Le diabète de type 1 (DT1) favorise la formation de caillots sanguins chez les adultes comme chez les enfants surtout lorsqu’il débute par une acidocétose diabétique, complication aiguë qui survient en cas de grave déficit en insuline. La cétose correspond à la présence de corps cétoniques en quantité anormalement élevée dans le sang, alors que l’acidocétose est définie par une cétose avec acidose, c’est-à-dire une baisse du pH sanguin (inférieur à 7,30).
Plusieurs facteurs expliquent cette tendance excessive à la coagulation et à la survenue d’une thrombose (caillot sanguin) lors d’une acidocétose diabétique : la déshydratation, une concentration plus élevée en cellules sanguines par volume de sang, l’inflammation liée à l’hyperglycémie et à l’acidose.
Thrombose et hypercoagulabilité
En effet, quand une personne est déshydratée, le volume de liquide dans le sang diminue, ce qui rend le sang plus épais : la viscosité sanguine augmente. Par ailleurs, le taux d’hématocrite augmente, ce qui signifie que la proportion de globules rouges par rapport au liquide sanguin est plus élevée, ce qui épaissit encore davantage le sang et ralentit sa circulation. En outre, certaines substances inflammatoires (cytokines) libérées pendant l’acidocétose activent les mécanismes qui favorisent la coagulation, augmentant ainsi la formation de caillots. Ces différents facteurs créent un état d’hypercoagulabilité qui expose à un risque accru de formation de caillots dans les veines profondes, mais aussi d’embolie pulmonaire ou d’accident vasculaire cérébral.
Les jeunes enfants présentent souvent des formes cliniques plus sévères, avec une déshydratation marquée et des veines périphériques collabées, autrement dit dont les parois sont affaissées. Cela rend la pose d’un cathéter veineux central particulièrement difficile, ce qui accroît le risque de survenue d’un caillot veineux, encore appelé thrombose veineuse profonde (TVP).
Risque accru de thrombose veineuse profonde chez les moins de trois ans
Lorsque le diabète débute brutalement par une acidocétose diabétique sévère, les médecins doivent parfois poser un cathéter dans une veine profonde. Ce cathéter veineux central est utilisé pour perfuser rapidement liquides et médicaments, car les veines superficielles sont difficiles d’accès en raison d’une déshydratation importante. Or, les enfants porteurs d’un cathéter veineux central présentent un risque accru de TVP, en particulier avant l’âge de trois ans.
Des pédiatres toulousains ont évalué, sur une période de vingt ans (de janvier 2003 à octobre 2023) le risque de survenue d’un caillot dans une veine profonde chez 140 enfants admis en réanimation pédiatrique pour une acidocétose sévère révélant un diabète de type 1 (DT1). Il ressort qu’un cathéter a été posé dans la veine fémorale chez 14 d’entre eux, soit dans 10 % des cas. Parmi ces jeunes patients, 4 (soit 28 %) ont développé une thrombose veineuse profonde.
Publiée en avril 2025 dans les Archives de Pédiatrie, cette étude a été conduite au CHU de Toulouse par Mariane Mompontet et Carole Morin, pédiatres diabétologues, et Sophie Breinig du service de réanimation médico-chirurgicale pédiatrique et néonatale. Ces spécialistes rapportent quatre cas de thrombose veineuse profonde liée à un cathéter veineux central.
Le premier cas concerne une fillette de 12 mois admise aux urgences après deux jours de vomissements et une perte de poids de 11 %. Les analyses ont révélé un diabète de type 1 débutant par une acidocétose sévère. En raison de difficultés à poser une perfusion périphérique, un cathéter a été inséré dans une veine fémorale à son arrivée en réanimation pédiatrique. Malgré les soins et l’amélioration de son état, une thrombose a été détectée dans la veine fémorale peu après son transfert dans le service de diabétologie pédiatrique.
Le deuxième cas est celui d’une fillette de 23 mois présentant une soif intense, des urines abondantes et une grande fatigue. Ses parents ont utilisé un kit de dosage de la glycémie et des corps cétoniques dont les valeurs se sont révélées très élevées, signes d’une acidocétose diabétique. En raison de difficultés à poser une perfusion, une voie intra-osseuse a d’abord été utilisée. Pour comprendre, il faut savoir que les produits qui peuvent être injectés par voie veineuse peuvent l’être par voie intra-osseuse. Celle-ci consiste à injecter directement dans la moelle osseuse (généralement du tibia) des médicaments ou des liquides, comme on le ferait dans une veine. La moelle osseuse contient en effet de nombreux petits vaisseaux sanguins qui permettent une diffusion rapide des substances administrées dans tout l’organisme.
Chez cette fillette, un cathéter a ensuite été placé dans une veine fémorale à son arrivée en réanimation pédiatrique. Après deux jours de traitement et une stabilisation de son état, le cathéter a été retiré. Toutefois, une thrombose a été diagnostiquée dans la veine fémorale droite 24 heures plus tard.
L’équipe toulousaine rapporte une troisième observation relative à une fillette de 4 ans et 11 mois, adressée aux urgences pour une éruption cutanée, attribuée à une allergie alimentaire. Elle y est retournée le lendemain pour des difficultés respiratoires et une altération de la conscience. Elle avait perdu 3 kilos. Les analyses ont révélé une acidocétose diabétique sévère. En raison de difficultés à poser une perfusion, une voie intra-osseuse a été utilisée dans un premier temps, avant qu’un cathéter veineux ne soit placé dans la cuisse (veine fémorale). Après un traitement intensif en réanimation et la stabilisation de son état, le cathéter a été retiré. Quatre jours plus tard, un caillot important a été détecté dans la veine fémorale gauche.
