C’est l’histoire d’une femme de 31 ans retrouvée inconsciente à son domicile par des membres de sa famille. On ignore depuis combien de temps elle a perdu connaissance. À l’arrivée des secours, la jeune femme est dans un état critique. Son score de Glasgow n’est que de 6, signe d’un coma profond : elle ouvre les yeux aux stimulations douloureuses, mais ne parle pas et ne réagit presque plus. Sa glycémie, inférieure à 0,4 g/L, témoigne d’une hypoglycémie sévère, suffisamment grave pour provoquer une perte de connaissance prolongée et mettre en jeu son pronostic vital si elle n’est pas rapidement corrigée. Une perfusion de glucose est immédiatement administrée avant son transfert aux urgences.
À son admission, la température corporelle est de 32,8 °C : la patiente est en hypothermie. Sa pression artérielle est de 97/78 mmHg et sa fréquence cardiaque de 78 battements par minute. Elle reprend partiellement conscience (score de Glasgow : 11) après réchauffement et administration de glucose. Les analyses biologiques montrent notamment une glycémie de 0,7 g/L et un trouble mixte de l’équilibre acido-basique (acidose métabolique et respiratoire). Aucun toxique (amphétamines, cocaïne, opiacés, méthadone, benzodiazépines, etc.) n’est détecté dans les urines.
Cette jeune femme italienne, qui n’est pas diabétique, ne souffre d’aucun trouble endocrinien, ne prend régulièrement aucun traitement médicamenteux et n’a jamais présenté d’allergie médicamenteuse, finit par déclarer à l’équipe soignante qu’elle s’est injecté par voie sous-cutanée de l’Ozempic (sémaglutide) pour perdre du poids.
Ne disposant pas d’ordonnance, elle a acheté ce médicament sur un site internet italien spécialisé dans la vente de compléments alimentaires et de produits de bien-être. Le produit a été officiellement expédié depuis l’Italie, mais il n’a pas été possible d’en déterminer le pays de fabrication. Peu après la première injection, elle se sent confuse puis perd connaissance.
De nombreux indices visuels orientent les soupçons de contrefaçon
Intrigués par la survenue d’une hypoglycémie aussi sévère chez une personne non diabétique, les médecins soupçonnent une falsification ou une contamination du médicament. Le flacon utilisé, remis par la patiente, est envoyé au laboratoire de toxicologie.
Plusieurs anomalies majeures sont relevées d’emblée entre le flacon de la patiente et l’emballage officiel de l’Ozempic. Le texte figurant sur la boîte est rédigé dans une langue étrangère et présente de nombreuses fautes typographiques. Le logo du fabricant apparaît déformé. L’inscription en braille, pourtant obligatoire pour tout médicament commercialisé dans l’Union européenne et l’Espace économique européen, est absente. Enfin, l’illustration du stylo injecteur comporte plusieurs incohérences visuelles, dont une étiquette illisible.
L’ensemble de ces éléments atteste de la nature contrefaite du produit, rapportent Giulia Antonacci, Antonietta Romano et leurs collègues de l’hôpital universitaire de Padoue dans un article publié le 21 octobre 2025 dans l’European Journal of Hospital Pharmacy.
L’analyse par chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse est sans appel : aucune trace de sémaglutide n’est détectée dans le flacon, qui contient en réalité… de l’insuline. Cette substitution explique l’épisode d’hypoglycémie profonde et le coma.
La patiente reçoit des perfusions de glucose. Pour combattre l’hypothermie, elle est placée sous une couverture chauffante et reçoit de l’oxygène tiède administré par canule à haut débit. Quatre heures après son arrivée, sa glycémie remonte à 0,79 g/L et son équilibre acido-basique se normalise. Elle retrouve une conscience complète (score de Glasgow : 15) et quitte l’hôpital sans séquelle. L’affaire est signalée à l’Agence italienne du médicament (AIFA) et aux autorités locales.
Le sémaglutide, principe actif de l’Ozempic, du Rybelsus et du Wegovy, est un agoniste du récepteur du GLP-1 indiqué dans le traitement du diabète de type 2 et, à des doses plus élevées, dans la prise en charge de l’obésité.
Ce cas clinique met en évidence la dérive de l’usage détourné du sémaglutide, initialement autorisé pour ces indications précises. Rapporté par des médecins italiens, il illustre un phénomène désormais mondial.
