C’est l’histoire d’un jeune homme de 18 ans vivant avec un diabète de type 1. Il est hospitalisé pour une acidocétose, complication aiguë de sa maladie diabétique. Les analyses biologiques sanguines indiquent un taux très élevé des transaminases, enzymes hépatiques. Les médecins notent un pic des ALAT (alanine aminotransférase) à 972 unités/L (la valeur normale est inférieure à 66 U/L) et une élévation des ASAT (aspartate aminotransférase) à 300 U/L (taux normal inférieur à 45 U/L). Ce cas a été rapporté par des médecins suédois dans le numéro daté du 24 octobre 2024 de l’hebdomadaire médical américain The New England Journal of Medicine (NEJM).
Le scanner abdominal montre une augmentation du volume du foie, ce que l’on appelle une hépatomégalie, mais sans anomalie du tissu hépatique lui-même, le parenchyme conservant une architecture intacte.
Une biopsie du foie est réalisée, qui a montré des cellules hépatiques gonflées, avec une présence abondante de glycogène dans leur cytoplasme. On note classiquement l’absence de stéatose, c’est-à-dire d’accumulation de graisses dans les cellules hépatiques. Il n’y a pas non plus de signes d’hépatite virale ou auto-immune.
Ce jeune homme est atteint de glycogénose hépatique, antérieurement dénommée syndrome de Mauriac. Il s’agit d’une complication rare et réversible d’un diabète de type 1 mal contrôlé, surtout observée chez l’enfant et l’adolescent, bien plus rare chez l’adulte. Elle résulte de l’accumulation de glycogène dans le foie et se manifeste principalement par une hépatomégalie associée à une élévation des ALAT. Le gros foie peut être sensible à l’examen clinique.
Ce patient a quitté l’hôpital au bout de trois semaines, en suivant cette fois rigoureusement un traitement par insuline. Son taux d’ALAT s’est normalisé.
Accumulation hépatique de glycogène
La glycogénose hépatique, qui correspond donc à une surcharge en glycogène dans le foie, touche essentiellement les enfants diabétiques de type 1 (DT1). Il associe cliniquement une hépatomégalie et un retard de croissance. Cette complication s’observe exceptionnellement chez l’adulte. On estime que 98 % des cas de glycogénose hépatique sont observés chez des patients DT1, les 2 % restants étant rapportés chez des diabétiques de type 2 (DT2).
L’incidence de ce syndrome a diminué de façon significative avec l’introduction d’insuline à action prolongée et un meilleur contrôle glycémique. Il n’empêche que des cas de glycogénose hépatique continuent d’être régulièrement observés.
Le syndrome de Mauriac a été décrit pour la première fois en 1930 chez un enfant diabétique de type 1 avec retard de croissance et pubertaire. Bien plus tard, cette dénomination a été remplacée par le terme de glycogénose hépatique, d’hépatopathie glycogénique ou de surcharge glycogénique hépatocytaire. Il s’agissait en effet de ne pas associer cette pathologie avec le passé de collaborationniste de Pierre Mauriac, frère de l’écrivain François Mauriac. Il a fallu cependant attendre 2006 avant qu’une étude américaine détaillée, clinique et anatomopathologique, contribue à imposer le terme de glycogénose hépatique pour désigner cette affection.
À ce jour, la grande majorité des cas de glycogénose hépatique ont été décrits dans le diabète de type 1 (DT1). De nombreux rapports de cas continuent d’affirmer que la glycogénose hépatique est sous-estimée dans le DT1. Un nombre beaucoup plus restreint de cas de glycogénose hépatique a été confirmé histologiquement chez des patients atteints de diabète de type 2 (DT2).
Des cas continuent d’être rapportés chaque année, de rares rapports décrivant des résultats atypiques (notamment avec stéatose). Parfois, les patients présentent des taux d’aminotransférases (ALAT) si élevés (dépassant parfois 100 fois la valeur normale) qu’ils miment une hépatite aiguë due à une autre cause.
Une pathophysiologie non entièrement élucidée
Un des éléments essentiels impliqués dans la survenue de la glycogénose hépatique semble être des fluctuations, sévères et récurrentes, du taux d’insuline et de glucose. Cette pathologie apparaît liée à une surconsommation d’insuline (hyperinsulinémie) et à des épisodes d’hyperglycémie et d’hypoglycémie.
Dans le diabète de type 1 non contrôlé, associé à des taux de glucose sanguin extrêmement élevés, le glucose pénètre passivement dans les hépatocytes (via le transporteur GLUT2 du glucose, indépendamment de l’insuline). Le glucose est alors converti par l’enzyme glucokinase en glucose-6-phosphate, qui se trouve piégé de manière irréversible dans les cellules hépatiques. Puis l’enzyme glycogène synthétase convertit le glucose-6-phosphate en glycogène. Le glycogène est un polymère de glucose qui agit comme un réservoir de glucose. Il se trouve par ailleurs que l’administration d’insuline à de fortes doses stimule la transformation du glucose-6 phosphate en glycogène par la glycogène-synthétase.
L’ensemble de ces mécanismes* entraîne en quelques semaines une hépatomégalie, associée à une augmentation des transaminases pouvant parfois atteindre dix fois le taux normal.
Cette pathologie se résume donc à un stockage excessif du glucose sous forme de glycogène intrahépatique. En revanche, les mécanismes à l’origine du retard de croissance ne sont pas clairs.
