ultra-marathonien diabétique a été comparé aux recommandations émises pour les participants aux sports d’endurance. Il s’avère que notre homme avait une ration en calories, en glucides et en protéines, insuffisante.

Son apport nutritionnel correspondait à ce que d’autres athlètes consomment lors de compétitions d’une durée moyenne de 12 heures, alors même qu’il a couru quatre fois plus longtemps. Selon les auteurs, ceci indique qu’il ne doit pas être facile de prendre les quantités recommandées pour garantir un apport énergétique compatible avec l’effort à fournir durant cette longue épreuve. Ils y voient là un défi pour tous les ultra-marathoniens, qu’ils soient ou non diabétiques.

Bien que cet athlète présentant un diabète de type 1 ait eu à faire face aux défis physiologiques de l’ultra-marathon et qu’il ait mis en place des stratégies différentes de celles recommandées dans la littérature médicale, il apparaît que son planning d’administration de l’insuline et d’apport en aliments, ainsi que la répartition des périodes d’effort et de sommeil (ou de repos), lui ont finalement permis de terminer la course avec succès. Selon les auteurs, cela suggère que « l’expérience personnelle doit être prise en compte et que les recommandations nutritionnelles pour les athlètes atteints de diabète de type 1 devraient être individualisées ».

En 2017, cette même équipe brésilienne avait rapporté des données sur le contrôle glycémique obtenues auprès de trois diabétiques de type 1 ayant tous participé au même ultra-marathon couru au total par sept équipes de trois compétiteurs.

L’équipe composée des trois athlètes diabétiques avait terminé ce marathon relais en 29 h 28 mn, se classant à la troisième place. Chacun des trois coureurs avait effectué sept parcours. La distance totale parcourue par chacun d’eux était respectivement de 68,7 km, 84,5 km et 65,1 km. Publiés dans Wilderness & Environmental Medicine, les résultats des physiologistes brésiliens indiquaient déjà qu’un contrôle satisfaisant de la glycémie avait pu être obtenu chez ces grands sportifs diabétiques.

Un ultra-marathon entraîne des dommages musculaires chez des individus sains (non diabétiques). La souffrance des muscles se traduit par une élévation du taux de plusieurs protéines d’origine musculaire dans le sang, celle-ci étant habituellement sans conséquence néfaste chez un individu non diabétique. La libération de quantités excessives de certaines protéines intra-musculaires dans la circulation sanguine peut potentiellement affecter le fonctionnement des reins, en particulier en cas de déshydratation. Ceci pourrait avoir un impact clinique chez des marathoniens atteints de diabète de type 1 qui présentent un risque accru de complications rénales du fait de leur maladie. Il s’est avéré que l’élévation des biomarqueurs (créatine kinase ou CK, lactate déshydrogénase ou LDH), témoignant des dommages du tissu musculaire est survenue chez ces ultra-marathoniens sans qu’on observe d’altération de la fonction rénale.

L’expérience personnelle d’un sportif diabétique français

En 2019, la Société Francophone du Diabète (SFD) a rédigé un très long document consacré à l’activité physique chez des diabétiques de type 1. Ce fut l’occasion pour Jérôme Trublet, marathonien diabétique, âgé de 35 ans, de décrire son expérience personnelle.

Sous pompe à insuline et sous capteur glycémique permanent, Jérôme Trublet avait déjà couru une quinzaine de marathons quand il s’est décidé à participer à une compétition de 100 km, les 100 km de la Somme (course anciennement dénommée les 100 bornes d’Amiens). Il indique avoir analysé, planifié sa progression physique, sa capacité d’endurance, son alimentation quotidienne. Durant sa pratique sportive, il a appris à adapter les collations, le resucrage (prise de glucides) et l’hydratation, ainsi que le débit basal, le débit temporaire et les bolus d’insuline sous pompe. Ce grand sportif a bénéficié de l’aide d’une nutritionniste de l’Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance (INSEP) afin d’améliorer son alimentation au quotidien lors de sa préparation physique.

Ce sportif diabétique indique que, par sécurité, au départ de compétitions de type marathon, il diminue le débit basal en insuline de 50 à 70 % pendant la compétition, ce qui lui permet d’éviter la décroissance glycémique en deuxième partie de course. Il précise viser une glycémie de départ comprise entre 2,50 et 2,80 g/L, afin que celle-ci augmente vers 3,10 g/L après une heure de course, pour redescendre de façon linéaire à 1,30 g/L à l’arrivée de l’épreuve.