Un commerce parallèle bien organisé
Publiée en novembre 2024 dans le Journal of Medical Internet Research, une étude hongroise a décrit l’ampleur du problème. Des pharmaciens de l’université de Pècs et des criminologues de la direction générale de la police nationale hongroise (Budapest) ont répertorié et évalué 1 080 liens internet issus de moteurs de recherche et ainsi identifié 317 sites de pharmacies en ligne. Parmi eux, 134 (42 %) dirigent les internautes vers 59 sites illégaux distincts vendant du sémaglutide sans ordonnance. Les 30 principaux domaines affiliés à ces pharmacies illégales cumulent plus de 4,7 millions de visites entre juillet et septembre 2023.
Des achats ont été effectués auprès de six pharmacies en ligne illégales parmi les plus actives, proposant du sémaglutide sans ordonnance à des prix très bas. Trois flacons, livrés par voie postale, étaient présentés comme du sémaglutide. Les trois stylos injecteurs Ozempic préremplis commandés n’ont, eux, jamais été livrés : de simples arnaques commerciales.
Sur certains sites, les acheteurs doivent signer cette déclaration : « J’accepte les conditions générales. J’ai au moins 21 ans et je comprends que ces achats sont réservés aux chercheurs titulaires d’une licence et aux professionnels qualifiés. Je reconnais que les produits répertoriés sur ce site ne sont pas destinés à un usage humain ni animal ». Ces mentions, affichées noir sur blanc, sont pour le moins ahurissantes et soulignent le décalage entre les avertissements officiels et l’usage réel des produits. Les clients ne sont évidemment pas des chercheurs, mais des particuliers cherchant à s’injecter ces substances.
Risque de s’auto-injecter un produit inactif ou toxique
Tous les flacons achetés ont été considérés comme probablement non conformes et falsifiés, l’inspection visuelle ayant révélé, dans environ six emballages sur dix, une non-conformité pour plus de la moitié des critères évalués.
Les poudres testées ne contiennent pas de micro-organismes vivants, mais toutes renferment des traces d’endotoxines, des substances bactériennes potentiellement dangereuses si elles sont injectées.
Par ailleurs, la teneur en sémaglutide des échantillons dépasse largement les valeurs indiquées sur les étiquettes, avec un excès compris entre 28,5 % et 38,5 %. Enfin, la pureté du sémaglutide s’avère particulièrement faible, comprise entre 7,7 % et 14,4 %, très loin des 99 % revendiqués par les fabricants.
Ces médicaments contrefaits, achetés sur Internet, combinent donc plusieurs dangers : surdosage, contamination, composition incertaine.
Une diffusion mondiale alimentée par des plateformes commerciales

Le marché parallèle du sémaglutide ne s’arrête pas aux frontières européennes. Une étude britannique tout juste publiée dans la revue Emerging Trends in Drugs, Addictions, and Health montre que la plateforme chinoise Made-in-China.com joue un rôle central dans l’approvisionnement mondial de produits illicites à base de sémaglutide.
À première vue, le site fonctionne comme une plateforme de commerce en ligne classique, où l’on peut acheter aussi bien de l’électronique que des jouets ou des vêtements. Cette familiarité rassure les acheteurs, qui ont le sentiment de commander sur un site semblable à Amazon plutôt que sur un marché parallèle. Sur cette plateforme, plus de 12 000 annonces proposent des flacons ou des stylos injecteurs, souvent sous les marques Ozempic ou Wegovy. Certaines affichent le logo des firmes pharmaceutiques Novo Nordisk ou Eli Lilly, voire des numéros de lot inventés.

Les vendeurs exploitent un discours ambigu pour contourner la loi. Les produits sont étiquetés « for research use only », une mention censée indiquer un usage scientifique, mais qui sert surtout à dissimuler un commerce illégal. Derrière cette façade, les pages de vente multiplient les mots-clés tels que « for weight loss » ou « for obesity » et présentent des photographies de femmes minces ou de stylos injecteurs. L’un de ces faux stylos Ozempic, pourtant fabriqué en Chine, est même classé « produit le plus vendu » du site dans la catégorie « weight management » (gestion du poids).

Certains sites vendeurs vont jusqu’à brouiller volontairement le nom des médicaments (Sema au lieu de sémaglutide, Tirz au lieu de tirzépatide) pour échapper à la détection automatique par les autorités.
Certains fournisseurs vont encore plus loin : ils affichent sur leurs sites web des rapports d’analyse ou de tests présentés comme émanant de laboratoires indépendants, censés attester de la pureté de leurs produits. En réalité, ces documents sont souvent falsifiés ou reposent sur des échantillons sélectionnés pour être plus « propres » que le reste de la production. Ces pratiques illustrent la sophistication de ce marché parallèle, qui emprunte les codes de la recherche scientifique pour se donner une apparence de respectabilité et mieux abuser de la confiance des acheteurs.