Un diagnostic à évoquer en cas d’hépatomégalie chez un patient avec un DT1
En résumé, bien que rare, la découverte d’une hépatomégalie avec retard staturopondéral, c’est-à-dire une croissance insuffisante sur le plan de la taille ou du poids durant l’enfance, chez un jeune patient diabétique de type 1 non contrôlé, doit faire évoquer le diagnostic d’une glycogénose hépatique.
Il importe de distinguer la glycogénose hépatique de la stéatose hépatique non alcoolique (NAFLD), ces deux pathologies pouvant difficilement être différenciées sur le plan clinique. Plus de la moitié des patients diabétiques de type 2 présentent une stéatose hépatique non-alcoolique (NAFLD)**.
La NAFLD est devenue la première cause de maladie chronique du foie. Seule une minorité de patients atteints de NAFLD développera une maladie hépatique avancée. La NAFLD peut se présenter sous forme de stéatose hépatique simple, de stéatohépatite non-alcoolique (NASH, souvent qualifiée de « maladie du foie gras »), de fibrose hépatique ou de cirrhose (en absence et présence de complications). La prévalence élevée de la NAFLD chez les patients diabétiques résulte en partie de l’état d’insulinorésistance, qui joue un rôle clé dans son développement.
La distinction entre la glycogénose hépatique et la stéatose hépatique non alcoolique (NAFLD) est essentielle dans la mesure où la première est une pathologie bénigne, alors que la seconde est associée à une morbidité cardiovasculaire, à une fibrose hépatique progressive, à une cirrhose.
La NAFLD est habituellement rencontrée chez des patients obèses avec un DT2 secondaire à une résistance à l’insuline, alors que la glycogénose hépatique s’observe le plus souvent chez des patients pédiatriques.
Au scanner abdominal, le foie est hyperdense chez les patients atteints de glycogénose hépatique, alors qu’il est hypodense dans la stéatose hépatique non alcoolique (NAFLD). L’IRM (séquences d’écho de gradient) est un outil performant pour distinguer ces deux affections hépatiques en différenciant le glycogène hépatique de la graisse observée dans la NAFLD.
Le seul examen permettant d’affirmer formellement le diagnostic est la biopsie du foie, qui met en évidence un aspect de surcharge glycogénique. Cela dit, les signes histologiques peuvent être subtils et facilement interprétés comme normaux. Toutes les équipes ne recommandent pas de pratiquer la biopsie si le bilan hépatique se normalise avec le bon contrôle glycémique.
Un diagnostic parfois difficile
Diagnostiquer la glycogénose hépatique peut néanmoins représenter un défi dans la mesure où les patients qui en sont atteints peuvent être examinés dans un contexte d’urgence (comme dans le cas récemment rapporté dans le NEJM). Le clinicien peut alors facilement passer à côté du diagnostic.
Par ailleurs, il importe de savoir que certains cas peuvent être associés à une hyperlactatémie persistante, autrement dit à un taux de lactate élevé dans le sang (en l’absence ou présence d’une acidocétose), voire à une stéatose avec un certain degré de fibrose. L’association entre glycogénose hépatique et acidocétose n’est pas bien comprise. De même, la physiopathologie de cette affection dans le diabète de type 2 n’est pas claire.
Des études supplémentaires sont donc nécessaires pour mieux comprendre les mécanismes biochimiques qui sous-tendent l’apparition de ce rare syndrome dans le DT1 et le DT2. Signalons qu’en dehors du diabète, une glycogénose hépatique peut être observée au cours d’une courte corticothérapie à fortes doses.
Un contrôle glycémique adéquat entraîne une rémission totale
Le traitement vise à l’obtention stricte de l’équilibre glycémique, l’évolution étant marquée par la normalisation du bilan hépatique et une amélioration progressive et complète de l’hépatomégalie, avec disparition totale des anomalies histologiques. Les signes cliniques régressent aussi rapidement qu’ils sont apparus, en quelques jours ou semaines. Le pronostic est donc excellent.
Il importe de sensibiliser les cliniciens à cette pathologie de nature bénigne, mais qui est largement méconnue. Les patients diabétiques doivent également être informés de l’existence de cette rare complication dans la mesure où une prise en charge précoce et appropriée, avec obtention d’un contrôle glycémique optimal, permet d’obtenir une réversibilité clinique, biologique et histologique.
Marc Gozlan (Suivez-moi sur X, Facebook, LinkedIn, Mastodon, Bluesky)
* Une autre hypothèse physiopathologique repose sur l’existence d’un défaut génétique. En 2016, une mutation hétérozygote du gène PHKG2 codant une sous-unité catalytique du complexe enzymatique glycogène phosphorylase kinase a été découverte chez un adolescent diagnostiqué avec le syndrome de Mauriac. L’expression du gène PHKG2 mutant dans une lignée de cellules hépatiques humaines a inhibé l’activité enzymatique du complexe phosphokinase et a augmenté les taux de glycogène. La mère du garçon était également porteuse du gène PHKG2 muté, mais ne présentait pas de diabète ou d’hépatomégalie. Ces résultats n’expliquent donc pas tous les cas de glycogénose hépatique.
** La NAFLD a récemment été rebaptisée hépatopathie stéatosique métabolique (Metabolic Dysfunction Associated Steatotic Liver Disease ou MASLD), maladie dont la sévérité dépend du stade de fibrose hépatique.