Ce compétiteur précise que l’utilisation du capteur glycémique lui est essentielle. Celui-ci lui permet durant l’exercice, d’analyser finement les évolutions de sa glycémie afin d’adapter a posteriori les doses et prévenir les hypoglycémies, qu’il est difficile de corriger lors du maintien de l’activité physique.

« Après avoir participé aux 100 km d’Amiens en 2015, je finissais en 2016 les 100 km de Millau, et me prépare actuellement aux 177 km du Grand Raid du Morbihan, épreuve qui devrait durer 24 à 30 heures et aura nécessité six mois d’entraînement soutenu », concluait-il.

Une préparation nutritionnelle et physique impérative

Que retenir des études et témoignages concernant le diabète de type 1 et l’ultra-marathon ? Tout d’abord que l’obtention de telles performances sportives est possible malgré les contraintes inhérentes à cette maladie. Ensuite, qu’atteindre ces objectifs dans un sport ayant de telles exigences énergétiques nécessite de s’entraîner de longs mois, tout en ayant pris connaissance des recommandations concernant le diabète de type 1 et le sport de haut niveau ou professionnel, en tenant notamment compte de l’intensité et de la durée de l’exercice physique, sans oublier les conditions climatiques.

Cela dit, une même série de recommandations nutritionnelles ne saurait convenir aux grands sportifs diabétiques qui décideraient de se préparer à courir un ultra-marathon, pas plus d’ailleurs qu’elles ne seraient adaptées à toutes les personnes diabétiques qui désireraient pratiquer tout autre sport de haut niveau. En effet, rien ne remplace l’expérience personnelle acquise lors de la préparation physique et des compétitions antérieures, ceci dans la mesure où interviennent de nombreux paramètres, endogènes et exogènes, dont certains ne sont pas toujours maîtrisables. En résumé, chaque athlète diabétique de type 1 est forcément unique.

 Marc GOZLAN (Suivez-moi sur Twitter, Facebook, LinkedIn)

Pour en savoir plus...

Silva Daniel NV, Esteves Dos Santos N, et al. Nutritional Strategies of an Athlete with Type 1 Diabetes Mellitus During a 217-km Ultramarathon. Wilderness Environ Med. 2022 Mar;33(1):128-133. doi: 10.1016/j.wem.2021.11.005

Braune K, May A, Thurm U. Safe and Successful Completion of a Half Marathon by an Adult With Type 1 Diabetes Using a Personalized Open Source Artificial Pancreas System. J Diabetes Sci Technol. 2020 Nov;14(6):1137-1138. doi: 10.1177/1932296819884922

Spittler J, Oberle L. Current Trends in Ultramarathon Running. Curr Sports Med Rep. 2019 Nov;18(11):387-393. doi: 10.1249/JSR.0000000000000654

Riddell MC, Scott SN, Fournier PA, et al. The competitive athlete with type 1 diabetes. Diabetologia. 2020 Aug;63(8):1475-1490. doi: 10.1007/s00125-020-05183-8

Tiller NB, Roberts JD, Beasley L, et al. International Society of Sports Nutrition Position Stand: nutritional considerations for single-stage ultra-marathon training and racing. J Int Soc Sports Nutr. 2019 Nov 7;16(1):50. doi: 10.1186/s12970-019-0312-9

Radermecker RP, Systermans S, Bekka S, Kaux JF. Diabète de type 1 et sport de haut niveau/professionnel. Science & Sports. 2019 Dec;34(6):374-380. doi: 10.1016/j.scispo.2019.07.002

Duclos M, Berne C, Tschudnowsky M, et al. Prise de position de la Société Francophone du Diabète (SFD) sur l’activité physique chez les patients avec un diabète de type 1. Médecine des maladies métaboliques. 2019 Oct;13(6):483-535. doi:10.1016/S1957-2557(19)30168-3

Gawrecki A, Zozulinska-Ziolkiewicz D, Matejko B, et al. Safe Completion of a Trail Running Ultramarathon by Four Men with Type 1 Diabetes. Diabetes Technol Ther. 2018 Feb;20(2):147-152. doi: 10.1089/dia.2017.0296

Belli T, de Macedo DV, Scariot PPM, et al. Glycemic Control and Muscle Damage in 3 Athletes With Type 1 Diabetes During a Successful Performance in a Relay Ultramarathon: A Case Report. Wilderness Environ Med. 2017 Sep;28(3):239-245. doi: 10.1016/j.wem.2017.04.005

Riddell MC, Gallen IW, Smart CE, et al. Exercise management in type 1 diabetes: a consensus statement. Lancet Diabetes Endocrinol. 2017 May;5(5):377-390. doi: 10.1016/S2213-8587(17)30014-1

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