Les échanges concernant le paiement et les frais de douane se poursuivent ensuite directement via WhatsApp. Le Bitcoin est souvent proposé comme moyen de paiement, mais les sites acceptent aussi PayPal ou une carte bancaire, ce qui renforce l’illusion de sécurité.
Pour convaincre les acheteurs de leur fiabilité, certains sites vendeurs publient des photos de leurs prétendus laboratoires pharmaceutiques, montrant du matériel scientifique ou des techniciens en blouse blanche. Ces images, souvent empruntées ou mises en scène, servent à feindre une production industrielle conforme aux bonnes pratiques de fabrication.
La pureté réelle de ces produits est bien inférieure à celle annoncée. Leur teneur en sémaglutide varie considérablement, et certaines fioles contiennent d’autres substances actives, dont de l’insuline. Cette réalité expose les acheteurs à des risques majeurs, bien loin de la sécurité revendiquée par les sites marchands.
Vigilance des professionnels de santé et sensibilisation du public
Que retenir de ces publications récentes ? D’abord, que l’histoire de cette femme de 31 ans tombée dans un coma hypoglycémique ne se résume pas à un accident isolé : elle symbolise un nouveau risque pharmaceutique pouvant survenir n’importe où dans le monde. Ce cas clinique fait figure d’avertissement collectif. Ensuite, que derrière la promesse d’un médicament « miracle » pour maigrir se cache un trafic international de produits falsifiés, avec le risque de s’auto-injecter une substance inconnue, contaminée, voire dangereuse. Ce risque est d’autant plus grand que la vente en ligne de tels produits s’effectue sans vérification des contre-indications ni des interactions médicamenteuses. Enfin, que l’achat de médicaments sur Internet, en dehors de circuits pharmaceutiques vérifiés, expose à des risques graves, potentiellement mortels.
Face à cette menace croissante, la vigilance des professionnels de santé est cruciale. Il importe de vérifier les emballages, de signaler toute anomalie, mais aussi d’informer et de sensibiliser le public : autant de mesures simples mais essentielles pour contrer la prolifération des faux médicaments.
Dans un marché mondialisé où le désir de minceur, largement entretenu par les médias et les réseaux sociaux, alimente un commerce incontrôlé, la sécurité pharmaceutique devient plus que jamais un enjeu majeur de santé publique.
Le 3 septembre, l’Agence européenne du médicament (EMA) et les autorités sanitaires européennes ont publié un communiqué mettant en garde contre l’augmentation marquée des ventes de médicaments illicites présentés comme analogues du GLP-1. L’EMA considère que ces produits – parmi lesquels figurent de faux Ozempic ou Wegovy (sémaglutide), Saxenda ou Victoza (liraglutide), Trulicity (dulaglutide) et Mounjaro (tirzépatide) ne respectent pas les exigences minimales en matière de qualité, de sécurité et d’efficacité.
Les autorités européennes font également état de « centaines de faux profils Facebook, de publicités et de fiches e-commerce », souvent hébergés hors de l’Union européenne, utilisés pour entretenir ce commerce illégal. Certains sites mettent même en avant à tort des logos officiels ou des recommandations fictives dans le but de tromper les consommateurs. Alors que les aGLP-1, accessibles sur prescription médicale, se présentent uniquement sous la forme de stylos injecteurs, l’ANSM a récupéré des patchs comportant des micro-aiguilles s’appliquant sur la peau.
Le 11 septembre, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a publié un communiqué détaillant ses initiatives de lutte contre la commercialisation et la promotion illicites de médicaments analogues du GLP-1. Pour mettre un terme à ces pratiques, l’ANSM a effectué une vingtaine de signalements auprès d’une dizaine de sites marchands, via le portail Pharos du ministère de l’Intérieur, qui permet de rapporter les contenus illicites repérés en ligne. En parallèle, elle a lancé des mesures de police sanitaire visant à interdire toute promotion et toute vente en ligne de ces médicaments. L’agence a également saisi le procureur de la République, demandant l’engagement de poursuites contre les sites impliqués pour exercice illégal de la pharmacie et usage frauduleux du logo de l’ANSM.
Ainsi, face à la menace que représente la contrefaçon des nouveaux médicaments analogues du GLP-1, les autorités européennes entendent intensifier leur surveillance et prendre des mesures visant à lutter contre la prolifération de ces produits falsifiés et protéger la santé publique : retrait de produits, blocage de sites et coopération transfrontalière entre services de contrôle et partenaires internationaux.
Marc Gozlan (Suivez-moi sur X, Facebook, LinkedIn, Mastodon, Bluesky)