Ces auteurs décrivent un quatrième cas de TVP chez un garçon de 2 ans admis à plusieurs reprises pour une altération de l’état général, une baisse de la vigilance et une respiration rapide, dans un contexte d’otite. Il avait perdu 3 kilos. Les analyses ont révélé une acidocétose diabétique sévère. Après des perfusions et un début de traitement par insuline, un cathéter veineux profond a été placé dans la cuisse gauche (veine fémorale) en raison de l’échec des accès périphériques. Une fois son état stabilisé, le cathéter a été retiré et le garçon transféré dans le service de diabétologie pédiatrique. Quatre jours plus tard, un caillot étendu a été détecté dans la veine fémorale gauche.
Parmi ces quatre enfants, trois étaient âgés de moins de 3 ans et un avait plus de 3 ans. Le diagnostic de TVP a été posé dans les 24 à 48 heures suivant la pose du cathéter veineux central (CVC) chez deux des quatre enfants, font remarquer les auteurs.
Ces données sont cohérentes avec celles d’études antérieurement publiées. En 2003, dans la revue Critical Care Medicine, une étude américaine sur 154 enfants avec acidocétose diabétique hospitalisés en réanimation pédiatrique indiquait que 8 avaient bénéficié d’un cathéter veineux central. Quatre enfants, de moins de trois ans, avaient présenté une TVP dans les 48 heures suivant la pose du cathéter fémoral. Fort heureusement aucun n’avait fait d’embolie pulmonaire.
En 2004, des pédiatres réanimateurs américains avaient rapporté dans la revue Pediatrics un risque plus élevé de thrombose sur cathéter veineux central chez les patients souffrant d’acidocétose diabétique que chez les autres malades hospitalisés dans cette même unité des soins. Sur 113 enfants avec acidocétose diabétique (ACD), un cathéter fémoral avait été posé chez 6 d’entre eux. Trois avaient développé une TVP, ce qui représente un taux de 50 % chez les enfants avec ACD versus 0,7 % chez les autres patients.
Plus récemment, en 2024, une étude, publiée dans la revue Research and Practice in Thrombosis and Haemostasis, a évalué la fréquence des thromboses veineuses profondes chez de jeunes patients hospitalisés pour acidocétose diabétique entre 2017 et 2023 dans 48 unités de soins intensifs pédiatriques aux États-Unis. En analysant rétrospectivement les données de plus de 27 000 patients, dont l’âge moyen était de 12,2 ± 4,6 ans, les auteurs ont observé un taux global de TVP de 0,3 %, inférieur à ce qui était attendu dans la mesure où les études antérieures indiquaient un taux compris entre 0,3 et 2,2 %.
Les cas de TVP étaient cependant nettement plus fréquents chez les patients ayant reçu un cathéter veineux central que chez les autres (23.7% vs 1.1%). Les événements thromboemboliques constatés étaient essentiellement des phlébites profondes des membres ou du cou (80 %) et, dans une moindre mesure, des embolies pulmonaires et des thromboses des sinus veineux cérébraux (caillot dans le réseau veineux cérébral responsable d’une forme d’AVC).
Éviter la pose d’un cathéter veineux central en raison du risque élevé de thrombose
Chez ces enfants gravement malades, il est primordial de disposer d’un accès veineux sûr et efficace pour apporter un traitement liquidien, débuter l’insulinothérapie et réaliser régulièrement des examens biologiques à partir de prélèvements sanguins répétitifs. Pour autant, la pose d’un cathéter veineux central ne devrait pas être une option de première intention, en raison du risque accru de thrombose chez ces patients.
D’autres voies doivent donc être privilégiées si le contexte clinique le permet, notamment la voie osseuse ou la mise en place d’un cathéter artériel central, inséré dans une artère profonde, comme l’artère fémorale (au pli de l’aine).
Chez l’enfant, l’administration d’anticoagulants en cas de pose d’un cathéter veineux central (CVC) n’est pas systématique à titre préventif. L’International Society for Pediatric and Adolescent Diabetes (ISPAD) recommande que la pose de CVC soit limitée autant que possible et que l’anticoagulation préventive soit généralement réservée aux enfants de plus de 12 ans. Par ailleurs, si un cathéter central a été mis en place, il doit être retiré dès que l’état clinique de l’enfant le permet. Enfin, un traitement anticoagulant prophylactique (par héparine de faible poids moléculaire, HPBM) doit être envisagé chez les enfants de plus de 12 ans ayant un cathéter veineux central.
Pour les patients les plus jeunes, la décision repose sur une évaluation au cas par cas, en tenant compte du rapport bénéfice-risque entre thrombose et risque de saignement lié à l’anticoagulation. « Une anticoagulation préventive devrait être envisagée si la pose d’un CVC est jugée nécessaire, mais davantage d’études doivent être réalisées pour établir un protocole approprié », concluent les auteurs.
Marc Gozlan (Suivez-moi sur X, Facebook, LinkedIn, Mastodon, Bluesky)